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Les aventures d'un ethnologue dans le grand monde

Retour vers l’avenir 17 Mai 2024


Je dis « notre » date d’apparition, dans la mesure où nous sommes, nous aussi, en 2024, des homo sapiens. Anatomiquement, nous sommes les mêmes. Les caractéristiques physiques d’un individu adulte du paléolithique ancien sont celles de nos actuels coureurs de cross-country. Ce n’est pas pour rien que nous-nous sommes retrouvés, pour l’essentiel à pieds, sur tous les continents sauf l’Antarctique.

Et, pendant 230.000 ans, nous ne sommes pas les seuls représentants du genre Homo. Il y a des contacts, des mélanges, des bébés. 1,8% de notre ADN provient de Néandertal, sans compter Denisova, Florès, et les autres.

Si nous voulons comprendre l’histoire humaine correctement, nous devons comprendre que nos ancêtres éloignés n’étaient pas différents de nous. Ils étaient intelligents, et, comme nous, ils ont fait du mieux qu’ils pouvaient en fonction du monde autour d’eux. Et, donc, nous ne sommes pas meilleurs qu’eux.

Je serais bien curieux de voir comment nous-mêmes, aujourd’hui, nous-nous en sortirions si toute la région de Campanie explosait. Un événement qui s’est produit sous les pieds des Italiens préhistoriques il y a 39.000 ans. C’est l’une des pires éruptions volcaniques, qui a formé sous l’actuelle ville de Naples le supervolcan des champs Phlégréens, qui n’est pas moins menaçant (la loi de Murphy, souvenez-vous !). La colonne de cendres s’élève à 40km d’altitude et, portée par les vents, retombe sur toute la méditérranée jusqu’en Russie centrale. Cet évènement majeur est une explication possible de l’extinction des 100.000 Néandertaliens.
Vers -34.000, nous-nous retrouvons donc seuls représentants du genre Homo.
Terminés, les bébés métisses. Notre stock d’ADN se stabilise, il ne sera plus jamais modifié par des apports autres.

Et il en a encore fallu des capacités physiques, et mentales, pour qu’homo sapiens croisse et s’épanouisse sur la planète toute entière.
Il a su croître malgré la Dernière période glaciaire qui surgit en quelques dizaines d’années : le niveau des océans baisse de 120 mètres, on passe la Manche à pieds, et on passe aussi à pieds de la Thaïlande à l’Indonésie. La calotte de glace épaisse de trois kilomètres descend jusqu’au sud de l’Angleterre et jusqu’à New-York. Les régions non recouvertes ont leurs sols gelés en permanence.
Et il a su croître encore, même malgré la fin de cette période, auquel il s’était finalement bien adapté. En effet, il avait su mettre à profit la couche de glace pour franchir l’actuel détroit de Béring, et investir le continent américain qui, jusque-là, ne connaissait pas les mammifères bipèdes.
La déglaciation prend huit mille ans. Le niveau des océans remonte de 120 mètres.
L’Amérique et ses habitants se retrouvent isolés jusqu’à la prochaine vague migratoire : les colons européens au XVIe siècle.

Au sortir de cette période de bouleversement climatique, la géographie devient plus accessible, ce qui induit de nouveaux bouleversements culturels, des gros.
En Europe du nord, les chasseurs-cueilleurs nomades sont rejoints par des gens qui domestiquent les bêtes et les plantes. C’est le Néolithique qui arrive, et beaucoup de choses vont changer, de la naissance des groupements urbains jusqu’à la physionomie des autochtones. En effet, jusqu’à il y a environ 7.000 ans, les populations locales avaient la peau brune et une fréquence insoupçonnée à avoir les yeux bleus. C’est l’arrivée massive d’une population d’agriculteurs provenant de l’actuelle Turquie et du Moyen-Orient qui a induit un éclaircissement de couleur de peau, par le métissage (encore).

C’est le moment de re-re-préciser : les races humaines, ça n’existe pas. Ce dont je parle n’est donc pas une modification des « races ». Les homo sapiens peuvent être plus ou moins chargés en mélanine, ils n’en restent pas moins des homo sapiens. Personne ne dit que vous avez changé de « race » après l’été, lorsque vous êtes tout bronzé.

Les caractéristiques comportementales d’homo sapiens sont encore les nôtres aujourd’hui (vu que nous sommes aussi des homo sapiens, vous suivez ?) : la pensée symbolique et sacrée, l’art, les techniques, les échanges et le commerce, les déplacements à longue distance, les négociations politiques, le soin médical.
Ce qui différencie les groupes et les sociétés humaines depuis tout ce temps, c’est leur manière d’incarner ces traits communs de comportements, par l’infinie variété des cultures.
De ce point de vue, une homogénéité culturelle, sociopolitique, ou quoi que ce soit d’autre, n’est même pas souhaitable, à commencer par le fait qu’il n’y a pas une forme de culture qui soit absolument meilleure que toutes les autres. Sinon, croyez-en homo sapiens, ça fait bien longtemps qu’elle aurait été trouvée, et adoptée.
Les « différences » en soi ne sont pas des incompatibilités, elles doivent être des complémentarités. Et si un tel arrangement n’est pas possible, nous avons inventé la guerre comme méthode ultime de résolution des problèmes (qui en crée d’autres, et parfois pires).
L’hétérogénéité des cultures est un gage de longévité à long terme. Car si chaque groupe avait fait strictement comme ses voisins, nous n’aurions pas survécu mille ans.

A l’échelle de notre espèce, cette capacité à modifier ce qui est considéré comme « normal » est un gage de survie. Car si malheureusement un groupe est en difficulté du fait de sa forme d’organisation, les autres ont bon espoir de ne pas subir le même sort car ils en ont une différente, ou ils peuvent en inventer une différente.

Le monde a encore énormément changé, bien sûr, plein de fois, et nous n’avons jamais cessé de nous adapter. Notre propre organisation sociale, aujourd’hui, ici, ou là-bas, n’est qu’une variante parmi des possibilités multiples, et, nous aussi, nous faisons de notre mieux, en fonction du monde autour de nous.
Demain sera encore différent, c’est une certitude. Ce n’est pas pour autant que ce sera moins bien. D’ailleurs, pour une part non négligeable, c’est à nous de choisir comment nous-nous adapterons.
Anthropologiquement, depuis 300.000 ans, nous n’avons pas cessé de le faire, et c’est la raison pour laquelle nous sommes toujours là.

 

La fin du design thinking ? 3 Mai 2024


Avec Laurent MARTY, nous avons eu une conversation sur le design thinking, sur la supposée fin du design thinking, sur ce qui fait l’esprit d’innovation, et tout plein d’autres choses passionnantes.
On vous en fait profiter, ici : https://www.linkedin.com/pulse/la-fin-du-design-thinking-laurent-marty-f1phc/

 

Inspiration estivale 1 Mai 2024


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Dans les temps anciens, le calendrier celtique était découpé différemment du nôtre, l’actuel grégorien.

Les saisons par exemple : l’été celtique allait de début mai à fin juillet.
Début août, techniquement, était donc déjà le début de l’automne. Vous y penserez lorsque vous viendrez en vacances en Bretagne « pour le 15 août »…
D’ailleurs non, ne venez pas. Il pleut tout le temps en Bretagne, c’est nul et il n’y a rien à y faire.
Surtout dans le Finistère. Ne venez pas.

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Le roi qui tomba de cheval en 1404 8 février 2024

Filed under: organisation,Recrutement,Société — Yannick @ 06:06
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En ce jour, huit février de l’année 1404, le roi de Corée Taejong (이단) tomba de cheval durant une partie de chasse.

Très embarrassé, il se releva, regarda autour de lui et ordonna qu’on ne laisse pas l’Histoire se souvenir de cette maladresse.

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King Taejong of Korea, who fell from his horse on 8th february 1404.

A sa grande déception, les historiens de la cour qui l’accompagnaient partout choisirent non seulement de décrire cette chute dans les annales de la dynastie Joseong, mais aussi de mentionner que le roi avait demandé que ça ne soit pas fait.

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Six-cent-dix-neuf ans plus tard, l’Institut National d’Histoire Coréenne maintient cet héritage pour la postérité.

Quand on prend conscience des efforts d’occultation ou de déformation que fournissent certains régimes politiques pour contrôler le passé, il n’est pas difficile de comprendre les enjeux liés à la manière dont l’histoire est collectée (d’abord), archivée (ensuite) et racontée (enfin). L’histoire est l’un des lieux intellectuels par excellence où se joue la recherche, la discussion, la transmission d’une vérité qui se doit d’être à la fois factuelle et honnête.

Et, en l’occurrence, les archivistes coréens sont des radicaux dans leur genre, depuis environ l’an 62 avant notre ère.

Il existe un récit où le roi Taejong (encore lui) se plaint (encore) d’un scribe qui s’était déguisé pour pouvoir l’espionner et constater de visu ses faits et gestes.

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Personne n’était autorisé à voir les archives du royaume, même pas le roi. L’un d’entre-eux essaya quand même et tua cinq des historiens dynastiques. Leurs collègues firent en sortent que ça ne se produise plus jamais, non pas en obéissant au roi, mais en interdisant la modification des archives officielles, qui devint un crime puni de mort.

Même lorsque des factions politiques rivales tentaient d’influencer les rédacteurs, ceux-ci notaient qui avait demandé quoi et notaient les révisions dans une autre archive. L’original restait ainsi distinct des autres.

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Ils faisaient également grand cas de ce que nous appellerions le back up de leurs données.

Il y avait quatre copies similaires et lorsque trois d’entre elles furent perdues dans les guerres d’Imjin, ils en firent cinq de plus pour être bien certains qu’un total de neuf copies ne pouvait pas disparaître totalement, surtout en étant stockées dans des lieux différents.

Un de ces exemplaires fut perdu lors d’une rébellion, un autre fut partiellement détruit lors d’une invasion, et l’envahisseur japonais en vola un qui fut transféré à l’université de Tokyo qui fut à son tour perdu lors du tremblement de terre de Kanto en 1923. Quarante-sept tomes des archives nationales coréennes furent préservés et restitués par le Japon en 2006.

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Désormais tout est disponible au format digital, traduit en coréen moderne, librement accessible par tout un chacun. C’est en ligne ici.

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Il en a fallu de la détermination, par des générations d’archivistes méticuleux, de copistes incorruptibles et d’historiens déterminés, et une administration soigneuse, pour rendre possible cette blague irrévérencieuse :

joyeux jour anniversaire au roi Taejong, qui tomba de cheval le 8 février 1404 !

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Mon train, ma crise 14 juin 2023


Le vendredi 9 juin 2023, la SNCF a connu un incident majeur sur les liaisons ferroviaires partant, ou arrivant, en gare de Paris Montparnasse.
J’étais dans la foule des anonymes qui se sont retrouvés coincés en gare.

-merci de noter que ceci n’est pas un post anti-SNCF.
Ce REX a vocation à faire en sorte que la prochaine fois, nous faisions moins pire, ou mieux. Si possible pas pire.-

Arrivé sur place vers 17h30, je me suis posé tranquillement dans un coin, tout en constatant qu’il y avait beaucoup de monde. Ce n’était pourtant pas un jour de grand départ en vacances ? Bizarre.
Après un moment, je me suis approché des voies pour vérifier d’où partirait mon train, et, là, je me suis retrouvé sous la zone sonore des haut-parleurs qui annonçaient un « problème électrique » et « des retards à prévoir ».

C’était donc cela, les crachouillis que j’entendais depuis le début, sans comprendre ce qui était dit.
La mauvaise sonorisation de la gare ne m’a pas permis d’être correctement informé alors même que j’étais déjà sur place.
(vous me direz : tu aurais pu te rapprocher des quais bien avant, crétin, et tu l’aurais eue cette information… Certes. Mais c’est le mode de fonctionnement normal d’une situation de crise, il faut considérer que tout le monde est diminué dans ses capacités, déboussolé, fatigué, pas attentif. En tant que crétin, je représente le niveau d’intelligence moyen)

En une heure, deux trains TGV sont partis de la gare, ce sont les seuls qui ont été annoncés avec la voix de « Simone« . Clairement audible, et suffisamment forte pour être entendue en surimpression des autres bruits de la gare.
Tous les autres messages étaient transmis par des vraies personnes, micro en main, gêne et stress dans la voix, et visiblement pas par le même circuit de haut-parleurs.

Au fur et à mesure que l’incident prenait de l’ampleur, les trains ne partant plus, les passagers s’accumulaient dans la gare. Et je veux dire partout dans la gare. L’escalier menant au Jardin Atlantique, sur le toit, était bondé. J’ai eu l’envie d’aller dehors prendre l’air… mais j’ai pensé que si je parvenais à sortir, il était bien possible que ne parvienne pas à revenir, compte-tenu de la foule.
Dans de nombreux endroits, il n’y avait pas la place pour s’asseoir, il fallait rester debout.
Quelqu’un a-t-il compté combien nous étions ? Dix mille ?

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Je n’ai pas eu le sentiment de dépasser le seuil des six personnes par mètre carré, zone de danger qui provoque les bousculades mortelles.
C’était un pur hasard -et une chance- car personne n’a semblé organiser la chose, afin qu’une bousculade ne se produise pas. Existe-t’il un système automatique de détection de la densité de la foule, pour éviter que le seuil potentiellement mortel de six personnes par mètre-carré soit atteint, ou dépassé ? J’ai un doute. Le risque de bousculade n’est qu’un exemple. La situation de crise doit considérer que la crise n’est qu’un risque. D’autres peuvent surgir. On appelle cela le risque de sur-accident et, croyez-moi, vous n’avez pas du tout envie que cela se produise.
C’est sans doute le point d’amélioration majeure qu’il faut signaler : la gestion de crise dans la gare et, plus généralement, pour les voyageurs en attente : j’y reviendrai ci-dessous.

Les heures passant, les écrans ont cessé d’afficher les retards en minutes, et des heures ont commencé à apparaître.

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Puisque la nature de l’incident était connue dès le début, quel était l’intérêt d’afficher des retards en minutes ? Une rupture de caténaire, c’est du lourd, au minimum trois à quatre heures d’intervention. Si le public est informé honnêtement, il peut prendre ses dispositions, à commencer par ne pas venir en gare. Ou aller s’acheter à manger pour le prochain repas. A l’inverse, ici, nous avons eu le sentiment d’une tentative de minimisation du retard.

Afficher la durée moyenne d’un incident, selon le type d’incident, est plus pertinent que d’afficher le retard probable au fur et à mesure qu’on reçoit l’information.


Certains commerces alimentaires en gare ont baissé leur rideau métallique à l’heure habituelle, 19h, d’autres ont poursuivi la vente, tant qu’ils avaient du stock à vendre.
Lorsque vous êtes immobilisé depuis des heures, l’impact psychologique de voir un rideau métallique se fermer n’est pas négligeable : ces gens-là partent, ils seront chez eux d’ici peu, et moi, personne ne se préoccupe de ma situation.

Pour ajouter à l’effet psychologique, les SMS automatiques s’accumulaient sur les téléphones. En cinq heures, j’en ai reçu vingt-et-un.

L’accès au(x) réseau(x), électricité, téléphone et internet, a permis de maintenir le lien entre les voyageurs et leurs proches, ou a permis d’accéder à une distraction bienvenue. C’est a minima un baume apposé sur votre stress.
En revanche, le réseau wifi public de la gare était inaccessible, je l’ai vu apparaître dans les « réseaux disponibles » sur mon téléphone vers vingt heures seulement. Et bien sûr, les batteries des appareils mobiles n’étant pas extensibles, les prises électriques de recharge devenaient une denrée convoitée.

D’une manière générale, la capacité d’auto-organisation, par les voyageurs eux-mêmes, a été remarquable. Voir les gens qui se parlent, le ton poli qu’ils adoptent, le fait qu’ils se dépannent, se prêtent des trucs, est un excellent indicateur (ou pas) de la solidarité collective qui règne. Une bonne illustration concerne le partage des prises de courant. Ceux qui arrivaient devant une prise déjà utilisée montraient que leur appareil était réellement à court d’énergie, batterie vide, et la personne présente avant eux leur cédait sa place.
Ailleurs, là où il n’y avait pas de prise accessible, j’ai personnellement dépanné deux personnes avec ma batterie externe (in Zendure i trust).
Cerise sur le gâteau, pour moi, mon téléphone était HS. Merci à la dame qui m’a prêté son téléphone pour que je passe un appel.


Vous n’avez aucune intimité. Grattez-vous le nez et tout le monde le verra. Mangez, vous mangerez en public. Si vous-vous déplacez, il vous faut embarquer tous vos bagages. Vous voilà confronté à l’expérience de l’exode. Vous êtes un nomade malgré vous, un réfugié. L’inconfort mental n’en prend que plus d’ampleur : vous évoluez dans une situation qui vous est totalement étrangère.
…et pendant toutes ces heures, la température ambiante était autour de 26 degrés. L’inconfort physique d’être immobile, debout ou assis, le brouhaha, le stress de vos voisins, la fatigue de la journée… tout cela est démultiplié par le fait que vous transpirez. Et ce n’est pas vrai que par temps chaud. Le froid génère le même sentiment d’être, à l’intérieur, aussi défraîchi que vos vêtements le sont à l’extérieur. Croyez-en quelqu’un qui aime l’hiver à Brest.
C’est donc aussi une expérience qui concerne toute votre personne. Corporelle, physique, mentale.

J’avais la chance de n’avoir que moi à m’occuper et de ne porter qu’un sac à dos moyennement lourd. Je l’ai déjà dit, et je le redirai : le voyageur heureux voyage léger.
Ce n’était pas le cas des gens voyageant avec des enfants, avec des animaux, ou ceux qui se retrouvaient dans l’obligation de gérer quelqu’un d’autre, loin, auprès de qui ils étaient censés déjà être. La force avec laquelle les gens s’agrippent à leur téléphone portable quand ils parlent est un bon indicateur de leur niveau de tension nerveuse. C’est comme ça que j’ai assisté au spectacle d’un papa en costume-cravate, parlant au téléphone avec son enfant, et lui expliquant où trouver la salade de riz et la vinaigrette dans le frigo familial.
Il n’était pas stressé par sa situation à lui, en gare, il était stressé par la situation de cet autre, lointain.
J’espère que sa batterie a duré encore longtemps.

Et durant toutes ces heures, la vie locale continue.
Des Parisiens traversaient la gare avec leur vélo… ou du moins ils s’engageaient pour le faire, se rendaient compte qu’ils ne pouvaient pas avancer, mettaient leur vélo au-dessus de leur tête et progressaient à travers la foule (avec précaution car il ne s’agissait pas de trébucher et de tomber sur autrui).
Davantage que les vélos (ou les trottinettes), le type de matériel que j’ai vu poser le plus de problèmes était les valises à roulettes.
La valise à roulettes est une plaie. Son usage n’est plus approprié quand il y a foule, et pourtant personne ne pense à rabattre le bras télescopique et à la porter à la main.
Dès lors, la personne qui vous suit se prend les pieds dedans quand vous ralentissez le pas. La personne qui va vous croiser doit recalculer sa trajectoire pour ne pas percuter cet objet traître qui vous suit à ras du sol. Quand vous tournez, elle tape les mollets, tibias, ou coins de murs. Elle fait tomber les valises immobiles des autres personnes. Elle se prend dans les sangles et les robes longues.
Toute file d’attente s’allonge proportionnellement de la distance de tous les gens qui traînent leur valise derrière eux.
…et leur utilisateur ne peut même pas s’en servir comme tabouret, car elles ne sont pas faites pour ça.
Au moins, pour ceux qui ne sont pas concernés, ça fait un spectacle amusant.

Vers 22h, il a semblé y avoir de l’animation. Des gens marchaient vite à travers la foule (ou essayaient de le faire). Il faut noter que le sentiment d’urgence n’était pas assez présent pour qu’il y ait une bousculade.
Puis, parvenus devant le quai (le n°7 si je me souviens bien), certains couraient comme des dératés et montaient dans un TGV.
Où vont-ils ? Est-ce qu’il s’agit de mon train ? C’est la question que dix mille personnes se posent simultanément.
Aucun affichage, ni aucun message sonore pour préciser la destination, ou les gares desservies. Une trentaine de voyageurs se sont engouffrés dans ce train. Le train est parti. Personne n’a su vers où. Je suis certain que certains voyageurs sont montés dedans sans savoir où ils allaient atterrir à l’arrivée.
Et les autres, comment ont-ils su ?!

C’est le moment où j’ai assisté à un esclandre : un voyageur s’est énervé face à un agent SNCF, pour lui intimer de dire où était parti ce train. Mais hélas, le personnel SNCF ne génère pas l’information utile par magie. Personne ne savait.
Attendre des heures, passe encore, hein. Mais si, en plus, les trains partent sans qu’on sache s’il aurait fallu qu’on soit dedans… les autres personnes alentour n’étaient pas suffisamment exaspérées pour que l’énervement d’un seul les contamine tous. N’empêche, cela aurait pu être l’étincelle qui met le feu aux poudres.
Pour autant, en six heures d’attente en gare, je n’ai vu que deux fois des gens crier, perdre leur sang-froid à juste titre, et s’énerver réellement. Et c’est un pur hasard que, finalement, tout se soit aussi bien passé. C’était une crise, pas une catastrophe. N’importe quelle perturbation supplémentaire aurait pu pousser la foule au-delà du supportable (le sur-accident, souvenez-vous). Car je suis convaincu que cela aurait pu être vraiment catastrophique. Le stress est très contagieux. La peur est hautement contagieuse. Et comme il n’y avait aucune gestion, par aucune figure d’autorité quelconque, cela aurait très bien pu se produire. La prochaine fois, peut-être ?

COJO 2024, ça vous concerne aussi.


J’attire ici votre attention sur le fait que de courageux agents SNCF étaient présents, (les « volontaires de l’information »)… et il leur en a fallu du courage, car ils en savaient aussi peu que tous les autres.
C’est en allant à tout hasard vérifier s’ils savaient quelque chose, devant le quai n°1, que je me suis rendu compte qu’il y avait un énorme stock de bouteilles d’eau offertes gratuitement. Et cinq policiers, juste à côté, qui étaient là pour… quoi ? Pour protéger l’eau ?
Personne n’était au courant qu’il y avait cette eau. Il n’y a eu aucune annonce.

C’est là que l’idée a germé en moi : les problèmes de circulation des trains sont une chose. Ça dure des heures et c’est un gros souci. La préoccupation d’informer les voyageurs est évidemment légitime -et requise- de la part de la SNCF.
Mais… mais, ce n’est pas ce qui compte quand vous attendez depuis cinq heures, le cul posé sur du béton. Vous avez besoin de constater que la situation est gérée, là où est posé votre cul.
C’est ce qui a manqué en ce vendredi 9 juin : l’organisation et la coordination de l’aide, en gare, ou dans les trains immobilisés. Distribution d’eau. De ration-repas. Accès aux toilettes. Soin psychologique de tranquillisation. Couvertures. Serviettes hygiéniques. Lingette et couches bébé. Gestion des situations individuelles d’urgence. Éventuellement actions de secourisme.
Quelque chose dont le centre de gravité consisterait à dire : Ecoutez, c’est le bordel, on est au courant. On n’en sait pas plus que vous sur les trains, mais on va faire en sorte que, ici, ça se passe le moins mal possible en attendant.
Les secouristes appellent cela les situations « à moyens dépassés » : agir pour gérer un pan de la situation, celle sur laquelle vous avez les moyens et les compétences pour agir. C’est précisément ce qui ne s’est pas produit. La SNCF, en tant qu’institution, ne sait visiblement pas faire cela. Et peut-être n’est-ce pas à elle de le faire. C’est le cœur de métier d’organismes comme la Croix-Rouge, ou de la Protection Civile, pour n’en citer que deux.

Bref, le sentiment d’abandon était palpable. Les voyageurs l’avaient, mais aussi les cheminots, balancés par leur propre employeur devant dix mille personnes, pour faire de l’information, alors qu’eux-mêmes n’avaient pas d’information. Leur seule option était d’appliquer la mère de toutes les procédures : la PBM.
Salutations à celui qui m’a avoué son impuissance d’un long regard entendu, en transpirant à grosses gouttes. Davantage que moi.

Le sentiment d’abandon allait donc croissant, renforcé par les différents magasins qui fermaient leurs portes au fur et à mesure que la soirée avançait. Et la lumière du jour qui diminue.
Nous avons commencé à penser qu’une nuit en gare n’était pas irréaliste.
Pour certains Parisiens venus prendre un train à Montparnasse, le demi-tour n’était plus possible, car leurs propres trains de banlieue avaient terminé leur activité pour la journée. Eux aussi se retrouvaient immobilisés.

Sur les écrans, le délai de retard pour les trains dépassait les trois heures.
La voix de Simone annonça un train en provenance Brest, arrivant en gare avec un retard de quatre heures. Applaudissements de la foule. Était-ce un soutien aux passagers qui arrivaient ? L’espoir que ce train serait le leur quand il repartirait ? Un sarcasme à l’égard de Simone ?
Toujours est-il qu’un trajet Brest-Paris dure six heures. Avec quatre heures de retard, ces voyageurs débarquaient donc après 10 heures dans un train. Il n’y avait personne pour les accueillir, pour une bouteille d’eau, ou pour je-ne-sais-quoi.
J’insiste sur le fait que, même si personne n’a besoin de rien, la simple présence de quelqu’un « au cas où » est déjà la preuve que l’institution qui vous a fait voyager s’est préoccupée de votre sort. Et eux, dans les trains, ils ont dû l’avoir ce sentiment d’abandon, de délaissement, de non-empathie…
Car le pire, en situation de crise, est le sentiment d’enfermement (réel ou imaginé). En gare, nous étions immobilisés. Mais la gare est vaste. C’est grand, il y a visuellement de l’espace et vous pouvez toujours sortir. Dans un train, c’est l’opposé. C’est dans les trains bloqués que la situation est la pire. Je serais bien curieux d’avoir l’avis de celles et ceux qui étaient dedans. Il y a eu environ quarante trains bloqués. Minimum 500 personnes par train, si c’est un duplex mono-rame. Le double, dans un duplex double-rame. Vingt à quarante mille personnes en rase campagne. Quarante trains, quarante équipes d’assistance auraient pu être dépechées vers eux par les organismes dont je parlais ci-dessus, guidés sur les emprises ferroviaires par des professionnels du train. Ça n’a pas été le cas.
L’étuve, peut-être l’absence d’électricité, le noir, peut-être pas de réseau téléphonique ou internet, peut-être pas de toilettes fonctionnelles, ni d’eau, ni de clim. La transpiration. Le CO2. Et des gens qui se mettent à avoir le souffle court. Qui paniquent. C’est dans ces situations que des passagers forcent l’ouverture des portes et descendent en pleine voie, parce que oui c’est dangereux, mais à leurs yeux, c’est moins pire que de demeurer enfermés.

Les heures passaient. Lentement. C’est étrange cette extensibilité du temps, quand on n’a pas envie d’être là. Certains s’extirpaient de la foule, dans le grand hall, pour se poser davantage à l’écart sur les quais le long des voies.
A cet endroit, il n’était plus possible d’avoir un contact visuel direct avec les écrans d’affichage -le doudou auquel chacun se rattachait jusque-là-. C’était le signe que ces personnes renonçaient à avoir une information rapide, ou une information tout court. Une réorganisation subtile se met en place : certains se positionnent pour dormir sur place. Et le fait est que tout a totalement été interrompu en gare Montparnasse à minuit, jusqu’à la reprise du service le samedi matin.

Et puis, miracle, un micro grésille. Votre train est annoncé. La totalité des passagers concernés siffle et applaudit et crie. Le soulagement.
Et deux fois 500 passagers se mettent en mouvement, un fleuve parmi la foule, sous les regards curieux des malchanceux dont le train n’a pas été annoncé. « Bon retour ! » « Merci ! » « Bon courage à vous ! » « Bonne nuit ! »

Vous montez dans votre train, après avoir vérifié la bonne destination et, par précaution, après avoir demandé confirmation à vos voisins. C’est le bon. On monte dedans. Expérience étrangement familière.
On ne s’attend plus à aucun standard habituel. Mettez-le en route, et on arrivera quand on arrivera. Finalement, c’est le standard minimal, celui qui compte.
Trois fois le départ imminent est annoncé. La quatrième fois est la bonne. Le paysage bouge derrière les vitres. On est partis.
Il y a des passagers assis dans les escaliers de la rame duplex, d’autres sont assis par terre. C’est la destination l’important, pas le fait d’avoir un billet en règle. Un jeune militaire avec son immense sac est allongé sur le sol. Il semble dormir déjà, la joue sur la moquette. Il a sans doute connu pire.

Courageusement, l’équipe de bord fait un passage dans les couloirs. Ce soir, ils ne feront d’action de contrôle des billets…
Leur présence rend visible le fait que les voyageurs ne sont pas laissés à eux-mêmes, contrairement à la gare. Personne ne fera de remarque désobligeante. Pour autant, il n’y aura pas la question « est-ce que quelqu’un a besoin de quelque chose ? ». Et, en voiture bar, il n’y aura rien d’offert.

L’annonce en cours de voyage fait rire tout le monde : heure d’arrivée à Nantes 2h15 du matin. Le train à destination de Pornic arrivera une heure après. L’autre train à destination des Sables-d’Olonne se détachera à Nantes et poursuivra son chemin pour arriver vers quatre heures trente.
C’est tellement grotesque que c’est drôle. Lorsque la chef de bord annonce les horaires, nous entendons, dans son micro, les autres passagers éclater de rire aussi.
Bon. On est dans le bon train, il est en route. Le reste… on n’est plus à ça près.

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L’heure qui compte : 1h21 du matin. Les autres horaires affichés sont ceux, théoriques, de votre voyage initial, qui vous rappellent à quel point vous êtes vraiment en retard.

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Et puis après un moment, le cliquetis du micro se fait à nouveau entendre. Il vous réveille.
Tout compte fait, le train sera terminus Nantes. Les passagers à destination de Pornic et Sables d’Olonne dormiront à Nantes dans une rame-dortoir.
Un message sans précaution. Dépité. La chef de bord elle-même a du mal à dire les mots. Elle n’est que la messagère, ce n’est pas elle qui est à l’origine de cette énième contrainte.
En France en effet, ce sont les régions qui sont les Autorités Organisatrices des transports. Et il se trouve qu’en région Pays de Loire, les circulations ferroviaires ne fonctionnent pas la nuit. En tant que voyageur impliqué, je reformule : cette nuit, même cette nuit, spécifiquement, personne n’a fait en sorte qu’elles fonctionnent. Bref. Le voyage ne pouvait pas se poursuivre.
Cet aménagement organisationnel et ce découpage administratif auront eu pour conséquence d’empirer la crise pour ceux qui la vivaient.
Vérification faite, le lendemain, tous ces gens auront passé la nuit, assis, dans une autre rame de TGV, et se seront fait sortir à 6h, car le train en question devait être mis en mouvement.
J’espère que quelqu’un a pensé à leur sécurité, la nuit, et à ne pas leur faire payer le petit-déjeuner.
A partir d’un poste de coordination de crise à Montparnasse, d’autres PC Crise auraient pu être activés dans toute les gares de France au fur et à mesure qu’y arrivaient (tardivement) des trains en provenance de Paris.
Dans les préfectures, ou les services administratifs régionaux, cette nuit-là, combien de personnes ont été réveillées et sollicitées pour « faire quelque chose » à ce sujet ? Il n’y a pas eu de coordination inter-services.

Donc, bon gré mal gré, vous arrivez à destination.
Au sortir du train, visages fatigués mais sourires et humour. « Bonne continuation » « Bonne nuit » « Bon courage pour la suite » « Après vous, je vous en prie, on n’est plus à ça près… »
Et vous-vous retrouvez sur le quai, seul avec tous les autres, sans personne pour s’enquérir de vos éventuelles urgences, sans personne pour vous remettre un dépliant avec l’adresse internet de la « garantie G30 », ou une bouteille d’eau, ou, un bon de prise en charge par un taxi.
Depuis le début, le sentiment d’abandon était présent, il se confirme dans ces dernières minutes en gare. L’absence d’empathie de la part de toutes les institutions concernées vous laisse un goût amer, parce que si c’est arrivé ce soir, c’est que ça se reproduira. C’est un problème d’organisation, pas de technologie.
Vous rentrez donc chez vous comme vous pouvez (et si vous pouvez), une douche, et dodo.

Le lendemain, vous fouillez sur internet pour demander le remboursement de votre billet de train. Vous n’avez pas reçu un texto pour vous simplifier la tâche.
Vous tombez sur une page du site web SNCF, qui vous renvoie vers un chatbot, qui lui-même vous demande niaisement : « Dites-moi quel est l’objet de votre visite, ou laissez-vous guider par les boutons ci-dessous ».
Dis-donc bonhomme, t’es pas au courant ? Il faut en plus que je te dise pourquoi je suis là ?! C’est la cerise sur le gâteau, en termes d’expérience utilisateur. Je l’ai dit et je le redirai : l’UX, ce n’est pas que les écrans. Loin de là, même.
…et dans la mesure où chaque billet TGV est nominatif, l’entreprise ferroviaire sait déjà qui a acheté un billet. Le remboursement pourrait être automatique, avec un mail de confirmation qui vous en informe.
Ça ne sera pas le cas. Et personne ne s’enquerra des dépenses supplémentaires, et annexes au voyage, que vous auriez pu engager lors de cette mésaventure.

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Under fire 26 Mai 2023


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L’assaut du pont de Verbanja : dimanche 27 mai 1995.

Dans la nuit du samedi au dimanche, des combattants serbes (République Serbe de Bosnie) vêtus d’uniformes français volés prennent possession du poste d’observation Sierra Victor géré par l’armée française, sous mandat de l’ONU. Pas un coup de feu n’est tiré et 11 soldats sont faits prisonniers.
Outre l’évidente humiliation militaire pour les Français, la perte de contrôle du pont de Verbanja (Vrbanja) donne aux Serbes la possibilité d’élargir leur contrôle de la ville de Sarajevo et de menacer la population civile qui s’y trouve. Au petit matin, décision est prise de recourir à la force pour reprendre le contrôle de cet avant-poste…

Jusqu’à ce jour, c’est le dernier assaut mené par l’armée française avec les baïonnettes aux canons.

Le compte rendu de l’assaut est rédigé par le lieutenant Héluin, du 3e régiment d’Infanterie de Marine (3e RIMa) à l’époque. Ce témoignage reste un modèle du genre en ce qu’il donne à voir ce qui fait le combat : vaincre sa peur, puis parvenir à se mouvoir, sous le feu.
Bruno Héluin est aujourd’hui colonel, détaché à l’OTAN après avoir été chef d’état-major de la 9e Brigade d’Infanterie de Marine (BIMa), à Poitiers. Le capitaine Lecointre de 1995 est aujourd’hui général, chef d’état-major des Armées.
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Le 27 mai 2015, ce document est publié sur ce blog par mes soins, traduit pour la première fois en anglais, à l’occasion des 20 ans de cette bataille.

La version française originale fut publiée pages 7 – 9 dans ce numéro des Cahiers de la Réflexion Doctrinale (Ministère de la Défense).

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In 2015, 20 years after the events, i translated the firsthand report of the assault led by french troops against the VRS forces (Serbs) in 1995. It was written by its main protagonist, Bruno Héluin, who is now the french envoy for NATO at the Norfolk military base.

Many of you maybe weren’t even born at that time, during the Yugoslavian civil war of 1991 – 2001… many others will have never heard of this battle. But in no case are we allowed to forget the chaos, raw violence and the training and mental skills needed to even manage to move in such situations. Because this is what combat is made of : the ability to overcome your fear, then to move, under fire.

It’s the only version published in english. And until now, it’s been the last assault by french troops led with fixed bayonets.
Read below, or click here to open in .pdf Under Fire.

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Under fire

« May, 27th 1995, 08:45 am.

I am lieutenant Héluin, leading the first squad of the 3rd RIMa forbans (1) and i’m walking across the streets bordering the jew cemetary towards the bridge of Verbanja.
About an hour ago, i have been assigned a very simple mission : retake the french outpost along the bridge, that the Tchetniks (2) overtook during the night.

My plan is to attack simultaneously the three small bunkers with a group of three pairs of soldiers (3) for each of these targets. Each pair has a precise arriving point.
I left my adjunct behind with the armoured VAB (4), the snipers with a Mac Millan shotgun and the antitank shooters. His task is to provide support fire from the heights. When i gave him that order, he looked at me, desperate : « Lieutenant, you can’t do that ! ».
Captain Lecointre is with us to manage the squads’ environment, especially the support fire of the RICM (5).

Guided by a bosnian soldier we arrive inVrbanja_bridge_span_view sight of the outpost.
I regroup the squad and realize we’ve left in the VAB the two doors we were supposed to use to pass over the barb-wires, poor kit by lack of an appropriate material.
Nevermind. I look at my marsouins(6). They’re calm and silent. Just like them, i feel strangely serene. It’s true that since i woke up, three hours ago, i’ve not had a minute to think about the danger.
I have an absolute trust in my chief and in my men.

On my call, we run downhill bayonet at gunpoint in the trench about fifty meters from the first target, supported by a bosnian cover fire. We’re wearing complete ballistic protections, those designed specificaly for idle guards. Some of my men are in full dress uniform. They didn’t knew, a few hours ago, that today’s high point wouldn’t be the expected military parade but an assault.
First, i throw in Le Couric and his group towards the farthest target, the western guard post. I see them running, then stopping in front of the barb-wires surrounding the post. They’re unable to pass over and the bullets begin to fly from the Prisunic building overhanging them. A 90mm shell strikes it followed by 7,62 and 20mm bursts coming from our RICM squads. We’re now into a bubble of explosions, fireshots, bangings, whistlings and impacts.
Powerless in front of the barb-wires, a marsouin is dazed looking at his perforated thigh. Another has two fingers cut off. A bullet is stopped by his neck protection. They’ll stay on site, without any morphine because it’s been forbidden in the emergency medical kits by fear of addiction.
Two other guys are literally emptied of their energy because of the violence surrounding them, they’re like ragdolls. The group is out of action.
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My plan has been put to the test and it has lasted two minutes thirty seconds. I have to react immediately. Instead of catching the three targets simultaneously, we’ll clean them up one after the other beginning with the eastern guard post. We’re all going to pass the barb-wires in front of us, 90 degrees from those that stopped the first group but beyond a no man’s land of fifty meters in the Serbs’ line of fire.
I rush towards the Miljaca river followed by the second group, while the other marsouins return fire against the ennemy snipers in the nearest building.
On my left side, Dannat, the paramedic, falls down with a perforated lung. He raises up and walks to the rear, crossing the looks of the others walking to the frontline, hypnotized by the blood flowing on his arm.
On my right, Djaouti falls down. I am now facing the barb-wires and despite the twelve kilos of my bulletproof vest, my weaponry and my useless PP39 radio, i manage to pass over the wires followed by my men. We find ourselves in the middle of antitank hedgehogs and turn left towards the target.
Bullet rounds begin to fall on us like in Gravelotte (7).
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My brain is like the focal of a huge camera. At the moment, i am in panoramic mode. I turn around and see my minimi shooters firing on all doors and windows of the Prisunic building. One of them, Coat, runs to a wounded guy and takes his ammo. The guy carries a FAMAS gun (8), which ammo doesn’t fit into the minimi : he has to unload each round and reload each again in his own magazine. Suddenly his head has a strange movement and he falls on his side.

I continue my way toward the earth barricade that protects the target’s entryway. I feel the need to open fire but my gun refuses to work. I think i should stop to check it, but i have no time.
At no moment do i think i may have forgotten to arm the weapon.
To my side, Dupuch stops : « i’m wounded ». He checks himself for a second « No, it’s all good ! » and resumes his run. Indeed, he’s really been shot at, but the bullet has pierced his gourd and got stuck in his flashlight. We stockpile ourselves on the barricade in front of the entryway.

A few seconds ago i was working in panoramic mode, now nothing exists except the barb-wires through which i throw the grenade that Dupuch gave me.
Explosion.
I run bayonet forward, firmly decided to skewer the first Serb that will cross the corridor. The men are glued at my side, two by two. We’re hardly ten fighters, one-third of the initial number. The squads quickly refitted in one assault element, lead by me with buddies progressively added during the action and a second element designed to protect our backs and « clean up ».
One move and Dupuch runs into the eastern guard post, while Llorente throws a grenade in the toilets’ corridor. Humblot and Jego follow up, i send them on the roof to support us from above.
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We resume toward the second target : a container we used to live in before the Serbs took possession of the area. Delcourt comes forward in the corridor when a burst forces him to back off. I get a grenade from captain Lecointre and throws it beyond the curtain that separates the container in two.
When i surge into what had been our dining room, i see a wall of fire raising and sliding above me on the ceiling. I shout : « the gas cylinder ! »
Dupuch and Delcourt back off hastily. Half a second later i hear a terrible blast and i see very clearly a small object rushing at me in a background of flames.
I feel like i’m in a slow motion movie. My left eye is violently hurt and i’m pulled backwards while a spit of blood is thrown the other way. The men look at me and hesitate.
I mumble what i think are clear orders to have them moving forward. I have some more time left to tell the captain i don’t feel very good, then i collapse on the floor.
I get conscious again a moment later, awakened by the impacts of bullets in the earth bags i’m sitting on. I’m covered by blood. I raise up, leave the building towards the Miljaca river. An explosion sends me back inside. I am like a little mouse in a labyrinth, banging on the walls.
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My brain is working intermittently. I see a marsouin aiming at the last building kept by the Serbs.
« What you doing there ? »
« This is where i was supposed to be, at the end. »
In the complete chaos of battle, this man held to the orders i gave him before the assault.

Then i understand the captain is leading the fight since i collapsed. He is determined to eliminate the Serbs in the remaining room and save the French hostages. With the bunch of guys remaining, he shoots down two Tchetniks.
One of them smiles and says « French, good fighters ! » but the others manage to escape with the last prisoner. On the radio, i call Cheick and orders to send a sniper and an antitank shooter. I want to put them in front of the building.
I walk in the devastated outpost. In the living area, there are three Serb prisoners and a corpse, also Serb, lying in the middle.
Lance-corporal Jego comes at me. I notice his gourd and one of his magazine are perforated. He took a burst in the belly and the bullets were stopped by his kit. His voice is broken : « Humblot is still on the roof. He’s wounded and don’t answer my calls. »
I put myself in support fire, facing the building that overlooks us, while Mandart and captain Labuze go and get Humblot to safety. They’re lying him near the ladder right when the doctor arrives. He checks the pulse and looks at me. « Sorry. Finished for him. »
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The fight is over. I hear that Amaru has been shot by a sniper while he was firing at the buildings from the unprotected turret of his VAB. Seventeen other marsouins are wounded, three of them critically. We killed four Serbs in the outpost and four more are our prisoners. I don’t know the ennemy casualties in the surrounding buildings.
Erring in the corridors, waiting to be relieved, i come across a lance-corporal who tells me to go see a doctor. I walk towards the medical VAB, riddled with impacts, that stopped right before the entryway and i become outraged : « It’s not a lance-copropral who’s gonna give me orders ! » and walk back where i came from. The guy sees me and insists « Lieutenant, you must see a doc ! »
I answer « Oh, okay » and leave again.

Outside, the ground is covered by pieces of kit ripped from the wounded to give them emergency care.
There are many magazines, most of them half-full.
Many guys used the moments of calm to throw away their magazines and replenish with new, full ones. We have used 4.000 rounds in less than ten minutes on the surface of one hectare (about 2,47 acres).

By 10:30am, the platoon of lieutenant Provendier comes to take over the guard from us.
A few minutes earlier, they didn’t even knew an assault had been led. Guys are mute and open great eyes when they see me. I think : « none of them salutes. What’s that mess ! »
I bring Provendier inside to brief him. I get a table, a pen and begin to draw. I don’t even notice the Serb corpse at my feet. My blood is dripping on the paper and it’s when i wipe it with my sleeve that i understand the situation might not be so normal.

My orders given i get with the survivors in a VAB heading to our base, in the Skanderja ice-rink (9). We’re haggards.
Once in Skanderja, we get medical attention then at around 01:00pm i leave with the wounded guys to the military hospital. As soon i lay in my bed, i collapse, exhausted. »
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— NOTES :
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(1) : 3rd Marine Infantry Regiment (french army). Forbans is the nickname of its soldiers, meaning Pirates. About 30 of them were involved in the direct assault.
(2) : irregular soldier, either Serb, Bosnian or else.
(3) : a pair of soldiers going together is called binôme : the association of two fighters complementary to one another. During this assault, one knew the inside settings of the target, not the other one.
(4) : the VAB is an amphibious four-wheeled armoured personnel carrier seating 10 + 2, mounted with an open turret and 7,62 machine gun in its combat version. Also exists as a medical vanguard vehicle, without mounted armament.
(5) : Marine Armoured Cavalry Regiment. About 70 of them were involved in the support fire.
(6) : Marsouin is the usual nickname for soldiers serving in the french marine infantry. Meaning Porpoise.
(7) : The small village of Gravelotte, well known for a famously violent battle between France and Germany on 18 august 1870.
(8) : the service assault rifle of all french soldiers.
(9) : at the time of the Yougoslavian war, the french army headquarters were located in the compound of Sarajevo ice rink.
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[EN :] Check the video below for an account of the events by those who lead the action.
[FR :] Vous trouverez d’autres détails de l’histoire sur ce lien Youtube :

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Sujets de dév 16 février 2022


A la suite des sujets de thèse, je propose ici deux sujets de développement informatique qui pourraient trouver vite preneur. Parce que, pour reprendre un célèbre slogan, il devrait déjà y avoir une appli pour ça…

Si toutefois vous attaquez un jour un projet digital sur la base de ces propositions, je serais très ravi d’être cité comme source.
Appelons cela une rétribution symbolique.

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Propositions de méta-fonctions d’utilisabilité :

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  • Pouvoir basculer tout l’affichage d’un système au profit d’un utilisateur gaucher. Cette particularité physique concerne 8 à 15% d’une population, mettons une moyenne de 10%, ce qui nous donne potentiellement 4,3 millions d’utilisateurs adultes, rien qu’en France.
    Les boutons d’action, les scroll bars, les menus, etc. tout devrait pouvoir basculer du bon côté, du point de vue d’un gaucher.

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  • Pouvoir basculer l’affichage des couleurs d’un système au profit d’un utilisateur daltonien. Cette particularité physique (qui n’est pas que la non-reconnaissance du vert et du rouge) concerne 8 à 10% d’une population.
    L’affichage de n’importe quoi devrait être aussi lisible et non ambigu du point de vue d’un daltonien que d’une personne non concernée par cette affection.

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Lecture d’hiver : L’incident Grajagan 2 décembre 2021

Filed under: organisation — Yannick @ 16:09
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« Ce n’est pas tous les jours que quarante-six otages prennent les armes contre une unité combattante de l’État islamique en Orient.
Dans ce maelström, quelles étaient les probabilités qu’un surfeur désœuvré devienne le compagnon de route d’une comtesse, secouriste de guerre, bien déterminée à faire traduire le responsable de leur calvaire en justice ?
Des Philippines à la pointe du Raz, ce roman fait voler en éclats les stéréotypes et questionne les multiples fanatismes qui font notre actualité.
Terrorisme religieux, capitalisme prédateur et surveillance généralisée, à commencer par celle que la France veut mettre en place, puisqu’elle vient d’élire un président d’extrême-droite…
Ce sont des années folles.
Bienvenue au XXIe siècle. »

 

 

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Un guide d’entretien ethnographique 29 octobre 2021

Filed under: organisation — Yannick @ 20:00
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La recherche qualitative cherche à décrire un contexte social et des motifs d’action ou de prise de décision.
Les données sont collectées par l’immersion passive ou l’observation participante. Comme habituellement dans le domaine de l’ethnologie, la prise de contact directe et in situ est toujours privilégiée par rapport aux méthodes indirectes.

Mais, au-delà de l’immersion dans un groupe pour le comprendre de l’intérieur, les chercheurs peuvent recourir à la technique d’entretien semi-directif, qui se mène en tête à tête, après une mise en confiance des deux interlocuteurs.

Dans le jargon des ethnologues, la personne avec qui elles / ils parlent est appelée un informateur / informatrice. Dans le monde du design et de l’UX, il s’agit d’une utilisatrice(eur).
Ce type d’interview est qualitatif et vise à identifier des axes structurels de comportements.
Il ne s’agit donc pas de dérouler un questionnaire quantitatif et de cocher une liste de questions pour lesquelles on aura recueilli des réponses (vous n’allez pas faire un « sondage »). Au contraire : l’entretien semi-directif permet d’obtenir une grande subtilité de compréhension, grâce à une discussion ouverte et approfondie avec la personne en face de vous.
Répétez après moi : je ne vais pas faire un sondage, je vais avoir une conversation.

A ce titre, pour favoriser la liberté de parole, l’anonymat des personnes doit être garanti (non nominatif, pas d’identification dans la prise de notes). Il est de votre responsabilité de ne pas dire, ensuite, qui-vous-a-dit-quoi. Si quelqu’un vous le demande, d’ailleurs, ce sera extrêmement suspect et on approche de la violation du secret professionnel.
Dans mon petit carnet de notes (in Moleskine i trust), j’ai des verbatims, des descriptions, des gribouillis de schémas, des impressions en temps réel, et je n’ai aucun nom de famille, seulement des prénoms et souvent parfois même pas les vrais prénoms. Les seules critères d’identification sont les miens, pour que l’âme charitable qui retrouve mon carnet perdu puisse me joindre et me le rendre. Une loi de type RGPD ne s’applique pas à mon carnet car je n’y stocke aucune information qui permettrait de retrouver ou d’identifier mes interlocuteurs, directement ou indirectement.

L’anonymat des interviewés est moins absolu dans certains contextes, notamment pour la recherche UX et le monde du travail en général. A ce titre, vous devez recueillir le consentement écrit par un formulaire-type… en comptant sur le fait que n’importe qui a toujours parfaitement le droit de refuser.
Ce droit au refus s’applique non seulement à la prise d’image mais à l’interview lui-même. N’importe qui a le droit de refuser une interview, un enregistrement, une question spécifique, une prise image, sans raison particulière. Ca fait partie du respect que vous leur devez d’accepter sans insister.

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Repeat after me : I am not going to do a ‘poll’, i am going to have a qualitative conversation.
Welcome to ethnographic interviews.

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I. Questions de Grand Tour
L’objectif des questions « Grand Tour » est de découvrir de la bouche même de la personne interviewée les noms des lieux et des objets tel qu’elle les nomme.
C’est aussi l’opportunité d’entendre cette personne parler ou décrire des événements ou des activités tel qu’elle les comprend.
Il s’agit pour le chercheur de comprendre les interrelations de tous ces éléments du point de vue de la personne interviewée.

Il y a quatre grands types de questions Grand Tour :
Vue d’ensemble,
Vue spécifique
Exploration guidée
Grand tour d’une activité.

Exemples
A. Vue d’ensemble (zoom out)
Demander à l’informateur de généraliser, de parler des grandes catégories d’événements :
• Pouvez-vous me décrire une journée normale dans votre travail ?
• Pouvez-vous dessiner le circuit de création d’un passeport, de la demande initiale jusqu’au document mis à disposition du demandeur ?
B. Vue spécifique (zoom in)
Demander à l’informateur de préciser les détails d’un événement spécifique ou ce qu’il a fait un jour précis.
• Pouvez-vous décrire avec vos mots ce qui s’est passé quand vous avez appelé le service d’assistance technique, du début à la fin ?
• Parlez-moi de la dernière fois où vous avez utilisé la foreuse à trépan.
C. Exploration guidée
Demander à l’informateur de vous guider sur son lieu de travail [ou autre] ou de l’accompagner lorsqu’il/elle accomplit une certaine activité. L’acte guidé est alors le support de la description par l’informateur.
• Pourriez-vous me faire visiter l’atelier de carrossage ?
• Puis-je assister à votre après-midi d’appels téléphoniques aux clients ?
D. Grand Tour d’une activité
Demander à l’informateur de réaliser une action et de la décrire à voix haute pour vous aider à en comprendre le contexte.
• Pouvez-vous me montrer comment vous faites pour faire [ceci] ou pour utiliser [cela] ? (Je vais filmer vos mains sur le clavier et ce qu’affiche l’écran)
• Est-ce que je peux vous filmer utiliser la découpeuse et vous poser des questions après ça ?

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II. Questions de Mini-Tour
L’objectif d’un Mini Tour est similaire au Grand Tour, avec une emphase beaucoup plus prononcée sur les détails, les nuances entre les différents éléments ou les sous-catégories tel que l’informateur les exprime.
Par exemple vous avez demandé à un informateur de vous parler de sa journée de travail en agence bancaire et il répète plusieurs fois « …et après je passe le dossier dans le logiciel AAA. » La répétition d’un fait dans la discussion doit attirer votre attention : à ce stade, vous pouvez vouloir lui poser une question de Mini Tour telle que : « Pouvez-vous me décrire ce qu’il fait, ce logiciel AAA ? »

La question de Mini Tour est comme poser une loupe sur un lieu ou une activité dont vous pensez qu’elle peut être importante.

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III. Questions par l’exemple
Les questions par l’exemple sont prégnantes dans tout entretien ethnographique.
Un informateur peut dire « Ces sujets de réglementation RGPD me causent du souci. Mon manager insiste beaucoup là-dessus » et vous pourriez répondre : « Pouvez-vous me donner un exemple du genre de souci dont vous parlez ? »
A première vue l’idée de ‘souci’ peut sembler simple et intuitive, mais les différences entre ce que vous en comprenez et ce que votre interlocuteur désigne peuvent être significativement importantes. C’est votre travail, en entretien, de clarifier ce à-quoi pense réellement la personne. Elle peut reformuler, faire un schéma, comparer… n’importe quoi qui permette de lever les ambiguïtés.

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IV. Questions d’expérience
Les questions ouvertes liées à l’expérience vécue sont très souvent utilisées lors d’une discussion Grand Tour ou Mini Tour.
« Pourriez-vous me parler de certaines expériences que vous avez vécues en conduisant ce modèle de camion ? »

! Pour votre interlocuteur, il peut être difficile de verbaliser les routines et « les choses normales », ce qui amène souvent à la description d’anecdotes liées à des problèmes, alors que les problèmes ne sont pas forcément une composante typique de l’expérience en général. Vous aurez connaissance de ce « en général » par le recours aux questions de Grand Tour qui concernent la vue d’ensemble.

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V. Questions liées aux jargons et langues minoritaires
Si vos informateurs parlent une langue minoritaire, un jargon professionnel très prononcé ou une langue différente de leur environnement immédiat il est pertinent de mener l’entretien dans cette langue. Le premier intérêt de poser les questions dans la langue appropriée est de s’assurer que l’on sera compris sans reformulation, sans distorsion.
Par exemple si le processus de fabrication inclue une étape que l’informateur nomme « la chambre de redresseuse » on pourra demander « combien de temps ça prend le passage dans la chambre de redresseuse ? ». Ne tentez pas de forcer vos mots sur leur activité, c’est l’inverse qui doit se produire.

Plus les informateurs pourront parler de leur activité comme ils pensent qu’ils mènent cette activité, plus vous aurez accès à leur manière de raisonner, ce qui renforcera la relation que vous avez l’un avec l’autre.
Il y a trois grands types de questions liées aux jargons ou langues minoritaires :
Questions directes,
Questions d’interaction fictive
Questions de phrase typique

Exemples
A. Questions directes
Demander comment il ou elle dirait quelque chose.
• Comment vous appelez-ça lorsqu’il y a une anomalie dans la qualité du métal qui sort de la fonderie ?
• Comment vous appelez cette façon de faire ? Ça porte un nom ?
B. Questions d’interaction fictive
Décrivez une scène imaginaire et demandez à l’informateur de parler comme ils/elles le feraient dans cette situation (parler à votre manager pour annoncer un problème qui vous bloque)
• Si vous parliez à un collègue de votre équipe, vous le diriez de la même manière ?
• Si j’étais dans l’atelier de peinture qu’est-ce que j’entendrais les gens se dire ?
• Comment vous diriez ça au directeur ?
C. Questions de phrases typiques
Demander directement que votre informateur vous dise des phrases typiques ou des noms d’activités.
• Vous m’avez parlé tout à l’heure d’ « anomalie majeure » et d’ « anomalie mineure », comment faites-vous la différence ?
• Comment vous dites quand vous dressez un procès-verbal pour une voiture mal stationnée ?
• Dans l’autre équipe ils parlent de « chambre de redresseuse », comment vous l’appelez, vous ?

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That’s all, folks ! :) Pour le reste, la pratique de ce genre d’entretien semi-directif se révélera centrale pour vous construire une expérience, des bases de comparaison, des réflexes et un style personnel -qui a aussi son importance.
Donc : faites-en, plein !

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The semi-direct ethnographic interview mostly requires : you, an informant, a pen and a notebook (in Moleskine i trust).
No complex technology is involved, and the more you’ll do it, the more you’ll gain mastery.

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Une longue histoire du courage 22 juillet 2021


Q : Vous qui travaillez dans les sciences humaines, comment pouvez-vous encore voir le côté positif de… des gens, des sociétés ? Quand je lis les horreurs de l’Histoire et que je comprends qu’il s’agissait de personnes comme nous, bourreaux et victimes, je prends peur que l’esclavage ou les exterminations puissent un jour devenir à nouveau une normalité.

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R : Je peux parfaitement comprendre ce sentiment qui prend aux tripes, oui, très clairement. Il y a eu des évènements atroces au fil de l’histoire humaine. La guerre, la torture, la cruauté. Hommes femmes, enfants… tout, il y a tout eu.
La pire chose que vous puissiez imaginer a sûrement déjà eu lieu même si personne n’est plus là pour le raconter -et se produira encore. Quelque part, à une époque quelconque.

Lorsqu’un trait culturel émerge qui favorise et valorise la violence il s’est toujours trouvé et il se trouvera toujours des personnes pour y souscrire et y adhérer, parce que c’est ce que fait l’être humain : il adopte les valeurs qui sont disponibles, il légitimise n’importe quoi qui permet de faire partie d’une société au sens large. Même le pire, même les valeurs qui justifient le rétablissement de l’esclavage ou d’exterminer les crétins de « l’autre camp ».

Et tous ces évènements horribles le sont encore davantage quand on arrête d’y penser comme des faits historiques anonymes mais qu’on les raconte comme des histoires vécues, à l’échelle individuelle, où la souffrance d’une personne résume toutes les souffrances, multipliée par le nombre de toutes les autres victimes.

Mais il s’est toujours trouvé et il se trouvera toujours des personnes qui rejetteront leur sécurité personnelle pour porter assistance, éventuellement en déplaisant à des gens puissants, ou méchants, ou les deux. Pour chaque tragédie humaine (humaine, trop humaine !), il y a des histoires qui racontent le courage et la bravoure, la tendresse et la ténacité face à une issue qu’on sait éventuellement jouée d’avance. A l’échelle de l’humanité, pour chaque acte de cruauté il y a un acte de gentillesse, pour chaque trahison il y a une alliance. Et la complexité de l’esprit humain étant ce qu’elle est, les opposés peuvent provenir de la même personne.
L’idée de sécurité recouvre diverses formes : physique, financière, familiale, professionnelle, statutaire, etc. mais pour chacune de ces facettes il s’agit potentiellement de la mettre en péril pour le bénéfice de quelqu’un d’autre.
Peut-être descendra-t’elle dans la rue parce qu’elle a entendu crier au secours, peut-être qu’il transmettra une clé USB qui permet d’identifier un crime, peut-être qu’ils hausseront la voix en réunion pour dire non lorsque tout le monde dit oui.
C’est du conditionnel parce que ce n’est jamais une certitude. C’est aussi sur cela que comptent les gens méchants, ou puissants, ou les deux : que personne ne fasse rien. Et l’Histoire montre que c’est parfois efficace… mais jamais très longtemps.

Il y a une infinité d’histoires inconnues où des personnes font le choix d’aider autrui parce qu’ils se soucient davantage des gens autour d’eux que de leur propre situation. Ce ne sont pas celles dont on entend le plus souvent parler, cela ne signifie pas qu’elles n’existent pas.

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Et il n’y a rien de plus puissant que l’idée qu’il existe des gens capables de sacrifice pour en aider ou en sauver d’autres sans rien demander en retour. C’est aussi comme ça que nous vivons. C’est même surtout comme ça.
Car à bien y réfléchir, si homo sapiens a survécu aussi longtemps c’est sans aucun doute parce que les histoires de courage sont vraiment beaucoup, beaucoup plus nombreuses que celles qui racontent le désespoir.

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Within the course of Human history, past, present and future, stories of courage and solidarity are much, much more numerous than those of despair.

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IA et deep learning (1): la constitution des datasets 12 avril 2021


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Tout a commencé en 2012 lors d’une compétition informatique, lorsque la méthode de l’apprentissage profond (deep learning) a prouvé qu’elle était meilleure pour identifier visuellement des objets que toutes les méthodes concurrentes. C’est ce qui a permis d’ouvrir de vastes possibilités dans le domaine de l’intelligence artificielle (IA).
Il était désormais possible de trouver non seulement des solutions au problème technique de la reconnaissance d’image (machine vision) mais surtout il était possible de dupliquer la méthode au-delà des seules images. Le deep learning s’est imposé comme une méthodologie standard qui permet aussi d’identifier les sons, le langage manuscrit, etc.

Pour faire court, le deep learning consiste d’abord à coller des étiquettes de texte sur des images, afin de construire de gigantesques jeux de données (datasets) de référence. On est dans un ordre de grandeur au moins mille fois plus grand que votre gigantesque fichier Excel de 1 giga octet, bienvenue dans le Big Data. Dans un second temps, ces jeux de données sont utilisés comme échantillon pour permettre à des algorithmes d’apprendre seuls à répéter la même tâche jusqu’à être capables de répéter cette tâche en dehors du jeu de données de référence qui a servi à les « éduquer ». 

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La première étape est donc de disposer d’un référentiel de mots bien organisé et ce n’est déjà pas une mince affaire.

La référence du secteur s’appelle WordNet , une base lexicale qui fait autorité depuis les années 1980 (on en avait besoin avant l’ère de l’ordinateur !) et qui compte à ce jour plus de 155000 mots organisés dans une arborescence logique de 175000 sous-ensembles et 200000 paires, du type : carnivore > canidé > chien >  toutou

Ne vous laissez pas avoir par la simplicité de cet exemple… WordNet est géré par l’université de Princeton et si vous voulez ne serait-ce que commencer à comprendre le sujet il est necessaire de s’attaquer à : Fellbaum, Christiane : WordNet and wordnets. In : Brown, Keith et al. : Encyclopedia of Language and Linguistics. 2005

 

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La deuxième étape consiste à disposer d’une banque d’images. L’une des plus vastes est ImageNet   : 14 millions d’images reroupées en 21000 sous-ensembles logiques. On notera que l’arborescence d’ImageNet réplique celle de WordNet afin de permettre une forte coherence entre les deux, jusqu’à pouvoir les faire fonctionner comme un unique ensemble. Car les images seules ne servent à rien. Ce qui fait la valeur d’ImageNet c’est l’association d’images à des mots du lexique WordNet.

Les plus curieux pourront lire avec intérêt : L. Fei-Fei and J. Deng. ImageNet: Where have we been? Where are we going?, CVPR Beyond ImageNet Large Scale Visual Recognition Challenge workshop, 2017

Il est ainsi possible d’avoir des milliers d’images de petite cuillère, annotées “petite cuillère” afin qu’un algorithme soit capable de reconnaître qu’il y a ou qu’il n’y a pas une petite cuillère le plus souvent possible : seule, au milieu d’autres couverts de table, en pleine lumière, dans la pénombre, tordue, partielle, en train d’être utilisée (en mouvement), photographiée, dessinée, schématisée, en ombre, peinte, peinte en noir, peinte en blanc, brillante, sale, absente, etc.

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The process of buiding the datasets requires a huge human workforce in order to link images and names, so that cats are identified properly as cats in multiple conditions. Once this phase is done, manually, over Peta-bytes of data, the dataset will be put in use to train algorithms so that Artificial Intelligence softwares perform as expected beyond the range of their initial « educational » dataset.

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Le processus d’étiquetage est découpé en différentes étapes réparties à l’échelle mondiale, de la plus technique à la moins technique. Au niveau zéro, l’industrie logicielle s’est fait une spécialité d’exploiter des millions de travailleurs pauvres et pas chers, dont vous n’entendrez jamais parler, parce que, justement, ils sont exploités. Tous ces gens ont beau travailler sur ordinateur, cela n’enlève rien au fait que leur activité est proche du travail à la pièce que connaissait déjà Emile Zola au XIXe siècle.

Enfin l’étiquetage final se fait en recourant au crowdsourcing : une force de travail humaine de centaines de milliers (millions ?) de volontaires anonymes qui, la plupart du temps, sont inscrits auprès du plus gros acteur dans ce domaine, le Mechanical Turk de l’entreprise Amazon. C’est ouvert à tous, très bien organisé, vous pouvez y participer et vous serez rémunéré pour le faire. Pas beaucoup non plus.

Une troisième manière de mettre au boulot l’humanité est de recourir à l’outil Captcha, qui vous demande d’identifier par exemple des feux de signalisation sur des images, pour s’assurer “que vous n’êtes pas un robot”. Vous l’avez sûrement déjà fait, sans que personne vous dise que vous étiez mis à contribution avec des millions d’autres personnes pour alimenter un jeu de données d’IA visuelle. Merci pour eux, vous avez travaillé gratuitement.

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Bien entendu, l’explication qui précède s’applique aux images mais aussi à tout le reste. Les sons, les compositions chimiques, le développement des cellules cancéreuses, les formules de calcul, les gestes de la main, le langage naturel parlé ou écrit, le mouvement des corps célestes ou tout autre domaine qui vous motive dans la vie (le jeu de données MNIST par exemple recense 70.000 chiffres manuscrits de 0 à 9).

A partir du moment où vous avez sous la main un (très) grand échantillon sur n’importe quoi, le deep learning peut servir à en automatiser la reconnaissance, d’abord en faisant appel à une armée de contributeurs humains pour associer manuellement à cet échantillon de “choses” des mots permettant de les identifier, puis en faisant travailler un algorithme sur ce jeu de données.

Si votre entreprise ou votre administration fabrique de l’IA il est plus que probable que vous éduquez vos algorithmes en les faisant travailler sur des datasets fabriqués par d’autres, que vous avez achetés ou réutilisés en libre accès, libre de droits comme ImageNet par exemple. Tous sujets confondus, il existe quelques centaines de jeux de données d’importance variable qui servent à l’éducation de 90% des algorithmes d’intelligence artificielle dans le monde.

Et dans tous les cas, retenez bien l’ordre dans lequel ça se passe : d’abord l’étiquetage par des humains pour créer le jeu de données, ensuite l’apprentissage algorithmique en utilisant ledit jeu de données.

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La méthode du deep learning implique donc ce prérequis tacite : il est absolument nécessaire que l’échantillon de départ soit correctement étiqueté, parce que bien sûr en tant qu’utilisateur de logiciel d’intelligence artificielle, vous ne voulez certes pas que votre produit reconnaisse une pie là où il y a une antilope (photo).

Datasets are the backbone of the whole AI industry
Their integrity is critical for the consequences of AI-led decisions.

 

Toute la complexité consiste ensuite à bien coder l’algorithme, afin qu’il puisse d’une part faire le moins d’erreur possible sur le jeu de données de référence mais aussi qu’il parvienne à extrapoler. Il doit être capable de reconnaître une petite cuillère en bois en suspension dans une station spatiale même s’il n’a jamais vu cette image auparavant.

C’est bien l’objectif d’une IA : qu’elle soit capable de se débrouiller seule dans la vraie vie.

…mais avant de passer à cette étape de mise en œuvre, je m’en vais rester un moment sur la notion de dataset pour souligner, en appuyant très fort, à quel point l’intégrité de ces jeux de données est absolument critique pour préparer tout le reste. La colonne vertébrale de l’IA ce n’est pas l’algorithme, c’est le jeu de données qui a servi à l’éduquer.

Le sujet avait déjà été abordé en 2016 par Alexander Wissner-Gross dans son article Les datasets davantage que les algorithmes. Mais il semble qu’il n’y avait pas beaucoup d’oreilles pour l’entendre.

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La plupart du temps en effet les mises en œuvre pratiques d’une IA présentent l’étape finale et abordent la viabilité de l’algorithme.

Si l’IA fait une erreur à ce stade, les ingénieurs et les vendeurs de ces logiciels (et les politiciens) vous diront qu’il s’agit d’un problème d’algorithme qui nécessite encore un réglage, ou qu’il faut mieux analyser les données captées par l’IA afin de comprendre où elle s’est trompée afin de pouvoir rapidement corriger un problème. Mais vous aurez beau mettre au travail vos meilleurs mathématiciens et data scientists, il est bien possible qu’il n’arrivent jamais à trouver des solutions au problème parce qu’il ne descendront pas la chaîne de causalité jusqu’à son étape fondamentale, celle où le jeu de données est créé : la phase d’étiquetage, qui a servi de base à la configuration de l’algorithme.

Et bien sûr les fabricants d’IA sont à la recherche de leur pierre de Rosette, ils aimeraient que cela aille plus vite et donc tentent d’accélérer le rythme en retenant un unique dataset (le plus gros fait l’affaire) pour être plus rapidement sur le marché, le plus gros marché possible. Mais à force d’entraîner les algorithmes sur des datasets toujours plus vastes, les intelligences artificielles ne sont-elles pas condamnées à faire de plus en plus d’erreurs ?
C’est une question qui chatouille toute l’industrie du secteur, surtout si on y ajoute l’impact environnemental lié à la consommation d’énergie. …à tel point que Google a licencié les chercheuses de stature internationale qui peuplaient son équipe « IA et éthique » pour avoir publiquement soulevé le problème dans un article au sujet des IA en langage naturel (les dangers des perroquets stochastiques 🦜).

Spéciale dédicace à Margaret Mitchell et Timnit Gebru.

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Quel espoir de “bon apprentissage” pouvez-vous avoir, si votre référentiel indique qu’une antilope est une pie ? Votre algorithme ne fonctionnera jamais correctement ou plutôt il affirmera toujours qu’une antilope est une pie, dès qu’il verra une nouvelle antilope.

Les datasets sont perçus comme un truc simple, qui va de soi, sous-estimés dans les catastrophes qu’ils peuvent déclencher dans la vraie vie lorsque les IA prendront des décisions basée sur ce qu’elles y ont appris. Quel résultat obtiendrez-vous si, par défaut, les visages féminins ne reçoivent que des propositions d’emploi d’“infirmière” alors que les visages masculins peuvent postuler pour devenir “médecins” ? Et quel espoir de correction du jeu de données pouvez-vous avoir s’il comporte 200000 éléments et a déjà été traité en phase d’étiquetage par 10000 personnes ? Vous prétendriez pouvoir reprendre un par un chaque élément pour le re-valider ? Surtout qu’en tant que fabricant d’IA vous allez dire que ce n’est pas votre boulot, ce n’est pas votre jeu de données, ce n’est pas votre responsabilité juridique. Il a été conçu par quelqu’un d’autre…

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Avant que l’IA puisse être généralisée comme technologie courante dans le monde qui nous entoure, il faudra qu’on parvienne à un consensus sur le fait que leurs jeux de données en sont le facteur limitant et que cette limite est liée à la culture, aux contextes sociaux.
Vous n’avez pas besoin de davantage de spécialistes techniques, vous avez besoin de faire travailler ces ingénieurs avec des spécialistes en sciences sociales :
des gens qui ne sont pas impressionnés par la sophistication technologique et qui demandent, encore et encore, quels sont les impacts collectifs, sociaux, humains ?

Là réside le cœur d’un problème que ne savent résoudre ni les directeurs, ni les ingénieurs, ni les crowdsourceurs, ni les docteurs en génie logiciel : le social.
La constitution des jeux de données est un phénomène social, les « données » elles-mêmes sont une construction sociale. Pour le domaine de l’IA qui s’affirme essentiellement « technologique » et donc « objectif », c’est le loup qui entre dans la bergerie… et vous devez cesser de considérer les jeux de données comme des trucs sans valeur ajoutée et socialement neutres, sans quoi le loup va vous manger tout cru.

Je parle des dégâts dans la suite de cet article.

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The wolf of social beliefs among the innocence of AI datasets… because DATASETS ARE A SOCIAL CONSTRUCT.
Largely overlooked, the datasets, not algorithms, are a key actor of AI (in-)efficiency.
Take them seriously, please, otherwise the wolf will eat you alive.

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L’ethnographie rapide 5 septembre 2019


Design ethnographique, ethnographic design.

Cette expression a émergé depuis quelques années et j’en avais déjà parlé ici, après une discussion avec une collègue sise en Nouvelle-Zélande.

Le « design ethnographique » n’existe pas en tant que métier ou méthode. Il ressemble à un archétype, une de ces choses non définies qui donnent à voir une réalité sinon impossible à appréhender. Tout ce qu’on sait à ce jour c’est que le design ethnographique signifie quelque chose.

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Et finalement, c’est peut être aussi bien ainsi. Nommons d’abord la chose, pour souligner le fait que la tectonique des plaques professionnelles a rapproché deux continents : le design et l’ethnologie -et plus largement les sciences sociales-.

Dans une large mesure, le rapprochement est d’ailleurs encore en train de se faire. Le nouveau territoire n’est pas prêt d’être correctement cartographié puisqu’il sera en mouvement (et donc instable) pendant longtemps. Cette instabilité se remarque lorsqu’en réunion vous-vous rendez compte que le spécialiste des sciences sociales aborde les mêmes thématiques que les designers, mais avec un vocabulaire différent. Le rapprochement se fait d’abord par un effort de traduction.

Mais une chose est sûre : le design est bénéfique à l’ethnologie au même titre que l’ethnologie est bénéfique au design. Le design apporte en particulier une dimension opérationnelle, collective, horizontale, dans un processus créatif qui oblige à prendre en compte l’avis des indigènes, j’ai nommé : les utilisateurs.
Réciproquement, l’ethnologie apporte sa rigueur méthodologique qui oblige à la « revue de littérature » et à la discussion argumentée pour aller débusquer en profondeur les idées reçues et les stéréotypes.
Car je l’ai déjà dit et je le redirai : les stéréotypes, c’est mal.
Le design et l’ethnologie sont salvateurs l’un pour l’autre, l’un(e) apportant à l’autre une consolidation au niveau structurel.

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L’une des mises en garde majeures que les sciences sociales adressent aux équipes de conception réside dans le biais pro-innovation. Tout le monde se pense autorisé à « livrer » à tort et à travers sans avoir abordé la notion de conséquence. L’empressement à respecter des délais mène trop souvent à oublier qu’on n’est pas autorisés à jouer avec les vrais gens, comme s’ils n’existaient que pour s’extasier devant nos machins et nos bidules.

Cessez de penser que les vrais gens sont « vos » utilisateurs. Ils ne sont pas à vous.
Pas du tout. Ce sont de vrais gens et vous devez respecter le principe de non interférence.

Ne . Pas . Interférer.

Car depuis l’époque où les travaux des ethnologues étaient détournés pour coloniser et soi-disant civiliser les barbares, la profession a appris à se méfier des projets d’innovation.
L’innovation n’est pas forcément bénéfique, non, non.
Qui plus est, une innovation ne se diffuse jamais de façon linéaire dans la population. Certaines catégories de personnes applaudiront tandis que d’autres vous maudiront parce que vous avez dégradé leur existence.

L’appropriation d’une innovation est toujours hétérogène et l’intérêt d’y réfléchir en phase amont permet de limiter les catastrophes, même involontaires, sur une partie de la population, même minime.
Les questionnements éthiques font désormais partie de la méthode et ne sont pas optionnels. A ce titre, ça fait aussi partie de la méthode de discuter des éventuelles conséquences sociales négatives.

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Inversement, la pratique du design impose aux ethnologues de se concentrer sur l’aspect opérationnel de leur contribution. Eux aussi doivent s’investir pour apporter des éléments qui puissent être actionnés afin de répondre à la question : « Comment faire ? »
Il y a un gros travail à mener pour améliorer la rapidité avec laquelle une observation de terrain peut faire ressortir des éléments qualitatifs pertinents. Dans le monde académique, une enquête ethnographique se mesure en mois ou en années… une temporalité illusoire dans un projet de design. Comment aller plus vite ? Comment avoir mieux recours à l’arsenal des méthodes de l’ethnologue pour être efficace dans un horizon de temps qui se mesure en jours ou en semaines ? Et comment le valider avec la même rigueur scientifique ?
Le champ de l’ethnographie rapide (rapid ethnography) a vocation à répondre à ces questionnements.
Il s’agit de s’éloigner du format de la monographie exhaustive classique pour inventer un format hybride qui vise à fournir une connaissance raisonnablement suffisante d’une population.
Cela se fait en particulier en s’abreuvant au corpus des recherches déjà publiées, en ayant davantage recours aux interviews semi-directifs et en limitant la durée d’une observation aux moments-clés qui permettent de zoomer sur un contexte précis.

 Pour le dire autrement l’ethnographie rapide n’implique pas de laisser de côté la délibération théorique. C’est même ce qui fait la valeur ajoutée de l’ethnologue : il connaît les classiques. Il sait placer à bon escient Les Nuer d’Evans-Pritchard ou It’s complicated de Danah Boyd-@zephoria

Le corpus des sciences sociales est vaste et, sauf erreur, il n’y a pas d’autre discipline qui soit aujourd’hui capable d’argumenter avec rigueur sur l’expérience utilisateur des objets connectés, ou les usages de l’IA, ou sur l’influence des structures de parenté sur les motivations d’achat individuelles. L’erreur serait colossale de penser qu’une ethnographie rapide doit abandonner la réflexion théorique pour se concentrer sur les outils.
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Vos équipes qui font de la recherche utilisateur (user research) ont donc pour objectif de revenir de leur exploration de terrain avec des sujets d’innovation, sur des thématiques qui vont servir à rendre le monde plus habitable du point de vue des utilisateurs.

C’est là où le duo de compétences designer-ethnologue s’avère d’une redoutable efficacité et où chacun se félicite d’avoir fait au moins cinq ans d’études dans sa spécialité pour se retrouver à faire des étincelles avec quelqu’un dont le métier lui était parfaitement étranger jusqu’à très récemment.

Vous êtes recruteur(euse) ? Ne cherchez pas des profils design/ethno. Ne répétez pas l’erreur que vous avez commise avec les UX/UI. Relisez cette phrase plusieurs fois.

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Il y a un consensus à atteindre entre les deux métiers, en particulier dans la phase initiale d’accès au terrain (et non d’intervention sur). C’est pendant cette phase d’immersion que les professionnels vont conjointement observer, débattre et identifier ce qui peut faire l’objet d’une intervention. C’est dans cette période relativement brève de la recherche que va se révéler l’efficacité de l’équipe multi-disciplinaire. Les designers et ethnologues parlent-ils la même langue ?
Leurs continents professionnels sont-ils suffisamment rapprochés ?

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Un plan vert brillant 21 février 2019


Ce document est la traduction de la proposition de loi Green New Deal émise au Congrès américain par la députée Alexandria Ocasio-Cortez
L’original est disponible ici   (GreenNewDeal_FAQ.pdf)

Le Green New Deal (Nouveau Contrat Écologique) n’est pas une idée particulièrement neuve. Sa première mention remonte à 2007 sous la plume de l’économiste Thomas Friedman dans le New York Times.
Depuis, nombreux ont été ses soutiens, entres autres Ban Ki-Moon ou Paul Krugman qui ne sont pas des plaisantins idéologiques.
Plus d’information en anglais  ici
On notera avec intérêt (et affliction) qu’une page Wikipédia en français sur ce sujet n’existe même pas.

Certains aménagements ont été faits pour permettre de transposer le texte original au contexte français et européen. Du point de vue de notre vieux continent, ce programme aussi vaste qu’il soit, paraît moins radical et révolutionnaire que du point de vue américain. Notre histoire et notre système social ont déjà posé les bases qui permettent d’envisager une mise en œuvre crédible.

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Le PDF de ce texte est ici : Green New Deal_FR_2019

Le lecteur assidu à ce blog reconnaîtra un thème déjà abordé en 2011 dans cet article sur le Vert Brillant. La proximité des deux articles est frappante et montre une tendance de fond.

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Lancement le jeudi 7 février 2019 à 8h30.

Panorama

Nous commencerons le travail dès maintenant pour préparer le projet de loi du Green New Deal. Il s’agit d’abord de valider l’architecture de base du projet (afin que personne d’autre ne se l’approprie).
Il s’agit d’une transformation massive de notre société avec des objectifs et une chronologie clairs.

Le projet de loi du Nouveau Contrat Écologique est un plan sur 10 ans qui mobilise tous les aspects de la société française à un niveau jamais atteint depuis la seconde guerre mondiale. Il s’agit d’atteindre un niveau zéro d’émissions de gaz à effet de serre et de créer les conditions d’une prospérité économique pour tous. Le Nouveau Contrat permettra de :

• Faire fonctionner la France avec 100% d’énergie propre et renouvelable, incluant le développement de l’autonomie énergétique des bâtiments
• Créer des centaines de milliers d’emploi stables en France et des millions à l’échelle européenne, rémunérés par des salaires dignes
• Permettre une juste transition pour les travailleurs afin d’assurer la sécurité économique des populations qui ont jusqu’à présent dépendu largement des industries fossiles
• S’inspirer de la Seconde Déclaration des Droits de Franklin Delano Roosvelt en 1944, pour garantir :

– Un emploi stable et un salaire digne, une assurance maladie individuelle et familiale, des congés et des droits à une retraite digne.
– Une éducation de grande qualité, universelle et gratuite y compris dans son aspect de formation tout au long de la vie.
– Un air propre, une eau potable et l’accès à la nature
– Une nourriture saine et non contaminée
– Des soins de santé de premier plan
– Un logement sûr, accessible financièrement et résilient face aux futurs aléas météorologiques que l’on peut déjà anticiper
– Un environnement économique libre de monopoles
– Un environnement politique libre de l’influence des intérêts privés capitalistiques.
– Une sécurité économique pour toutes celles et ceux dans l’incapacité ou l’absence de volonté de travailler contre rémunération

Il n’y a pas de temps à perdre
Les plus récentes études du GIEC affirment que les émissions de gaz à effet de serre doivent être réduites de 40 à 60% d’ici 2030.
Nous devons atteindre le 0 en 2030 et nous montrerons ainsi au monde qu’un Nouveau Contrat Écologique est possible, d’une part, et bénéfique socialement d’autre part.

Impossible n’est pas français… et in varietate concordia
Lorsque le président américain John Ford Kennedy affirma en 1962 que l’être humain irait sur la Lune en 10 ans, nombreux furent ceux qui ont pensé que c’était impossible. Aujourd’hui nous avons des robots sur Mars.
Lorsque Franklin Delano Roosvelt demanda la construction de 185.000 avions pour combattre durant la deuxième guerre mondiale, chaque directeur d’entreprise et chaque général se mit à rire. A cette époque, les Etats-Unis produisaient 3.000 avions par an. A la fin de la guerre, ils en avaient produit 300.000.
C’est ce dont nous sommes capables lorsque nous sommes bien dirigés.
L’Europe a su se reconstruire après la deuxième guerre mondiale, pour devenir aujourd’hui une puissante force de stabilité dans le monde.
L’Allemagne de l’Ouest a su intégrer l’ancienne RDA en une année après la chute du Mur de Berlin.
Le produit intérieur brut français est neuf fois plus élevé qu’en 1890.
En termes de niveau d’éducation, de niveau de revenu et de longévité nous sommes parmi les premiers au monde.

Il s’agit d’un investissement massif dans notre économie et dans notre société. Ce n’est pas une dépense
Chaque euro d’investissement public permet une création de richesse estimée à 2,5 euros.
Avec le Nouveau Contrat Écologique, l’investissement public pourra se porter sur des domaines précis. Il ne s’agit pas d’une modernisation mais d’une remise à jour, pour préparer notre avenir à tous. Les secteurs des transports, du logement résidentiel et de la production industrielle seront les premiers concernés en France. L’investissement public permettra l’émergence d’une économie que « le marché » aujourd’hui est incapable ou refuse de mettre en mouvement.
Il s’agit aussi d’un investissement massif dans le capital humain, qui prendra en compte la vie quotidienne des citoyens comme point de départ pour en déduire quels projets mettre en œuvre, à commencer par la résolution de problèmes plutôt que l’ajout de nouvelles contraintes.
La France dispose d’instituts de recherche en sciences sociales de niveau mondial, ils seront sollicités.

Le Nouveau Contrat est déjà en mouvement
Face au changement climatique, nous savons que l’inaction coûtera plus cher et sera plus dévastatrice que l’action.
L’immense majorité des Français et des Européens a conscience du risque et de la nécessité d’agir. Face à l’inertie des acteurs privés et des gouvernements, en ce début d’année 2019 même les enfants font la grève de l’école pour demander de l’action concrète.
Les acteurs publics les plus engagés en faveur du climat sont les villes et les régions.
Il est temps que les États prennent leurs responsabilités à commencer par les Assemblées Nationales en étroite coordination les citoyens et avec le Parlement Européen.
Unis dans la diversité.

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Foire Aux Questions

Pourquoi un élan vers des énergies 100% propres et renouvelables, et pas seulement du 100% renouvelable ? Vous dites qu’on continuera d’utiliser les énergies fossiles ?

Nous appelons à une transition complète pour se libérer des énergies fossiles et ne plus émettre du tout de gaz à effet de serre.
Quiconque a lu le projet de loi a pu voir que cela passera par une mobilisation de chaque secteur de l’économie, chaque entreprise, chaque acteur public et chaque groupe syndical.
Mais bannir immédiatement et abruptement les combustibles fossiles serait une très mauvaise idée puisque nous n’avons rien pour les remplacer à ce jour.
Nous le ferons en créant à partir de presque rien une économie de l’énergie renouvelable aussi vite que possible. C’est la ligne directrice du Nouveau Contrat Écologique.
Ainsi nous fixons un objectif net d’émission à 0 dans 10 ans, car personne ne peut garantir que nous saurons atteindre les zéro émissions dans l’absolu. Ça supposerait de pouvoir éliminer les émissions de gaz à effet de serre provenant du transport aérien ou des pets de l’élevage animal.
Mais nous pensons pouvoir faire grandement monter en puissance l’industrie manufacturière et l’industrie de l’énergie, ainsi que rénover chaque bâtiment en France, construire une smart grid, mettre à jour les transports et l’agro-alimentaire, l’agriculture ainsi que planter des millions d’arbres pour atteindre l’objectif net de zéro émission de gaz à effet de serre.

Le nucléaire en fait partie ?
Le Nouveau Contrat Écologique est un investissement massif dans la production d’énergies propres et renouvelables et n’implique pas de construire de nouvelles centrales nucléaires.
Le nucléaire d’ailleurs n’est ni une énergie renouvelable, ni une énergie propre. Ses déchets sont des polluants radioactifs mortels qui ont une durée de vie qui se mesure en centaines d’années.
Cependant nous n’avons aucune certitude de pouvoir décommissionner toutes les centrales existantes en seulement dix ans.
Mais notre objectif est clair : nous voulons du 100% propre et renouvelable. Le pétrole, le charbon, le gaz et le nucléaire n’en font pas partie.

Est-ce que ça implique une taxe carbone ?
On ne peut pas simplement taxer le carburant ou le gaz et s’attendre à ce que les citoyens trouvent tous seuls un autre moyen d’aller au travail ; sauf quand nous leur proposerons une autre alternative plus saine et aussi pratique au quotidien.
Donc nous n’excluons pas la taxe carbone, mais elle fournirait seulement une petite partie des financements nécessaires. Le projet gigantesque qui consiste à remettre à jour l’économie suppose qu’on ait d’abord des alternatives à proposer, techniquement et socialement, pour s’assurer que ce soit indolore pour les citoyens, les familles et les communautés.

Est-ce que ça implique du cap and trade (bourse d’échange de « droits à polluer ») ?
Le Nouveau Contrat Écologique créera une nouvelle économie de l’énergie par des investissements massifs dans la société et la technologie. Les bourses d’échanges de droits à polluer supposent que le marché tel qu’il existe résoudra les problèmes de lui-même. Ce n’est pas vrai.
Le cap and trade pourrait être à la marge un moyen d’associer les acteurs au Nouveau Contrat, mais il faut reconnaître que la législation actuelle des bourses d’échanges est une forme de subvention qui permet l’existence de zones éparses de pollution intense qui exposent sévèrement les populations locales. On doit d’abord s’assurer que les populations locales, leur santé et leur bien-être, sont la première priorité de tout le monde.

Est-ce que ça implique l’interdiction de toute nouvelle construction liée aux énergies fossiles ou de centrale nucléaire ?
L’une des conséquences du Nouveau Contrat Écologique sera de rendre inutiles les nouvelles constructions liées aux énergies de l’ancien monde, fossile ou nucléaire. Nous voulons ne plus en avoir besoin.
Nos investissements seront donc orientés massivement dans les énergies du nouveau monde, pas dans les autres. Vouloir faire les deux serait une tromperie et une hypocrisie qui maintiendrait le statu quo.

Êtes-vous favorables au stockage du CO2 ?
(CCUS : Carbon Capture, Utilization, and Storage)
La bonne manière de capturer le CO2 est de planter des arbres et restaurer les écosystèmes naturels.
A ce jour les technologies de capture des gaz à effet de serre dans l’atmosphère n’ont pas prouvé leur efficacité.

Comment allons-nous payer pour tout ça ?
De la même manière que les États-Unis ont payé leur New Deal dans les années 1930 ou comme les banques centrales ont résolu la crise bancaire en 2008 avec le quantitative easing (rachat de dettes).
De la même manière que nous avons payé la deuxième guerre mondiale et toutes nos guerres actuelles.
La Banque Centrale Européenne peut étendre ses lignes de crédit pour propulser le Nouveau Contrat Écologique vers les sommets. Il y aussi de la place pour des participations publiques, en vue de futurs dividendes ou retours sur investissement.
Au bout du compte, cet investissement dans l’économie nouvelle fera croître la richesse de la nation. La question n’est pas de savoir comment nous payerons, mais que ferons-nous de notre nouvelle prospérité.

Pourquoi doit-il y avoir un si vaste programme public ? Pourquoi ne pas se contenter de l’incitation par les taxes et des réglementations qui orienteraient les investissements du secteur privé ?
– Le niveau d’investissement doit être massif. Même si les milliardaires et les entreprises se donnaient la main pour déverser leur richesse dans la transition écologique, on ne parviendrait qu’à une modeste fraction de ce qui est nécessaire.
– La vitesse d’investissement devra être massive elle aussi. Même si les milliardaires et les entreprises se donnaient la main pour déverser leur richesse dans la transition écologique ils n’auraient pas la capacité de coordination suffisante pour un agenda si serré.
– Les investisseurs privés sont également hésitants à investir dans des domaines où personne n’a encore gagné d’argent. Les gouvernements par contre peuvent agir dans un temps long et peuvent patiemment investir dans les nouvelles technologies et la recherche, sans avoir en tête une application commerciale précise au moment où se fait la dépense d’argent.
Un exemple majeur d’investissement public à succès s’appelle l’internet.
– Pour résumer, nous ne devons pas seulement cesser de faire comme nous avons toujours fait (comme brûler du carburant pour nos besoins en énergie), nous avons aussi besoin de faire du neuf (comme remanier des secteurs d’activité entiers ou rénover tous nos bâtiments). Commencer à faire de nouvelles choses nécessite des investissements immédiats. Un pays qui essaye de changer le fonctionnement de son économie a besoin de gros investissements immédiats, pour lancer et développer ses premiers projets.
– Fournir des incitations au secteur privé ne fonctionne pas. Les subventions en faveur du solaire ou de l’éolien ont certes produit des résultats positifs, mais bien insuffisants par rapport à un objectif de neutralité carbone comme le promeut le Nouveau Contrat Écologique.
– Il y a bien une place pour le secteur privé mais l’investisseur principal ne peut être que la puissance publique. Il est normal que lui revienne aussi le rôle de coordinateur et pilote de l’ensemble du projet.

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Résumé du projet de loi

Créé en consultation avec de multiples groupes de la société civile, syndicats et défenseurs de l’environnement.

5 objectifs à 10 ans
14 projets pour mobiliser l’économie
15 exigences de justice sociale et de sécurité

5 objectifs à 10 ans :
– Émissions nettes de gaz à effet de serre à zéro, grâce à une transition écologique juste pour toutes les communautés et les travailleurs.
– Création de centaines de milliers d’emplois stables ; assurer la prospérité et la sécurité économique pour tous.
– Investissement dans les méthodes, les infrastructures et l’industrie pour les mettre durablement au niveau des défis du XXIe siècle
– Air propre et eau potable. Résilience climatique au niveau local. Nourriture non contaminée. Accès universel à la nature et à un environnement non dégradé.
– Promotion de la justice et de l’équité en prenant soin des communautés les plus vulnérables.

14 projets majeurs pour mobiliser l’économie :
– Construction d’infrastructures permettant la résilience face aux catastrophes naturelles. Valoriser les bâtiments autonomes en énergie.
– Réparation et rénovation des infrastructures existantes
– Répondre à 100% des besoins énergétiques nationaux en recourant aux énergies propres et renouvelables. Pouvoir se passer du fossile et du nucléaire.
– Construction d’un réseau de distribution de l’énergie économe (smart grid) et garantir un accès universel minimum à l’énergie.
– Rénover tous les bâtiments pour les mettre à niveau d’une société économe en énergie
– Étendre le recours standard à l’industrie propre et non polluante (agro-alimentaire, fabrication, installation et maintenance de panneaux solaires, éoliennes, batteries et stockage énergétique, techniques de dépollution, processus industriels circulaires, « chimie verte », etc.)
– Travailler avec les agriculteurs pour créer des circuits alimentaires durables, permettant l’accès universel à une alimentation de première qualité tout en permettant aux travailleurs de vivre de leur production.
– Remanier le secteur du transport en augmentant massivement la production de véhicules électriques fiables et leur réseau de recharge. Rénover et densifier les transports publics urbains, interurbains et hors zone urbaine. Interconnecter les différents modes de transport à toutes les échelles du pays.
– Atténuer les impacts sanitaires du changement climatique et de la pollution terrestre, aérienne ou marine.
– Reforester massivement pour permettre l’absorption du carbone dans l’atmosphère
– Restaurer les écosystèmes dégradés, notamment en rapport avec la biodiversité du règne animal et végétal.
– Recherche et développement pour des produits de substitution ou des méthodes de remplacement permettant de supprimer les principaux polluants utilisés dans chaque secteur d’activité
– Partage de notre expertise, de nos technologies et méthodes avec nos voisins européens et avec les pays limitrophes de nos territoires d’Outre-Mer.

15 exigences de justice sociale et de sécurité :
– Des investissements massifs et l’assistance aux organisations, associations et entreprises qui s’engagent dans le Nouveau Contrat et s’assurant que la nation y trouve son retour sur investissement.
– Garantir que les coûts sociaux et environnementaux sont intégrés aux études d’impacts, aux estimations de retour sur investissement.
– Fournir une formation professionnelle continue universelle. Protéger les travailleurs plutôt que l’emploi
– Investir dans la Recherche et Développement (R&D) de nouvelles technologies énergétiques
– Mener des investissements directs pour les communautés en première ligne du réchauffement climatique ainsi que pour les communautés directement liées aux industries carbonées qui seraient sinon frappées de plein fouet par la transition en cours. Prioriser les retours sur investissement à leur profit.
– Utiliser comme méthode par défaut la concertation et le processus participatif avec les utilisateurs directs et les communautés locales.
– S’assurer que les emplois créés par le Nouveau Contrat Écologique sont des emplois dignes, stables et inclusifs.
– Protéger le droit des travailleurs à se syndiquer et à être représentés à tous les niveaux de décision.
– Renforcer et élargir la notion de santé et sécurité au travail aux domaines de l’inclusion, et de la non-discrimination, que l’activité soit salariée, indépendante ou bénévole.
– Renforcer les règles commerciales pour mettre un terme au dumping social, à l’export de pollution et accroitre l’industrie nationale.
– Garantir que le domaine public urbain ou naturel est protégé
– Préalablement au démarrage d’un projet sur leur territoire ou pouvant impacter leur territoire, obtenir le consentement éclairé des communautés locales, en métropole ou territoires d’Outre-Mer.
– Garantir un environnement libre de monopoles et de compétition abusive.
– Fournir des soins de santé curatifs de haute qualité, tout en déployant un système de santé orienté vers la prévention, en particulier pour les pathologies considérées comme évitables.
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[Note du traducteur]
SOURCES (février 2019) :

https://www.documentcloud.org/documents/5731869-Green-New-Deal-FAQ.html (GreenNewDeal_FAQ.pdf)

Cliquer pour accéder à ENG4%20REPERES%202010%20ENG-Partie%204.pdf

http://www.globalcarbonatlas.org/en/CO2-emissions

https://www.ipcc.ch/2018/10/08/summary-for-policymakers-of-ipcc-special-report-on-global-warming-of-1-5c-approved-by-governments/

https://report.ipcc.ch/sr15/index.html

http://www.globalcarbonatlas.org/en/CO2-emissions

https://www.lemonde.fr/idees/article/2016/11/04/l-investissement-public-est-la-cle-de-la-reprise-economique_5025661_3232.html

http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2016/05/28/20002-20160528ARTFIG00115-pour-jean-tirole-il-faut-proteger-le-salarie-plutot-que-l-emploi.php

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La maladie honteuse des données personnelles 19 novembre 2018


Les vols de données personnelles sont devenus communs et on s’étonne à peine de les voir défiler dans la presse.
Chaque semaine, des voleurs entrent dans les réseaux et remplissent leurs poches d’informations sur la vie des gens, parfois par millions.
La plupart du temps les informations dérobées permettent de commettre des fraudes très efficaces.

Le piratage de l’IRS américain en 2015  a ainsi alimenté pour des années le marché de la contrebande des fausses identités et des justificatifs d’impôts tout en pourrissant la vie des personnes volées pour au moins autant de temps.
D’autres motivations peuvent amener les pirates à attaquer une cible particulière, pour des motifs de vengeance ou de chantage.
Enfin, sans intention de nuire, une cause majeure des fuites de données provient des erreurs humaines. Absence de mise à jour d’un système, oubli dans une configuration technique, réutilisation d’un mot de passe corrompu… toutes ces choses qui confirment qu’en matière de sécurité informatique la première faille de sécurité se trouve « entre la chaise et la clavier » : l’utilisateur ou l’opérateur lui-même.

 

A chaque fois, il s’agit d’informations sur nous, de l’information que nous donnons pour pouvoir utiliser un service, comme nos vrais noms, prénoms, numéro de carte bancaire, sécurité sociale, téléphone, date de naissance, empreinte digitale des enfants pour qu’ils puissent déjeuner à la cantine, ou autre.
Et à chaque fois ceux qui réclament ces informations assurent qu’ils les garderont secrètes et inaccessibles au reste du monde.
Et à chaque fois, ils ne le font pas.
De ce point de vue, l’expression « vol de données » est commode car elle est neutre, en termes de responsabilité. Une entreprise ou une administration « victime de vol de données » se fait passer pour la victime… alors qu’elle avait la responsabilité de garder ces choses secrètes et ne l’a pas fait.

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Les intrusions délictuelles ont connu un pic dans les années 2014-2015, avec par exemple l’entreprise Orange qui fut attaquée deux fois de suite pour un vol qui concernait plus de deux millions de personnes… dont peut-être vous si vous étiez abonné Orange à l’époque.
Depuis, les grandes organisations ont donc largement eu le temps de comprendre que les données personnelles sont fort recherchées et donc que plus elles en hébergent, plus elles sont susceptibles d’être seront attaquées.
Mais depuis, l’épidémie n’a jamais vraiment cessé. Le pic de 2014-2015 est devenu une norme, voire un minimum dans les années fastes.
Car oui, on en a vu d’autres !
Facebook est devenu un gros pourvoyeur de failles de sécurité mais aussi la plupart des opérateurs de réseau, les banques, sans compter toutes les effractions d’entreprises ou d’administrations dont on n’entendra jamais parler pour des raisons plus ou moins avouables.

Le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD)  va probablement provoquer plus de divulgations d’intrusions, puisqu’il oblige légalement à informer le public qu’un vol a eu lieu, au plus tard dans les 72h après qu’il a été constaté. On peut donc s’attendre à en voir encore davantage dans la presse… pas parce qu’il y a davantage d’attaques, mais parce que les organisations sont contraintes de ne plus le passer sous silence.
Inversement, je serais curieux de voir combien retarderont le plus possible la « découverte » d’intrusions pour retarder le moment où il faudra étaler son linge sale sur la place publique…

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Les fournisseurs d’accès, les réseaux sociaux, les administrations  et beaucoup d’autres (trop !) enregistrent scrupuleusement à qui nous parlons, à qui nous écrivons, ce que nous likons et avec qui nous échangeons des documents. Les vendeurs enregistrent nos habitudes d’achat, les opérateurs enregistrent les lieux et les heures où nous allons et ce que nous regardons sur internet. Ils savent très bien en déduire nos espoirs, nos peurs, nos fantasmes et nos secrets.
La géolocalisation révèle où nous habitons, où nous travaillons, quels sont nos itinéraires habituels.
En associant les données localisées à l’échelle d’une ville, il est possible de prouver avec qui nous étions dans le bus, au supermarché et avec qui nous avons passé la nuit.

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Parce que différentes organisations se positionnent comme acheteurs et revendeurs de nos informations (les data brokers), tous ceux qui peuvent collecter des données sont susceptibles de gagner de l’argent en les revendant.
Et le secteur est dynamique, c’est le moins qu’on puisse dire.
D’un côté sur le marché légal, une adresse e-mail valide vaut environ 0,5 centimes d’euros. Une « fiche client » provenant des bases de données de Facebook est estimée à 100 euros (ce qui participe à sa valeur en bourse, vu le nombre revendiqué de 2,27 milliards d’utilisateurs actifs).
De l’autre côté, sur le marché noir, le raccourci habituel est de demander 100 dollars pour 100.000 contacts. Donc d’un côté comme de l’autre, plus ils peuvent en avoir, plus ils en demandent.

Mais sur le marché officiel ou clandestin, une chose est sûre : une fois que nous avons donné nos informations elles ne sont plus à nous même si elles parlent de nous.  Les données enregistrées, stockées sont ensuite diffusées on-ne-sait-où, elles sont analysées par on-ne-sait-qui et pour on-ne-sait quel-but, vendues et achetées pour des motifs de marketing ou autre raison de persuasion et d’influence. Et beaucoup de monde gagne beaucoup d’argent avec.

« Tout enregistrer et le stocker indéfiniment » est donc un business model qui fonctionne.
Pour renforcer cette idée, on pourrait même dire que le travail qui consisterait à identifier ce qui ne mérite pas d’être enregistré est si difficile qu’il n’existe pas. D’ailleurs, ce qui semble inutile aujourd’hui pourrait être très utile demain. Du coup si on l’a enregistré aussi, on pourra le monnayer à ce moment-là.
Il suffit d’enregistrer, stocker et attendre.

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La collecte de données personnelles est cependant dangereuse parce que ce sont des données… personnelles.

Enregistrer tout cela est dangereux parce que ça déclenche les convoitises et ça rend difficile une protection efficace.
Entre 2013 et 2014, Yahoo! a reconnu deux ans plus tard s’être fait voler 1,5 milliard de fiches clients.
Enregistrer les données personnelles est dangereux parce que vous savez que vous allez subir des effractions. Des entreprises vont vous attaquer, des pirates, des États ou des employés très en colère et vous ne pourrez pas tous les arrêter, c’est une certitude.
Or si dans le vrai monde le défenseur a toujours un avantage tactique (même relatif), dans le domaine de la cyber sécurité c’est l’attaquant qui a l’avantage.

Enregistrer tout cela est dangereux aussi car les dégâts d’une intrusion réussie sont dévastateurs.
La protection a été percée, la presse va parler du vol, la réputation va souffrir, la valeur boursière va baisser et cela peut dégénérer jusqu’au procès et à une condamnation ferme… et, surtout, de vrais gens vont se retrouver en difficulté à cause de la fuite.

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Mais si les données personnelles sont si dangereuses, pourquoi donc les enregistrer ?

La première raison est que c’est une maladie de compulsion… il n’y a pas de raison particulière, sauf qu’on ne peut pas s’en empêcher.
Par appât du gain, tout le monde enregistre tout, tout le temps. Les organisations ne peuvent plus s’empêcher de tout enregistrer, comme une espèce de trouble compulsif embarrassant mais très répandu.

Des masses de données vont donc demeurer là pendant des années, personne ne se préoccupera de savoir si elles sont encore à jour ou pertinentes. Si quelque part quelqu’un sait que vous avez eu un cancer en 2005, qui se soucie de mettre à jour l’information de votre parfaite guérison ? Quel malus allez-vous subir si votre mutuelle santé établit ses tarifs sur ce genre d’information erronée ? Et qui possède ce commentaire graveleux que vous aviez posté avec vos noms et prénoms dans un obscur forum de discussion il y a 10 ans ?

 

La compulsion à enregistrer des données personnelles est une maladie honteuse, mais puisque tout le monde est contaminé il n’y a pas de raison de changer de comportement.
Cette incapacité collective vient du fait que l’architecture technique est conçue dans cet objectif et elle fonctionne sans aide, en faisant exactement ce qu’on lui demande. S’il vous fallait un exemple que le design ce n’est pas que de la cosmétique, il est là.
Obligation de « Créer un compte », obligation de saisir une adresse postale, obligation de donner son vrai nom et prénom, numéro de carte bancaire sauvegardé automatiquement après un paiement, etc.
La règle par défaut est l’enregistrement à l’échelle industrielle, jusqu’à l’overdose si nécessaire.

La Révolution arrivera le jour où nous serons payés pour enregistrer nos données personnelles  -ou rémunérés d’une manière ou d’une autre. Je suis bien certain que si la data devenait coûteuse à acquérir, on nous en demanderait soudainement beaucoup moins. Car il existe des cas ou, quoi qu’on en pense, la collecte de ces informations est nécessaire. Par exemple laisser sa mutuelle santé lire nos statistiques d’activité physique pour obtenir une ristourne parce qu’on est raisonnablement « sportif ».
Alors, quand c’est nécessaire, votre organisation devrait envoyer du lourd pour protéger ces données qui ne lui appartiennent pas : cryptographie forte, tokens anonymisés, double ou triple pare-feu, blockchain et j’en passe.

It’s the data, stupid ! All hard and software should (and will) allow portability of data, as it is produced in your organization.

 

 

Une seconde raison est la mode du Big Data.
Les entreprises et les gouvernements sont en pleine période d’envoûtement, subjugués par les promesses d’un monde meilleur (et de profits plus gros) grâce à la data.
Bien des travaux sont pourtant publiés sur le fait que plus de data n’est pas nécessaire, à commencer par les ethnologues qui démontrent jour après jour que le quantitatif sans qualitatif est une fumisterie sans nom. Coûteuse et socialement régressive.

 

Une troisième raison est que la plupart beaucoup de soi-disant responsables minimisent encore les risques.
Ils n’ont toujours pas compris à quel point une brèche de sécurité peut les mettre à genoux (sans parler du jour où une intrusion réussie permettra un vol et aussi le vandalisme des bases de données).
L’excès de confiance ici est un péché mortel et il convient d’éviter de croire qu’on est bien protégé. C’est d’ailleurs le premier signe d’une mauvaise sécurité : lorsque vous êtes sûr d’être bien abrité… demandez à Murphy.

La plupart n’ont pas encore compris que la meilleure protection consiste à supprimer les données personnelles.

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Car les effets de mode se périment et les comportements stupides apportent rarement la longévité.
La tendance actuelle du privacy by design prend le contrepied des arguments habituels sur le sujet.

Dans tous les domaines, il est possible de fournir un service de qualité sans nuire à la vie privée des utilisateurs et sans finir par mourir d’obésité informationnelle.

 

De fait, vous n’avez pas besoin d’enregistrer l’adresse postale d’un client ! Qu’il vous la donne en vue de recevoir son colis est une chose, que vous la gardiez au chaud dans vos bases de données pour une durée indéfinie en est une autre.
Des choix techniques, des choix de design peuvent être faits pour éradiquer la maladie honteuse.


L’assistant Snips est un petit nouveau sur le marché en plein essor de l’intelligence artificielle vocale, qui a la particularité de fonctionner sans transmission à distance. Le logiciel est dans l’objet et vos discussions avec l’objet ne finissent pas sur des serveurs en Inde ou en Arizona.  On se demandera d’ailleurs utilement pourquoi les Alexa ou Siri nous imposent de transmettre nos conversations sur internet pour les enregistrer, alors qu’il est possible de ne pas le faire pour une qualité service équivalente.

Des moteurs de recherche comme Qwant ou DuckDuckGo fournissent des résultats comparables à Google mais ils n’analysent pas, eux, quel est l’historique de vos dernières consultations soi-disant « pour vous offrir une meilleure expérience de navigation ».

 

Les pratiques industrielles courantes dans le fonctionnement d’internet ont transformé internet en plateforme de surveillance, ce n’est pas la NSA qui me contredira.

Raisonnablement, on doit reconnaître que certaines données n’ont même pas besoin d’être demandées, d’autres n’ont pas besoin d’être enregistrées et celles qui doivent l’être devraient être stockées dans des bases différentes, verrouillés par plusieurs niveaux d’accréditations, qui rendent la cible « dure » et qui imposent énormément d’efforts à l’attaquant pour réunir des données cohérentes et monnayables sur le marché noir.

 

Mais il semble d’ores et déjà que si les internautes peuvent utiliser à qualité équivalente des outils conçus pour la discrétion (privacy by design), l’argument commercial fera son petit effet.
Parce que les scandales à répétition nous ont appris à nous, les internautes, que les entreprises ne savent pas protéger nos données et même celles qui savent ont une capacité de défense limitée, quoi qu’elles en disent.
Les entreprises qui peuvent nous protéger sont celles qui en demandent le moins possible, voire pas du tout.
Et s’il est vrai que la data est une matière première qui prend de la valeur quand elle a été raffinée, on pourrait aussi bien la considérer comme une matière inflammable qu’il convient de ne pas avoir en trop grandes quantités pour éviter les retours de flamme…

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Citation (24) : en tuer 11 novembre 2018


 » (…) Dans vos poitrines, battent des cœurs braves et forts d’hommes libres.

Personne ne regardera en arrière, personne ne reculera d’un pas.

Chacun n’aura qu’une pensée : en tuer, en tuer beaucoup, jusqu’à ce qu’ils en aient assez.

Et c’est pourquoi votre général vous dit : cet assaut, vous le briserez et ce sera un beau jour. (…) »

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Général Henri Gouraud commandant la IVe Armée française et la Ie Armée américaine avant la seconde bataille de la Marne, qui bloqua l’avancée de l’ennemi puis aboutit à l’armistice cinq mois plus tard, le 11/11/1918.
Après son décès en 1946, il fut enterré conformément à ses dernières volontés dans l’Ossuaire national de Navarin, parmi ses hommes tombés au combat.

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La recherche UX chez Hippocrate 4 septembre 2018


Le domaine de la recherche UX est rarement aussi glorieux que lorsqu’il donne l’espoir de faire réellement œuvre utile. Aussi une étude sur la prise en charge des patients dans le monde médical semblait plus qu’appropriée.

Le sujet comporte un premier piège qui serait de mener une observation au niveau individuel. Le domaine du ‘soin’ est une construction collective, qui commence avec la relation du binôme soignant-soigné, à laquelle s’ajoutent les « aidants » dont la présence peut se faire sentir avec plus ou moins d’insistance.
La relation n’est cependant pas directement interpersonnelle car entre le soigné (le patient) et le soignant (médecin ou autre), il y a un hôpital, un cabinet ou autre institution médicale.
Ajoutons un troisième élément de contexte, qui est l’élément de langage, qui est fait de mots bien-sûr, mais aussi de signes et de symboles non verbaux. Cette dimension on le verra est loin d’être neutre pour la suite de mon propos.

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Quels signes, quel symbolisme ?

La relation du binôme soignant-soigné est faite de micro-ajustements qui permettent d’établir une certaine connivence, même au cœur d’une situation dramatique. Le milieu du secours d’urgence permet de voir dans son intensité et sa fulgurance tout ce qui est en jeu :  la connivence est attendue en quelques secondes, dès les premiers mots ou parfois dès le premier regard. A ce moment le binôme soignant-soigné commence à exister. Ou pas.
En complément, la prise en charge de pathologies sur une plus longue durée permet une observation des binômes dans le prolongement de la prise de contact initiale.

Au cœur de la relation on trouve la crainte qu’éprouve le soigné. Crainte de mourir, de souffrir, de voir sa condition s’aggraver, de perdre son emploi, de causer du tracas aux êtres chers et aux aidants dont je parlais plus haut…ou toute autre raison peu importe laquelle, qui appelle une réponse de réassurance.
De son côté, le soignant attend des signes de confirmation de sa compétence, à commencer par le fait que sa simple présence serait déjà rassurante.  Mais si le patient ne se calme pas ou n’exprime pas la confirmation que le soignant attend de lui,  la connivence ne peut pas se mettre en place et la confiance ne peut pas s’établir.
La relation s’engage alors vers une très mauvaise voie : si la confiance ne s’établit pas en effet, elle est possiblement remplacée par de la défiance.

Ainsi se créent les catégories officieuses du « bon malade » et du « mauvais malade ». Celui qui renvoie les signes attendus par le soignant et celui qui ne le fait pas. Ce sont les deux archétypes de base que nous prenons comme point de départ. Si j’ose dire, ils ont poussé tous seuls au fur et à mesure de la pratique. C’est la réponse spontanée des soignants pour catégoriser les soignés, aussi approximative qu’elle puisse paraître. Je les prends néanmoins en compte parce que directement utilisés au niveau opérationnel. On peut les expliquer et les décrire selon des critères stables et reproductibles : les craintes et les comportements du patient et les réponses du soignant.
De plus, du point de vue des soignants, ces archétypes permettent de classer tous les soignés, ce qui renforce leur usage en dépit de leurs sérieuses lacunes.

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Le bon malade, combien de divisions ?

L’archétype du « mauvais malade » mène à un délaissement médical qui est aussi souvent une forme d’évitement de la singularité du patient, trop marquée et pour laquelle on n’a pas de réponse appropriée parce que l’institution n’est jamais descendue à ce niveau de détail pour apporter son soutien méthodologique. La culture de l’institution médicale en effet est d’abord basée sur la technicité, la verticalité des injonctions et sur la certitude d’omniscience, ce qui ne favorise pas l’établissement de solutions essentiellement d’ordre relationnel (ni de reconnaître que ce type de solution peut convenir).
Il n’y a pourtant pas de « mauvais malade ». Il y a des personnes plus difficiles à gérer que d’autres, très certainement… et c’est aussi vrai pour les soignés que pour les soignants. A ce titre, les personas à connotation médicale devraient d’abord faciliter le fonctionnement du binôme en rassurant le patient.

Sans intervention de l’institution à ce stade, tout est perdu, car il est désormais question de consignes managériales et d’organisation du collectif de travail. Et ce n’est certes pas la situation déplorable du service public médical en France qui laissera du temps au personnel pour réorganiser ses pratiques de manière autonome.
Le domaine de l’UX rejoint ici le domaine du management avec une tonalité nettement collaborative… comme c’est souvent le cas dans les sujets les plus importants.
Car -c’est mon hypothèse et ma proposition- les deux figures du bon et du mauvais malade pourraient être remplacées par d’autres archétypes. Des personas bien pensées, bien conçues, qui viennent renforcer des objectifs à haute valeur ajoutée pour le meilleur fonctionnement possible du binôme soignant-soigné.

Le bon et le mauvais malade sont des stéréotypes commodes sans doute, mais surtout injustes envers ceux qui se retrouvent dans la mauvaise catégorie. D’autres catégories, d’autres profils-types permettraient de placer l’empathie au centre de la construction relationnelle et pourraient permettre d’atteindre ces objectifs en couvrant plus finement  l’éventail des comportements des patients et en y apportant des réponses appropriées par les soignants.
J’en aurais 4 à suggérer, adaptés de ceux que la clinique ophtalmologique de Rotterdam a mis en place depuis déjà 10 ans (!) :

> Cliquez dans l’image pour le fichier .PDF

Si vous êtes un cadre médical qui pense d’abord aux chiffres retenez ceux-ci : l’utilisation de ces 4 profils-types (et la formation à les utiliser pour le personnel) a permis un accroissement de 47% de la fréquentation de cette clinique en 5 ans et la note qualité est en moyenne de 8,6/10, sur le critère que les patients n’ont plus (ou bien moins) peur, avant, pendant et après.

Là se dessine un autre programme de réjouissances : un programme de management pour instaurer une nouvelle manière de « lire » les patients et d’interagir avec eux.

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Le syndrome qui n’existait pas

[à ne pas confondre avec la pathologie réelle appelée fièvre méditerranéenne familiale, FMF]

L’angle d’approche de cette étude a dérivé assez rapidement vers le soi-disant « syndrome méditerranéen » qui nous ramène peut-être au pire des cas du « mauvais malade » et du stéréotype toxique qui se développe si on ne lui met pas d’entraves. La plupart de ceux qui en parlent savent que c’est un prisme erroné, mais puisque c’est le seul qui donne des éléments de réponse opérationnelle il ne continue pas moins d’être utilisé… Là aussi, faute de soutien méthodologique par l’institution, la pratique quotidienne a établi des manières de faire qui s’avèrent être des bricolages discutables.

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Disons-le de suite : cette expression ne désigne pas un syndrome et il n’est pas non plus méditerranéen.
Ajoutons aussi que je n’accuse personne de rien et qu’aucun chiffre ne permet d’affirmer que beaucoup de professionnels médicaux y ont recours. Il est cependant suffisamment bien documenté comme norme tacite pour qu’on s’attaque à lui sans faire semblant.
Ce syndrome se définit par  le comportement d’exagération des symptômes de la part d’un(e) patient(e) , du fait de ses origines et de sa culture. Et l’on retrouverait ce syndrome particulièrement chez les populations du pourtour méditerranéen (comprendre en particulier Afrique du nord et plus au sud). Le personnel soignant occidental attribue donc ce syndrome à un patient selon la manière qu’il/elle a d’exprimer sa douleur et son désarroi. Mais bien sûr comme je l’ai déjà dit… les stéréotypes, c’est mal.

C’est d’autant plus mal que si on les laisse dériver et grossir, les stéréotypes finissent par devenir des préjugés qui ont valeur de procédure standard et engendrent des actions qui peuvent se révéler contraires au principe qu’on tente de mettre en œuvre, à commencer par la règle vieille de 2420 ans Primum non nocere : D’abord, ne pas nuire.

Car si ce stéréotype incrimine les personnes de culture méditerranéenne, ce sont en vrai les personnes non-blanches qui seront toutes visées. Parce que bien sûr la « culture » d’une personne n’est pas marquée sur son front. Ce qui est marqué sur notre front en revanche c’est la couleur de notre peau.
En conséquence, les certains soignants sont enclins à adapter leur prise en charge et minimiser la réalité de la détresse du patient en fonction de la couleur de sa peau.
La gravité médicale se loge là : dans le fait qu’en conséquence d’un préjugé erroné certains diagnostics ne seront pas faits et certains traitements ne seront pas administrés. C’est ce qui explique par exemple que les patients non blancs, malgré leurs demandes, reçoivent moins d’antidouleurs après une appendicite que les patients blancs ayant subi la même opération.
 Mc Donald, D.: « Gender and ethnic stereotyping and narcotic analgesic administration »  Researches in Nursing and Health 1994  (voir bibliographie en bas de page)

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Le syndrome méditerranéen devient alors un élément de classification des patients « en raison de leur lieu d’origine, de leur ethnie ou absence d’ethnie, de la nationalité ou d’une religion spécifique ».
En un mot : du racisme au plein sens du terme, tel qu’il est interdit par la loi en France depuis juillet 1881, article 32.

A ce stade, on pourra bien s’insulter les uns les autres et s’accuser tous de racisme, le problème ne sera pas réglé, en particulier parce que « les races » ça n’existe pas. Ce n’est pas un angle d’approche pertinent, ni pour l’analyse, ni pour la solution. Il s’avère en tout cas que faute de mieux, c’est un préjugé qui a valeur de procédure informelle chez certains quelques praticiens, pour gérer certains quelques cas.

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Des sensibilisations culturelles inefficaces

Certains établissements hospitaliers peuvent mettre en place des sessions de formation ou de sensibilisation culturelle qui s’avèrent d’une efficacité relative, voire qui renforcent les préjugés dans la mesure où si le personnel se rend effectivement compte de la variété des réactions à la douleur, il n’en reste pas moins qu’on peut toujours respectueusement faire le constat que « certains en font trop » puisque d’autres sont capables d’en faire moins.

La relation soignant-soigné se base sur des critères techniques d’évaluation, un suivi des constantes et l’évolution de de la symptomatologie comme noter de 1 à 10 la douleur qu’on éprouve.  Si un patient s’estime à 4 et l’autre à 10, chacun devrait recevoir la dose d’antalgique appropriée mais à cause du préjugé de chochoterie, celui qui a la mauvaise couleur de peau et qui exprime une douleur maximale ne recevra pas le traitement adapté, justement parce qu’on croit qu’il exprime exagérément la douleur : c’était même dit par le formateur, dans la formation à la différence culturelle.

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Le design du soin : quelle intention ?

Face à ce constat, je réitère l’idée que le domaine du soin ne se résume pas au geste technique et surtout pas à la technologie. Le soin est d’abord un rapport à autrui et c’est la dimension empathique qui doit être soutenue et améliorée.  Et c’est bien à l’institution de prendre en charge la modification des perceptions des soignés par les soignants. En dernier ressort en effet, c’est bien la clinique, l’hôpital, l’EHPAD ou le poste médical qui est responsable des dysfonctionnements chroniques ou des succès répétés du collectif de travail. C’est aussi à ce niveau hiérarchique que se manifeste l’intention envers les personnes dont on a la charge, employés comme usagers.
Il s’avère en effet que plus la différence culturelle est grande entre le soignant et le soigné, plus l’institution doit s’impliquer pour soutenir et renforcer une relation à la fois professionnelle et sereine pour tout binôme soignant-soigné   -condition sine qua non à un geste technique adapté. Les références individuelles d’un professionnel du soin peuvent en effet n’être pas suffisantes pour établir une relation qualitative avec un soigné. Il n’y a aucun « défaut » à cela, on y est tous confrontés un jour ou l’autre. L’intention réelle de l’institution peut alors se mesurer si elle a su mettre en place un protocole, des renforts méthodologiques qui permettent de prévenir les risques d’une dissonance dans la relation. Ou pas.
Accessoirement, on bloquera ainsi le recours à des stéréotypes médicalement inefficaces et socialement inacceptables, ce qui ne sera pas le dernier des bénéfices.

Ma proposition à ce stade consiste à remodeler les réponses des soignants par un programme managérial qui prenne en compte le type de persona auquel on peut rattacher le patient, selon les quatre archétypes décrits ci-dessus.

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Bibliographie :

Bihault A.-G.: Les mots du corps : une ethnographie des émotions des soignants en cancérologie Revue Ethnographiques n°14, 2007
Boula, J.-G.: Nécessité du détour anthropologique dans les soins médicaux  Ed. Fondation Genevoise pour la Formation et la Recherche Médicales, 2017
Cuvelier, M. : « Relation soignant-soigné en contexte multiculturel » Revue Cultures & Santé Bruxelles 2011
Faizang, S. : La relation médecins-malades : information et mensonge Éditions PUF, 2015
Durieux, S.: « Du syndrome méditerranéen à la balkanisation des diagnostics : l’art difficile de la neutralité en médecine » Revue Médicale Suisse n°2601 2007
Fassin D., Carde E., Ferré N. et al.: Un traitement inégal. Les discriminations dans l’accès aux soins : Bobigny  Rapport n°5 CRESP 2009
Greenwood, B. Carnahan, S. Huang, S. : « Patient-phyisician gender concordance and increased mortality among female heart attack patients »   Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 2018
Rohrbach-Viadas C.:  « Soins et anthropologie. Une démarche réflexive » Revue Recherche en soins infirmiers n°90, 2007
Jaffré, Y. , Olivier de Sardan, J.-P. : Une médecine inhospitalière. Les difficiles relations entre soignants et soignés dans cinq capitales d’Afrique Ed. Karthala, 2003
Kavanagh C.: « Invisibility and selective avoidance: Gender and ethnicity »  Culture, Medicine and Psychiatry, 1991
Kirkham, S.: « The politics of belonging and intercultural health care » Western Journal of Nursing Research n°25, 2003
Leininger, M.: Ethical and moral dimensions of care  Wayne State University Press, 1990
Mc Donald, D.: « Gender and ethnic stereotyping and narcotic analgesic administration »  Researches in Nursing and Health 1994
Véga A.: Une ethnologue à l’hôpital. L’ambiguïté du quotidien infirmier Ed. Archives contemporaines, 2000
Véga A.: Soignants-soignés, approche anthropologique des soins Ed. De Boeck, 2001
Vindelingum, V.:  « Nurses experiences of caring for South Asian ethnic patients in a general hospital in England » Nursing inquiry n°13, 2003
Spitzer, D.L.: « In visible bodies.  Minority women, nurses, time and the new economy of care » Medical Anthropology Quarterly, 2004

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Uzbin et l’évaluation du risque 8 août 2018


Il y a 10 ans, le lundi 18 août 2008, l’armée française perdait 10 hommes et 21 autres étaient blessés dans une embuscade tendue dans la vallée d’Uzbin (Uzbeen), en Afghanistan.
C’étaient les plus grosses pertes au combat depuis la guerre d’Algérie, sans compter l’attentat de 1983 au Liban contre le poste Drakkar.

Comme pour l’attaque du pont de Verbanja, combien de Français civils s’en souviennent ?
Dix ans après l’embuscade d’Uzbin, on observera donc avec attention comment le sujet sera traité dans la presse française. S’il l’est.

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uzbeen_embuscade_2008

Dans l’esclandre le débat national qui s’en est suivi, en 2008, les décideurs politiques ont eu beau jeu de critiquer l’absence de tolérance des familles et du Peuple pour la mort de soldats.
Lorsque votre tenue de travail comporte une arme et ses munitions en effet, une hypothèse crédible est qu’on puisse ne pas revenir sain et sauf le soir. Certes. Mais c’est aller un peu vite en besogne. Encore faut-il que les décideurs politiques aient permis aux soldats de faire correctement leur travail, à commencer par leurs décisions relatives aux budgets des armées.
Ainsi, dans l’embuscade d’Uzbin, la critique pourrait aussi être inversée et, s’agissant de vies humaines, on peut même utiliser le présent pour poser une question qui reste d’actualité : l’institution militaire et ses responsables civils peuvent-ils garantir que les moyens sont disponibles pour que, si malheureusement des soldats tombent au combat, au moins ils ont pu en mettre plein les dents à l’ennemi avant de tomber ?
En termes moins crus, quels moyens sont mis en œuvre pour retarder et minimiser les pertes d’une section d’infanterie, tout en augmentant les dégâts qu’elle peut infliger à l’ennemi dans un rapport, mettons, de 1 pour 15 ?
Quelles leçons ont été tirées d’Uzbin ?

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Ici, dans cette région d’Afghanistan en 2008 il n’y avait pas de reconnaissance aérienne préalable, une dotation minimale en munitions, pas d’appui aérien disponible, pas de plan de secours. Au VIe siècle avant Jésus Christ, le général chinois Sun Tzu (孫子) nous avait pourtant prévenus dans son ouvrage L’art de la guerre : « Tout le succès d’une opération réside dans sa préparation ».
Ces seuls éléments laissent à penser que la patrouille d’Uzbin a été programmée par des responsables qui pensaient que la région était calme et que tout irait bien. Du reste, c’était ce que confirmaient les Italiens qui opéraient jusque là à cet endroit et que les Français étaient venus remplacer. Il n’y avait aucune raison de s’alarmer, même pour une patrouille dans un pays en guerre depuis trente ans.
Ça tombait bien, ça allait coûter moins cher.

L’évaluation du risque a été faite en fonction des probabilités d’échauffourées et sur la base des comptes-rendus italiens qui indiquaient que tout était paisible.
Or on n’évalue pas un risque en fonction des probabilités mais en fonction des conséquences.
« Prévoir le pire et espérer le meilleur » , comme dit l’adage. Et non pas l’inverse.
En l’occurrence, penser aux conséquences aurait permis une toute autre configuration de la patrouille à commencer par des munitions supplémentaires et des renforts sur le qui-vive.
Le risque d’une chute de météorite était improbable, mais celui d’une attaque par un ennemi supérieur en nombre n’est jamais improbable dans un contexte de guerre. Selon la qualité du renseignement, c’est même une hypothèse qui peut être vérifiée avant l’opération. Si on a les équipements. Bref.
C’était une hypothèse à envisager spontanément et non pas comme un cas marginal et peu rationnel. Ça l’est tout le temps d’ailleurs, dans tous les endroits où des soldats patrouillent en armes : au Mali, à Djibouti ou à Lyon ou Paris.

…bien plus tard, il s’est avéré que les Italiens distribuaient de l’argent aux populations locales pour qu’elles se tiennent tranquilles.
Plus tard encore, traumatisé par l’événement, le pouvoir politique national retira notre armée d’Afghanistan -une dernière insulte à nos soldats tués dans ce pays.
Donc au début du XXIe siècle, quand la France faisait la guerre l’ennemi pouvait gagner en tuant dix de ses combattants.

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La prochaine fois que vous devrez évaluer un risque, pensez à Uzbin. Pensez aux conséquences et non aux probabilités.
Et pour pouvoir pallier réellement aux conséquences, si vous devez prendre une décision d’investissement, allez-donc étudier les besoins de votre personnel en première ligne en étant avec eux sur le terrain : équipe de vente, guichetiers, équipe projet ou… section d’infanterie.
Tout le reste de l’édifice devrait être orienté vers la réponse à leurs besoins.
C’est l’intérêt d’une organisation centrée utilisateur (user centric) : ce type de management mène à se doter d’équipements (enfin) performants et d’une organisation conforme aux objectifs qu’on se fixe (qui ne sont, avant ça, que des prétentions).

Ne le faites pas et ne vous plaignez pas alors que vos équipes en soient réduites à appliquer la procédure PBM alors que les balles sifflent.
De ce point de vue, quelles leçons ont été tirées d’Uzbin ?

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Voir aussi :   https://fr.wikipedia.org/wiki/Embuscade_d’Uzbin

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Millennials, digital natives (et autres foutaises) 7 juin 2018


.La puissance des préjugés et des idées reçues est souvent largement sous-estimée.

Il existe ainsi de nombreuses catégories qui nous permettent de ‘lire’ le monde alentour mais qui, après examen, s’avèrent totalement infondées. Ainsi, certains croient que la Terre est plate, d’autres que les Millennials existent pour de vrai.

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De nombreuses publications ont popularisé cette manière de qualifier les différentes générations par des traits de caractère typiques, afin de diffuser des messages commerciaux censés les attirer vers tel ou tel produit.
En suivant cette logique erronée (comme toute théorie à usage marketing), si vous êtes né le 31 décembre 1979 vous faites partie de la Génération X et vous-vous démarquez par un comportement généralement sceptique, pragmatique et démotivé. Si vous êtes né un jour plus tard, le 1er janvier 1980 on vous assigne à la catégorie des Millennials (ou Génération Y), ce qui est censé faire de vous quelqu’un de narcissique, technophile et optimiste.
En tenant compte de ces traits de caractère il serait alors possible de concocter des messages à destination de ces populations …messages qui tomberont systématiquement à plat en termes d’âge.

Car ce n’est pas le calendrier qui commande notre familiarité avec une technologie ou les valeurs auxquelles on adhère, c’est l’environnement familial, l’histoire personnelle, l’éducation et notre position dans l’échelle sociale.
Quelqu’un né en 2001 dans le XVIIe arrondissement de Paris fait bien partie de la même génération que quelqu’un d’autre né la même année dans la cité des Izards à Toulouse, mais ce n’est sûrement pas la date de naissance qui permet de trouver leurs points communs en termes de comportement ou de préférences.

Émettre des théories et proposer des plans d’action sur le seul critère des différences générationnelles, c’est créer des stéréotypes. Et les stéréotypes, c’est mal.

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Ces stéréotypes pour fallacieux qu’ils soient, n’en ont pas moins un effet réel parce que les décideurs ont l’illusion de connaître « le marché ». Des décisions sont prises en se référant à une réalité qui n’existe pas. Des produits et des sites web sont créés sur la base de ces catégories imaginaires  (demandez à  Joon), ainsi que des politiques publiques ou même des stratégies d’innovation tout entières.
Mais l’innovation ne se base pas sur des croyances et aucune étude sérieuse ne corrobore l’idée que le critère générationnel est pertinent pour déduire des caractéristiques culturelles.
Si vous voulez connaître vos clients il faut cesser de croire et aller constater en direct, sur le terrain. Bienvenue dans le monde merveilleux de l’expérience utilisateur.
Là, des spécialistes (des vrais) pourront démontrer que non, l’âge n’est pas un critère valide pour identifier les préférences des utilisateurs d’iPhone rose, d’Instagram ou de chaussures New Balance vertes. Parce que effectivement, un utilisateur technophile aujourd’hui a de fortes attentes quant à la qualité de ce qu’on lui propose -et ce qu’on lui propose est branché à l’internet. Les digital natives le sont parce que l’état des technologies à leur époque ne leur laisse de toute manière pas le choix, pas plus qu’aux autres classes d’âge. Si nous avions été en 1986, cette description aurait très bien convenu à un utilisateur chevronné du magnétoscope ou du lecteur CD. L’aisance qu’on a avec un outil n’est pas liée à l’âge, elle est liée à…l’aisance qu’on a avec l’outil.
Car 12, 22, 52 ou 72 ans… quelle importance ?

On ne construit pas une stratégie d’innovation, ni des profils d’utilisateurs, sur une base générationnelle.
Et les valeurs communes entre une marque et ses utilisateurs n’ont rien à voir avec une unique tranche d’âge.
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Bien sûr les « générations » existent. En démographie on appelle ça une cohorte de naissance : un groupe d’individus ayant la même année de naissance. Notez bien que c’est le seul point commun de tous ces gens : l’année de naissance.
Mais il n’y a là rien qui fasse d’une génération un ensemble homogène en termes de valeurs, de préférences ou de pratiques. Les communications qui s’adressent aux 15-25 ans, finalement, cachent assez mal l’idée que la cible réelle est la population des jeunes riches : c’est la population que les entreprises souhaiteraient avoir dans leur fichier client.

Les généralisations abusives et le simplisme ne sont pas vos amis, pas plus que le recours aux boules de cristal ou la divination par les os de poulet. Nous devrions être hautement suspicieux de ce genre de platitudes démographiques.
Et pour ceux/celles d’entre vous qui tentent malgré tout d’y voir clair en identifiant qui, quoi, comment, pourquoi se produisent les différences générationnelles; je vous invite à prononcer la formule magique : quelles sont les preuves ?

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En réponse à cette question… vous constaterez que l’édifice s’effondre, comme c’est le cas en général pour les foutaises du management.

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Les bonnes manières, dans ta face 17 octobre 2017


On n’est pas loin de la schizophrénie culturelle.

Le déferlement récent de témoignages d’agressions sexuelles situe souvent l’action dans la zone grise qui permet à l’auteur de nier car il pourrait peut exister un doute raisonnable sur sa culpabilité (en tout cas la première fois)… et le plus (?) étonnant est que ces situations d’agressions se produisent souvent dans le cadre du travail, qui est pourtant l’un des environnements les plus codifiés, réglementés et contrôlés.

Puisque ces comportements de prédation sont déjà interdits, c’est donc qu’il existe une tolérance, pour des actes qui ne relèvent pas directement du pénal. Le problème étant que « dans le doute » on en arrive à laisser advenir des actes dont la non-dénonciation profite au coupable, surtout si les témoignages s’accumulent, sans que jamais il ne soit mis devant ses responsabilités.

.Des briques de base semblent manquer dans la construction des collectifs de travail : si en effet on sait qu’il existe des agresseurs dans nos bureaux et nos usines, qui blâmer de leur impunité ?
Les Directions des Ressources Humaines peuvent bien se regarder le nombril en parlant de management libéré et de bonheur au travail, on aurait préféré qu’elles traitent le problème à la racine depuis bien longtemps, alliées aux Directions Générales et Directions Juridiques.
Par exemple, j’ai eu beau chercher avant de publier cet article, je n’ai rien trouvé chez l’ANDRH.
Pas une déclaration officielle, pas une recommandation, pas de conseil pour transposer la règle de 3 du management, pas un mot, que dalle, nada.
Pourtant, l’article 4121-1 du code du travail n’est pas fait pour les chiens, si j’ose dire.

Entre le « bonheur au travail », les Chief Happiness Officers, #MeToo et #balanceTonPorc, peut-être faut-il reprendre les choses dans le bon ordre.

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Cher(e)s collègues, homme ou femme, blanc, noir ou bleu turquoise, sexisme travail_violentometre
-j’assimile sexisme et racisme, pour bien situer mon propos-
On se fréquente en entreprise pour bosser ensemble, mais parfois le fait d’être collègues ne permet pas d’aller très loin dans la confidence. Après tout, on n’est « que » collègues.
Oui… mais non. Le soutien mutuel quand ça part en vrille est le fondement de notre relation, en tant qu’êtres humains. Commencez par ne plus vous taire. Commencez par compter sur mon soutien.
Je fais partie des personnes qui peuvent vous servir d’oreille attentive. Pour commencer.
Les collègues finalement, ça sert aussi à ça.
Parlez, gueulez ou chuchotez, mais allez-y, crachez le morceau.
L’enfoiré(e) c’est l’autre et c’est l’autre qui a quelque chose à se reprocher, même ou surtout si ça s’est produit sans témoin.
Pour défendre une de ses copines, l’actrice Carrie Fisher avait déposé elle-même un paquet cadeau contenant une langue de boeuf, sur le bureau d’un type qui se sentait autorisé à coller ses collègues de près : « Si tu touches encore une femme, je ferai un paquet plus petit avec quelque chose à toi dedans. » Dans un autre registre, comme disait l’éminente Françoise Héritier : « la mise à bas de la domination masculine commence par refuser le service du café. »

Rien ne justifie l’agression, la brimade ou l’insinuation à caractère sexuel ou raciste. Rien n’implique de ne pas riposter si on vous l’inflige. Rien n’implique de ne pas demander du renfort pour riposter.
Ce n’est plus open bar. Fini. Terminé.
Si besoin vous aurez ma protection physique.

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Inversement… si on se fréquente et que tu es dans le camp des enfoiré(e)s, quelque soit ton nom ou ton rang, lorsque je le saurai n’attends de moi aucune indulgence, aucune pitié, ni aucune discrétion.

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Le chef de projet automatique 27 juin 2017


Dans un article récent, l’anthropologue australienne Genevieve Bell énonçait que face à l’essor de l’intelligence artificielle (IA), la plus grande peur de l’humanité est de devenir sans importance, supplantée par des machines et des lignes de code informatique qui réaliseraient les tâches quotidiennes mieux et plus vite.
Ce n’est pas une mince affirmation pour quelqu’un qui a travaillé comme ethnologue pour l’entreprise Intel durant 18 ans et qui y a achevé sa carrière comme vice-présidente (encore une preuve que l’ethnologie sert à quelque chose : documentez-vous sur les réalisations de son équipe).

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Contrairement aux propos d’autres chercheurs comme Stephen Hawking qui craignent que l’IA nous projette vers l’autodestruction, l’idée de Bell est qu’avec des intelligences artificielles omniprésentes, il se passe… rien.
L’être humain se retrouverait les bras ballants, les yeux dans le vague, attendant de répondre à la question « Et maintenant, on fait quoi ? »

Dans ce scénario de prospective, l’être humain se retrouve contraint de penser différemment son rapport au travail, à la productivité et au sens qu’il donne à son existence… à commencer par le fait que travailler pour toucher un salaire n’est peut-être pas le plus grand des accomplissements, puisqu’un automate est capable de faire ça mieux et sans demander de rémunération.
A quoi donc occuperions-nous nos journées si n’étions pas contraints de gagner un salaire ?
Le problème fondamental qui se posera alors sera d’ordre politique, au sens où il faudra trouver des occupations pour les masses humaines afin de les garder en bonne forme et contentes. Le mot « chômage » n’aura plus de sens dans la mesure où il ne s’agira plus d’un manque d’emplois, mais d’une absence totale d’utilité à travailler parce que nous ne serons plus contraints d’être productifs. Pour une large part de l’humanité, ceux qui travailleront seront les robots, les logiciels et, au sens large, les IA.  La question sous-jacente est celle non pas de qui produit, mais qui profite de la richesse ainsi produite.

Et effectivement l’intelligence artificielle a déjà commencé à supplanter l’être humain dans des domaines aisément automatisables. Malheureusement nous sommes encore trop immatures sur ce sujet pour avoir même pensé à redistribuer cette richesse. Peu à peu, à force d’affinages et de perfectionnements, ce sont d’autres domaines qui vont être touchés.  Si nous n’apportons toujours pas de réponse au problème il y en aura des gros, des problèmes.

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Vous me direz alors que l’essor des IA sera limité et que de nombreux domaines sont à l’abri d’une automatisation radicale.
Cette phrase est assez ironique car elle est généralement prononcée par des gens qui se considèrent à l’abri d’une telle humiliation à se voir remplacer par un robot.
C’est bien le cœur du sujet : on est humilié d’être remplacé par un robot lorsqu’on en déduit que désormais, on est inutile.
L’hypothèse de Genevieve Bell semble prendre le pas sur celle de Stephen Hawking.
Entre l’ethnologue et le physicien, nous aurions finalement le choix entre deux avenirs qui ont déjà été envisagés par la science-fiction. D’un côté il y aurait un scénario post-pénurie que nous décrit La Culture de Ian M. Banks et de l’autre il y aurait l’apocalyptique Terminator de James Cameron.

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Les chauffeurs de taxi se sont mis en colère en voyant Uber piétiner leur monopole… ce n’est rien à côté de ce qui arrivera avec les véhicules doté d’une autonomie de niveau 4, c’est à dire qui se conduisent totalement seuls, sans même avoir besoin d’être construits avec un volant et un frein pour Homo Sapiens.
Dans un domaine connexe, en France, les chauffeurs-livreurs sont plus de 300.000 (3,5 millions aux Etats-Unis).
De ce point de vue, les entreprises concernées (dont les auto-écoles) feraient bien de se préparer au jour où le « pilotage » manuel d’un véhicule à moteur sera légalement restreint aux pistes fermées. Dans la mesure où 90% des accidents de la route sont dus à une erreur humaine il ne faudra pas longtemps avant que la décision réglementaire soit prise… dès que le parc automobile sera prêt.
Il est arrivé la même chose aux actuaires du secteur de l’assurance -sans bruit et sans fracas- dans les années 1995-2000, au fur et à mesure qu’ils étaient remplacés par des logiciels qui rendaient inutile l’emploi d’un humain diplômé d’actuariat. Ce n’est donc pas un emploi dans un bureau avec clim et épaisse moquette du secteur tertiaire qui nous protège, ni parce qu’on a le sentiment de faire un travail hyper complexe.

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Dans le monde de l’entreprise, on a tendance aujourd’hui à considérer que l’élévation hiérarchique est proportionnelle au niveau de protection face à l’automatisation des métiers. Plus vous êtes haut en grade, plus vous seriez à l’abri.
Peu ou prou, j’y vois comme une forme de déni qui empêche d’analyser le sujet sérieusement.

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L’un des postes les plus exposés me semble être -contre toute évidence- celui de chef de projet.
Le chef de projet (le « CdP ») est celui qui coordonne les différents acteurs d’un projet en vue de livrer un produit qui ait la meilleure qualité possible. C’est la version essentielle et synthétique : le chef de projet est un chef d’orchestre.

Une autre définition plus pointilleuse de ce métier fait du CdP celui qui rassemble les informations utiles pour piloter un projet afin d’assurer le respect du fameux triptyque Coût-Délai-Qualité.
Il est alors censé empêcher les dépassements de budget, garantir l’absence de défaut à la livraison et assurer que cette livraison sera faite à l’heure.
Disons-le tout de suite, c’est généralement illusoire et pourtant c’est la définition la plus répandue.
Peut-être parce que c’est celle qui permet aux étages supérieurs de la hiérarchie de se dédouaner d’une mauvaise évaluation initiale en faisant porter le chapeau au seul responsable, le chef de projet.
En effet, sachant que la plupart des coûts sont systématiquement sous-évalués de 20 ou 30 %, il est assez facile ensuite de faire sauter le fusible chef de projet en lui reprochant d’avoir dépassé le budget prévu de 35%.
C’est la raison pour laquelle on sait de manière certaine que 80% des projets dans le secteur informatique dépassent le budget, sont livrés en retard et connaissent des défauts qu’il faut corriger par la suite.
Relisez cet article pour comprendre à quel point ça peut réellement partir en vrille.
(…de ce point de vue une destruction à la Terminator est envisageable… mais plutôt comme conséquence d’un accident industriel lié à un défaut de conception des IA plutôt qu’à leur perfection intrinsèque)

Bien sûr le chef de projet ne travaille pas seul, mais à ce stade ce noble métier est réduit au niveau du contremaître d’usine dont la contribution majeure consiste à vérifier que les différents contributeurs n’ont pas dépassé le temps prévu pour l’une des activités du projet. Sa valeur ajoutée n’est pas celle d’un chef, il est affecté à des tâches routinières de reporting et de projection budgétaire et calendaire.
Dans les organisations qui appliquent cette définition étriquée du chef de projet, la valeur de chacun est comparable aux rouages d’une bureaucratie normée, régulée et réduite au fétichisme des Jours/Homme.

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Or il se trouve que les logiciels de « pilotage » sont  abondants et qu’ils enregistrent toutes les données relatives au projet. L’un concerne les « imputations » du temps de travail, l’autre recense les défauts ou anomalies et un autre encore pourra regrouper la dimension qualitative du produit en construction sous la forme d’ « exigences ».
Toutes les données sont donc présentes et c’est bien tout ce dont l’automate a besoin pour se mettre à fonctionner.

Au moment où les concepteurs d’algorithmes et d’IA parviennent à des niveaux de fiabilité inconnus jusque-là (voyez ClickUp ou Polydone par exemple), il ne se passera pas beaucoup de temps avant qu’une IA soit infusée dans un logiciel de pilotage de projet, de manière à automatiser le métier de chef de projet… c’est à dire à rendre inutile le chef de projet humain en tant que gestionnaire et comptable du Coût-Délai-Qualité.
Les premières entreprises qui adopteront ces IA de gestion de projet pourront dupliquer une compétence automatisée et si elle est aussi efficace que les voitures autonomes, on réduira les taux de (retards + dépassements budgétaires + anomalies) de 90%.
Le contrecoup sera que dès le départ, l’IA mettra en évidence la sous-estimation initiale faite par les responsables hiérarchiques (Comités d’investissements et autres Comités de direction) et qu’il n’y aura plus personne pour servir de dérivation à la responsabilité.

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En termes de culture organisationnelle et de culture métier, l’absorption de la fonction de chef de projet par les IA laissera bien des spécialistes compétents en état de choc.
Le chef de projet est l’archétype du métier qui ne peut pas être automatisé !
Les actuaires disaient la même chose aux alentours des années 2000. Je le sais, j’y étais.
C’était avant de constater qu’effectivement les Modèles Linéaires Généralisés (en anglais GLM) faisaient le boulot, mieux, moins cher et avec une qualité constante autrement plus fiable qu’un humain qui a besoin de réfléchir à ce qu’il fait.

La fonction de chef de projet au sens de contremaître est donc vouée à disparaître pour cause d’obsolescence.
Resteront ceux qui se seront reconvertis en experts en logiciels de gestion de projet et ceux qui excellent dans ce qui est réellement non automatisable dans ce métier : la coordination des acteurs, la prise de décision relative au contenu du produit fini, la diplomatie entre les différents métiers affectés à un projet.
Bref : l’entregent, l’orchestration des équipes par la connaissance fine de leurs membres.
La seule compétence qui reste quand les machines s’occupent suffisamment bien de tout le reste. La dernière qui reste pour empêcher que tous les intervenants à leur tour finissent par être considérés comme des rouages de la machine.

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L’irruption de l’IA dans la gestion de projet fera l’effet d’une attaque surprise et ça ne sera pas la faute de l’IA, elle sera du fait de notre manque d’anticipation. Skynet a verrouillé sa cible.

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Il est temps d’envisager pour tout le monde l’avènement des IA comme les balbutiements d’un âge post-pénurie et donc de nous poser collectivement la question : qu’est-ce qui nous rend utiles ?

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