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Les aventures d'un ethnologue dans le grand monde

Retour vers l’avenir 17 Mai 2024


Je dis « notre » date d’apparition, dans la mesure où nous sommes, nous aussi, en 2024, des homo sapiens. Anatomiquement, nous sommes les mêmes. Les caractéristiques physiques d’un individu adulte du paléolithique ancien sont celles de nos actuels coureurs de cross-country. Ce n’est pas pour rien que nous-nous sommes retrouvés, pour l’essentiel à pieds, sur tous les continents sauf l’Antarctique.

Et, pendant 230.000 ans, nous ne sommes pas les seuls représentants du genre Homo. Il y a des contacts, des mélanges, des bébés. 1,8% de notre ADN provient de Néandertal, sans compter Denisova, Florès, et les autres.

Si nous voulons comprendre l’histoire humaine correctement, nous devons comprendre que nos ancêtres éloignés n’étaient pas différents de nous. Ils étaient intelligents, et, comme nous, ils ont fait du mieux qu’ils pouvaient en fonction du monde autour d’eux. Et, donc, nous ne sommes pas meilleurs qu’eux.

Je serais bien curieux de voir comment nous-mêmes, aujourd’hui, nous-nous en sortirions si toute la région de Campanie explosait. Un événement qui s’est produit sous les pieds des Italiens préhistoriques il y a 39.000 ans. C’est l’une des pires éruptions volcaniques, qui a formé sous l’actuelle ville de Naples le supervolcan des champs Phlégréens, qui n’est pas moins menaçant (la loi de Murphy, souvenez-vous !). La colonne de cendres s’élève à 40km d’altitude et, portée par les vents, retombe sur toute la méditérranée jusqu’en Russie centrale. Cet évènement majeur est une explication possible de l’extinction des 100.000 Néandertaliens.
Vers -34.000, nous-nous retrouvons donc seuls représentants du genre Homo.
Terminés, les bébés métisses. Notre stock d’ADN se stabilise, il ne sera plus jamais modifié par des apports autres.

Et il en a encore fallu des capacités physiques, et mentales, pour qu’homo sapiens croisse et s’épanouisse sur la planète toute entière.
Il a su croître malgré la Dernière période glaciaire qui surgit en quelques dizaines d’années : le niveau des océans baisse de 120 mètres, on passe la Manche à pieds, et on passe aussi à pieds de la Thaïlande à l’Indonésie. La calotte de glace épaisse de trois kilomètres descend jusqu’au sud de l’Angleterre et jusqu’à New-York. Les régions non recouvertes ont leurs sols gelés en permanence.
Et il a su croître encore, même malgré la fin de cette période, auquel il s’était finalement bien adapté. En effet, il avait su mettre à profit la couche de glace pour franchir l’actuel détroit de Béring, et investir le continent américain qui, jusque-là, ne connaissait pas les mammifères bipèdes.
La déglaciation prend huit mille ans. Le niveau des océans remonte de 120 mètres.
L’Amérique et ses habitants se retrouvent isolés jusqu’à la prochaine vague migratoire : les colons européens au XVIe siècle.

Au sortir de cette période de bouleversement climatique, la géographie devient plus accessible, ce qui induit de nouveaux bouleversements culturels, des gros.
En Europe du nord, les chasseurs-cueilleurs nomades sont rejoints par des gens qui domestiquent les bêtes et les plantes. C’est le Néolithique qui arrive, et beaucoup de choses vont changer, de la naissance des groupements urbains jusqu’à la physionomie des autochtones. En effet, jusqu’à il y a environ 7.000 ans, les populations locales avaient la peau brune et une fréquence insoupçonnée à avoir les yeux bleus. C’est l’arrivée massive d’une population d’agriculteurs provenant de l’actuelle Turquie et du Moyen-Orient qui a induit un éclaircissement de couleur de peau, par le métissage (encore).

C’est le moment de re-re-préciser : les races humaines, ça n’existe pas. Ce dont je parle n’est donc pas une modification des « races ». Les homo sapiens peuvent être plus ou moins chargés en mélanine, ils n’en restent pas moins des homo sapiens. Personne ne dit que vous avez changé de « race » après l’été, lorsque vous êtes tout bronzé.

Les caractéristiques comportementales d’homo sapiens sont encore les nôtres aujourd’hui (vu que nous sommes aussi des homo sapiens, vous suivez ?) : la pensée symbolique et sacrée, l’art, les techniques, les échanges et le commerce, les déplacements à longue distance, les négociations politiques, le soin médical.
Ce qui différencie les groupes et les sociétés humaines depuis tout ce temps, c’est leur manière d’incarner ces traits communs de comportements, par l’infinie variété des cultures.
De ce point de vue, une homogénéité culturelle, sociopolitique, ou quoi que ce soit d’autre, n’est même pas souhaitable, à commencer par le fait qu’il n’y a pas une forme de culture qui soit absolument meilleure que toutes les autres. Sinon, croyez-en homo sapiens, ça fait bien longtemps qu’elle aurait été trouvée, et adoptée.
Les « différences » en soi ne sont pas des incompatibilités, elles doivent être des complémentarités. Et si un tel arrangement n’est pas possible, nous avons inventé la guerre comme méthode ultime de résolution des problèmes (qui en crée d’autres, et parfois pires).
L’hétérogénéité des cultures est un gage de longévité à long terme. Car si chaque groupe avait fait strictement comme ses voisins, nous n’aurions pas survécu mille ans.

A l’échelle de notre espèce, cette capacité à modifier ce qui est considéré comme « normal » est un gage de survie. Car si malheureusement un groupe est en difficulté du fait de sa forme d’organisation, les autres ont bon espoir de ne pas subir le même sort car ils en ont une différente, ou ils peuvent en inventer une différente.

Le monde a encore énormément changé, bien sûr, plein de fois, et nous n’avons jamais cessé de nous adapter. Notre propre organisation sociale, aujourd’hui, ici, ou là-bas, n’est qu’une variante parmi des possibilités multiples, et, nous aussi, nous faisons de notre mieux, en fonction du monde autour de nous.
Demain sera encore différent, c’est une certitude. Ce n’est pas pour autant que ce sera moins bien. D’ailleurs, pour une part non négligeable, c’est à nous de choisir comment nous-nous adapterons.
Anthropologiquement, depuis 300.000 ans, nous n’avons pas cessé de le faire, et c’est la raison pour laquelle nous sommes toujours là.

 

Le roi qui tomba de cheval en 1404 8 février 2024

Filed under: organisation,Recrutement,Société — Yannick @ 06:06
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En ce jour, huit février de l’année 1404, le roi de Corée Taejong (이단) tomba de cheval durant une partie de chasse.

Très embarrassé, il se releva, regarda autour de lui et ordonna qu’on ne laisse pas l’Histoire se souvenir de cette maladresse.

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King Taejong of Korea, who fell from his horse on 8th february 1404.

A sa grande déception, les historiens de la cour qui l’accompagnaient partout choisirent non seulement de décrire cette chute dans les annales de la dynastie Joseong, mais aussi de mentionner que le roi avait demandé que ça ne soit pas fait.

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Six-cent-dix-neuf ans plus tard, l’Institut National d’Histoire Coréenne maintient cet héritage pour la postérité.

Quand on prend conscience des efforts d’occultation ou de déformation que fournissent certains régimes politiques pour contrôler le passé, il n’est pas difficile de comprendre les enjeux liés à la manière dont l’histoire est collectée (d’abord), archivée (ensuite) et racontée (enfin). L’histoire est l’un des lieux intellectuels par excellence où se joue la recherche, la discussion, la transmission d’une vérité qui se doit d’être à la fois factuelle et honnête.

Et, en l’occurrence, les archivistes coréens sont des radicaux dans leur genre, depuis environ l’an 62 avant notre ère.

Il existe un récit où le roi Taejong (encore lui) se plaint (encore) d’un scribe qui s’était déguisé pour pouvoir l’espionner et constater de visu ses faits et gestes.

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Personne n’était autorisé à voir les archives du royaume, même pas le roi. L’un d’entre-eux essaya quand même et tua cinq des historiens dynastiques. Leurs collègues firent en sortent que ça ne se produise plus jamais, non pas en obéissant au roi, mais en interdisant la modification des archives officielles, qui devint un crime puni de mort.

Même lorsque des factions politiques rivales tentaient d’influencer les rédacteurs, ceux-ci notaient qui avait demandé quoi et notaient les révisions dans une autre archive. L’original restait ainsi distinct des autres.

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Ils faisaient également grand cas de ce que nous appellerions le back up de leurs données.

Il y avait quatre copies similaires et lorsque trois d’entre elles furent perdues dans les guerres d’Imjin, ils en firent cinq de plus pour être bien certains qu’un total de neuf copies ne pouvait pas disparaître totalement, surtout en étant stockées dans des lieux différents.

Un de ces exemplaires fut perdu lors d’une rébellion, un autre fut partiellement détruit lors d’une invasion, et l’envahisseur japonais en vola un qui fut transféré à l’université de Tokyo qui fut à son tour perdu lors du tremblement de terre de Kanto en 1923. Quarante-sept tomes des archives nationales coréennes furent préservés et restitués par le Japon en 2006.

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Désormais tout est disponible au format digital, traduit en coréen moderne, librement accessible par tout un chacun. C’est en ligne ici.

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Il en a fallu de la détermination, par des générations d’archivistes méticuleux, de copistes incorruptibles et d’historiens déterminés, et une administration soigneuse, pour rendre possible cette blague irrévérencieuse :

joyeux jour anniversaire au roi Taejong, qui tomba de cheval le 8 février 1404 !

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Under fire 26 Mai 2023


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L’assaut du pont de Verbanja : dimanche 27 mai 1995.

Dans la nuit du samedi au dimanche, des combattants serbes (République Serbe de Bosnie) vêtus d’uniformes français volés prennent possession du poste d’observation Sierra Victor géré par l’armée française, sous mandat de l’ONU. Pas un coup de feu n’est tiré et 11 soldats sont faits prisonniers.
Outre l’évidente humiliation militaire pour les Français, la perte de contrôle du pont de Verbanja (Vrbanja) donne aux Serbes la possibilité d’élargir leur contrôle de la ville de Sarajevo et de menacer la population civile qui s’y trouve. Au petit matin, décision est prise de recourir à la force pour reprendre le contrôle de cet avant-poste…

Jusqu’à ce jour, c’est le dernier assaut mené par l’armée française avec les baïonnettes aux canons.

Le compte rendu de l’assaut est rédigé par le lieutenant Héluin, du 3e régiment d’Infanterie de Marine (3e RIMa) à l’époque. Ce témoignage reste un modèle du genre en ce qu’il donne à voir ce qui fait le combat : vaincre sa peur, puis parvenir à se mouvoir, sous le feu.
Bruno Héluin est aujourd’hui colonel, détaché à l’OTAN après avoir été chef d’état-major de la 9e Brigade d’Infanterie de Marine (BIMa), à Poitiers. Le capitaine Lecointre de 1995 est aujourd’hui général, chef d’état-major des Armées.
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Le 27 mai 2015, ce document est publié sur ce blog par mes soins, traduit pour la première fois en anglais, à l’occasion des 20 ans de cette bataille.

La version française originale fut publiée pages 7 – 9 dans ce numéro des Cahiers de la Réflexion Doctrinale (Ministère de la Défense).

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In 2015, 20 years after the events, i translated the firsthand report of the assault led by french troops against the VRS forces (Serbs) in 1995. It was written by its main protagonist, Bruno Héluin, who is now the french envoy for NATO at the Norfolk military base.

Many of you maybe weren’t even born at that time, during the Yugoslavian civil war of 1991 – 2001… many others will have never heard of this battle. But in no case are we allowed to forget the chaos, raw violence and the training and mental skills needed to even manage to move in such situations. Because this is what combat is made of : the ability to overcome your fear, then to move, under fire.

It’s the only version published in english. And until now, it’s been the last assault by french troops led with fixed bayonets.
Read below, or click here to open in .pdf Under Fire.

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Under fire

« May, 27th 1995, 08:45 am.

I am lieutenant Héluin, leading the first squad of the 3rd RIMa forbans (1) and i’m walking across the streets bordering the jew cemetary towards the bridge of Verbanja.
About an hour ago, i have been assigned a very simple mission : retake the french outpost along the bridge, that the Tchetniks (2) overtook during the night.

My plan is to attack simultaneously the three small bunkers with a group of three pairs of soldiers (3) for each of these targets. Each pair has a precise arriving point.
I left my adjunct behind with the armoured VAB (4), the snipers with a Mac Millan shotgun and the antitank shooters. His task is to provide support fire from the heights. When i gave him that order, he looked at me, desperate : « Lieutenant, you can’t do that ! ».
Captain Lecointre is with us to manage the squads’ environment, especially the support fire of the RICM (5).

Guided by a bosnian soldier we arrive inVrbanja_bridge_span_view sight of the outpost.
I regroup the squad and realize we’ve left in the VAB the two doors we were supposed to use to pass over the barb-wires, poor kit by lack of an appropriate material.
Nevermind. I look at my marsouins(6). They’re calm and silent. Just like them, i feel strangely serene. It’s true that since i woke up, three hours ago, i’ve not had a minute to think about the danger.
I have an absolute trust in my chief and in my men.

On my call, we run downhill bayonet at gunpoint in the trench about fifty meters from the first target, supported by a bosnian cover fire. We’re wearing complete ballistic protections, those designed specificaly for idle guards. Some of my men are in full dress uniform. They didn’t knew, a few hours ago, that today’s high point wouldn’t be the expected military parade but an assault.
First, i throw in Le Couric and his group towards the farthest target, the western guard post. I see them running, then stopping in front of the barb-wires surrounding the post. They’re unable to pass over and the bullets begin to fly from the Prisunic building overhanging them. A 90mm shell strikes it followed by 7,62 and 20mm bursts coming from our RICM squads. We’re now into a bubble of explosions, fireshots, bangings, whistlings and impacts.
Powerless in front of the barb-wires, a marsouin is dazed looking at his perforated thigh. Another has two fingers cut off. A bullet is stopped by his neck protection. They’ll stay on site, without any morphine because it’s been forbidden in the emergency medical kits by fear of addiction.
Two other guys are literally emptied of their energy because of the violence surrounding them, they’re like ragdolls. The group is out of action.
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My plan has been put to the test and it has lasted two minutes thirty seconds. I have to react immediately. Instead of catching the three targets simultaneously, we’ll clean them up one after the other beginning with the eastern guard post. We’re all going to pass the barb-wires in front of us, 90 degrees from those that stopped the first group but beyond a no man’s land of fifty meters in the Serbs’ line of fire.
I rush towards the Miljaca river followed by the second group, while the other marsouins return fire against the ennemy snipers in the nearest building.
On my left side, Dannat, the paramedic, falls down with a perforated lung. He raises up and walks to the rear, crossing the looks of the others walking to the frontline, hypnotized by the blood flowing on his arm.
On my right, Djaouti falls down. I am now facing the barb-wires and despite the twelve kilos of my bulletproof vest, my weaponry and my useless PP39 radio, i manage to pass over the wires followed by my men. We find ourselves in the middle of antitank hedgehogs and turn left towards the target.
Bullet rounds begin to fall on us like in Gravelotte (7).
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My brain is like the focal of a huge camera. At the moment, i am in panoramic mode. I turn around and see my minimi shooters firing on all doors and windows of the Prisunic building. One of them, Coat, runs to a wounded guy and takes his ammo. The guy carries a FAMAS gun (8), which ammo doesn’t fit into the minimi : he has to unload each round and reload each again in his own magazine. Suddenly his head has a strange movement and he falls on his side.

I continue my way toward the earth barricade that protects the target’s entryway. I feel the need to open fire but my gun refuses to work. I think i should stop to check it, but i have no time.
At no moment do i think i may have forgotten to arm the weapon.
To my side, Dupuch stops : « i’m wounded ». He checks himself for a second « No, it’s all good ! » and resumes his run. Indeed, he’s really been shot at, but the bullet has pierced his gourd and got stuck in his flashlight. We stockpile ourselves on the barricade in front of the entryway.

A few seconds ago i was working in panoramic mode, now nothing exists except the barb-wires through which i throw the grenade that Dupuch gave me.
Explosion.
I run bayonet forward, firmly decided to skewer the first Serb that will cross the corridor. The men are glued at my side, two by two. We’re hardly ten fighters, one-third of the initial number. The squads quickly refitted in one assault element, lead by me with buddies progressively added during the action and a second element designed to protect our backs and « clean up ».
One move and Dupuch runs into the eastern guard post, while Llorente throws a grenade in the toilets’ corridor. Humblot and Jego follow up, i send them on the roof to support us from above.
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We resume toward the second target : a container we used to live in before the Serbs took possession of the area. Delcourt comes forward in the corridor when a burst forces him to back off. I get a grenade from captain Lecointre and throws it beyond the curtain that separates the container in two.
When i surge into what had been our dining room, i see a wall of fire raising and sliding above me on the ceiling. I shout : « the gas cylinder ! »
Dupuch and Delcourt back off hastily. Half a second later i hear a terrible blast and i see very clearly a small object rushing at me in a background of flames.
I feel like i’m in a slow motion movie. My left eye is violently hurt and i’m pulled backwards while a spit of blood is thrown the other way. The men look at me and hesitate.
I mumble what i think are clear orders to have them moving forward. I have some more time left to tell the captain i don’t feel very good, then i collapse on the floor.
I get conscious again a moment later, awakened by the impacts of bullets in the earth bags i’m sitting on. I’m covered by blood. I raise up, leave the building towards the Miljaca river. An explosion sends me back inside. I am like a little mouse in a labyrinth, banging on the walls.
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My brain is working intermittently. I see a marsouin aiming at the last building kept by the Serbs.
« What you doing there ? »
« This is where i was supposed to be, at the end. »
In the complete chaos of battle, this man held to the orders i gave him before the assault.

Then i understand the captain is leading the fight since i collapsed. He is determined to eliminate the Serbs in the remaining room and save the French hostages. With the bunch of guys remaining, he shoots down two Tchetniks.
One of them smiles and says « French, good fighters ! » but the others manage to escape with the last prisoner. On the radio, i call Cheick and orders to send a sniper and an antitank shooter. I want to put them in front of the building.
I walk in the devastated outpost. In the living area, there are three Serb prisoners and a corpse, also Serb, lying in the middle.
Lance-corporal Jego comes at me. I notice his gourd and one of his magazine are perforated. He took a burst in the belly and the bullets were stopped by his kit. His voice is broken : « Humblot is still on the roof. He’s wounded and don’t answer my calls. »
I put myself in support fire, facing the building that overlooks us, while Mandart and captain Labuze go and get Humblot to safety. They’re lying him near the ladder right when the doctor arrives. He checks the pulse and looks at me. « Sorry. Finished for him. »
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The fight is over. I hear that Amaru has been shot by a sniper while he was firing at the buildings from the unprotected turret of his VAB. Seventeen other marsouins are wounded, three of them critically. We killed four Serbs in the outpost and four more are our prisoners. I don’t know the ennemy casualties in the surrounding buildings.
Erring in the corridors, waiting to be relieved, i come across a lance-corporal who tells me to go see a doctor. I walk towards the medical VAB, riddled with impacts, that stopped right before the entryway and i become outraged : « It’s not a lance-copropral who’s gonna give me orders ! » and walk back where i came from. The guy sees me and insists « Lieutenant, you must see a doc ! »
I answer « Oh, okay » and leave again.

Outside, the ground is covered by pieces of kit ripped from the wounded to give them emergency care.
There are many magazines, most of them half-full.
Many guys used the moments of calm to throw away their magazines and replenish with new, full ones. We have used 4.000 rounds in less than ten minutes on the surface of one hectare (about 2,47 acres).

By 10:30am, the platoon of lieutenant Provendier comes to take over the guard from us.
A few minutes earlier, they didn’t even knew an assault had been led. Guys are mute and open great eyes when they see me. I think : « none of them salutes. What’s that mess ! »
I bring Provendier inside to brief him. I get a table, a pen and begin to draw. I don’t even notice the Serb corpse at my feet. My blood is dripping on the paper and it’s when i wipe it with my sleeve that i understand the situation might not be so normal.

My orders given i get with the survivors in a VAB heading to our base, in the Skanderja ice-rink (9). We’re haggards.
Once in Skanderja, we get medical attention then at around 01:00pm i leave with the wounded guys to the military hospital. As soon i lay in my bed, i collapse, exhausted. »
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— NOTES :
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(1) : 3rd Marine Infantry Regiment (french army). Forbans is the nickname of its soldiers, meaning Pirates. About 30 of them were involved in the direct assault.
(2) : irregular soldier, either Serb, Bosnian or else.
(3) : a pair of soldiers going together is called binôme : the association of two fighters complementary to one another. During this assault, one knew the inside settings of the target, not the other one.
(4) : the VAB is an amphibious four-wheeled armoured personnel carrier seating 10 + 2, mounted with an open turret and 7,62 machine gun in its combat version. Also exists as a medical vanguard vehicle, without mounted armament.
(5) : Marine Armoured Cavalry Regiment. About 70 of them were involved in the support fire.
(6) : Marsouin is the usual nickname for soldiers serving in the french marine infantry. Meaning Porpoise.
(7) : The small village of Gravelotte, well known for a famously violent battle between France and Germany on 18 august 1870.
(8) : the service assault rifle of all french soldiers.
(9) : at the time of the Yougoslavian war, the french army headquarters were located in the compound of Sarajevo ice rink.
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[EN :] Check the video below for an account of the events by those who lead the action.
[FR :] Vous trouverez d’autres détails de l’histoire sur ce lien Youtube :

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Sujets de dév 16 février 2022


A la suite des sujets de thèse, je propose ici deux sujets de développement informatique qui pourraient trouver vite preneur. Parce que, pour reprendre un célèbre slogan, il devrait déjà y avoir une appli pour ça…

Si toutefois vous attaquez un jour un projet digital sur la base de ces propositions, je serais très ravi d’être cité comme source.
Appelons cela une rétribution symbolique.

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Propositions de méta-fonctions d’utilisabilité :

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  • Pouvoir basculer tout l’affichage d’un système au profit d’un utilisateur gaucher. Cette particularité physique concerne 8 à 15% d’une population, mettons une moyenne de 10%, ce qui nous donne potentiellement 4,3 millions d’utilisateurs adultes, rien qu’en France.
    Les boutons d’action, les scroll bars, les menus, etc. tout devrait pouvoir basculer du bon côté, du point de vue d’un gaucher.

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  • Pouvoir basculer l’affichage des couleurs d’un système au profit d’un utilisateur daltonien. Cette particularité physique (qui n’est pas que la non-reconnaissance du vert et du rouge) concerne 8 à 10% d’une population.
    L’affichage de n’importe quoi devrait être aussi lisible et non ambigu du point de vue d’un daltonien que d’une personne non concernée par cette affection.

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Un guide d’entretien ethnographique 29 octobre 2021

Filed under: organisation — Yannick @ 20:00
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La recherche qualitative cherche à décrire un contexte social et des motifs d’action ou de prise de décision.
Les données sont collectées par l’immersion passive ou l’observation participante. Comme habituellement dans le domaine de l’ethnologie, la prise de contact directe et in situ est toujours privilégiée par rapport aux méthodes indirectes.

Mais, au-delà de l’immersion dans un groupe pour le comprendre de l’intérieur, les chercheurs peuvent recourir à la technique d’entretien semi-directif, qui se mène en tête à tête, après une mise en confiance des deux interlocuteurs.

Dans le jargon des ethnologues, la personne avec qui elles / ils parlent est appelée un informateur / informatrice. Dans le monde du design et de l’UX, il s’agit d’une utilisatrice(eur).
Ce type d’interview est qualitatif et vise à identifier des axes structurels de comportements.
Il ne s’agit donc pas de dérouler un questionnaire quantitatif et de cocher une liste de questions pour lesquelles on aura recueilli des réponses (vous n’allez pas faire un « sondage »). Au contraire : l’entretien semi-directif permet d’obtenir une grande subtilité de compréhension, grâce à une discussion ouverte et approfondie avec la personne en face de vous.
Répétez après moi : je ne vais pas faire un sondage, je vais avoir une conversation.

A ce titre, pour favoriser la liberté de parole, l’anonymat des personnes doit être garanti (non nominatif, pas d’identification dans la prise de notes). Il est de votre responsabilité de ne pas dire, ensuite, qui-vous-a-dit-quoi. Si quelqu’un vous le demande, d’ailleurs, ce sera extrêmement suspect et on approche de la violation du secret professionnel.
Dans mon petit carnet de notes (in Moleskine i trust), j’ai des verbatims, des descriptions, des gribouillis de schémas, des impressions en temps réel, et je n’ai aucun nom de famille, seulement des prénoms et souvent parfois même pas les vrais prénoms. Les seules critères d’identification sont les miens, pour que l’âme charitable qui retrouve mon carnet perdu puisse me joindre et me le rendre. Une loi de type RGPD ne s’applique pas à mon carnet car je n’y stocke aucune information qui permettrait de retrouver ou d’identifier mes interlocuteurs, directement ou indirectement.

L’anonymat des interviewés est moins absolu dans certains contextes, notamment pour la recherche UX et le monde du travail en général. A ce titre, vous devez recueillir le consentement écrit par un formulaire-type… en comptant sur le fait que n’importe qui a toujours parfaitement le droit de refuser.
Ce droit au refus s’applique non seulement à la prise d’image mais à l’interview lui-même. N’importe qui a le droit de refuser une interview, un enregistrement, une question spécifique, une prise image, sans raison particulière. Ca fait partie du respect que vous leur devez d’accepter sans insister.

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Repeat after me : I am not going to do a ‘poll’, i am going to have a qualitative conversation.
Welcome to ethnographic interviews.

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I. Questions de Grand Tour
L’objectif des questions « Grand Tour » est de découvrir de la bouche même de la personne interviewée les noms des lieux et des objets tel qu’elle les nomme.
C’est aussi l’opportunité d’entendre cette personne parler ou décrire des événements ou des activités tel qu’elle les comprend.
Il s’agit pour le chercheur de comprendre les interrelations de tous ces éléments du point de vue de la personne interviewée.

Il y a quatre grands types de questions Grand Tour :
Vue d’ensemble,
Vue spécifique
Exploration guidée
Grand tour d’une activité.

Exemples
A. Vue d’ensemble (zoom out)
Demander à l’informateur de généraliser, de parler des grandes catégories d’événements :
• Pouvez-vous me décrire une journée normale dans votre travail ?
• Pouvez-vous dessiner le circuit de création d’un passeport, de la demande initiale jusqu’au document mis à disposition du demandeur ?
B. Vue spécifique (zoom in)
Demander à l’informateur de préciser les détails d’un événement spécifique ou ce qu’il a fait un jour précis.
• Pouvez-vous décrire avec vos mots ce qui s’est passé quand vous avez appelé le service d’assistance technique, du début à la fin ?
• Parlez-moi de la dernière fois où vous avez utilisé la foreuse à trépan.
C. Exploration guidée
Demander à l’informateur de vous guider sur son lieu de travail [ou autre] ou de l’accompagner lorsqu’il/elle accomplit une certaine activité. L’acte guidé est alors le support de la description par l’informateur.
• Pourriez-vous me faire visiter l’atelier de carrossage ?
• Puis-je assister à votre après-midi d’appels téléphoniques aux clients ?
D. Grand Tour d’une activité
Demander à l’informateur de réaliser une action et de la décrire à voix haute pour vous aider à en comprendre le contexte.
• Pouvez-vous me montrer comment vous faites pour faire [ceci] ou pour utiliser [cela] ? (Je vais filmer vos mains sur le clavier et ce qu’affiche l’écran)
• Est-ce que je peux vous filmer utiliser la découpeuse et vous poser des questions après ça ?

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II. Questions de Mini-Tour
L’objectif d’un Mini Tour est similaire au Grand Tour, avec une emphase beaucoup plus prononcée sur les détails, les nuances entre les différents éléments ou les sous-catégories tel que l’informateur les exprime.
Par exemple vous avez demandé à un informateur de vous parler de sa journée de travail en agence bancaire et il répète plusieurs fois « …et après je passe le dossier dans le logiciel AAA. » La répétition d’un fait dans la discussion doit attirer votre attention : à ce stade, vous pouvez vouloir lui poser une question de Mini Tour telle que : « Pouvez-vous me décrire ce qu’il fait, ce logiciel AAA ? »

La question de Mini Tour est comme poser une loupe sur un lieu ou une activité dont vous pensez qu’elle peut être importante.

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III. Questions par l’exemple
Les questions par l’exemple sont prégnantes dans tout entretien ethnographique.
Un informateur peut dire « Ces sujets de réglementation RGPD me causent du souci. Mon manager insiste beaucoup là-dessus » et vous pourriez répondre : « Pouvez-vous me donner un exemple du genre de souci dont vous parlez ? »
A première vue l’idée de ‘souci’ peut sembler simple et intuitive, mais les différences entre ce que vous en comprenez et ce que votre interlocuteur désigne peuvent être significativement importantes. C’est votre travail, en entretien, de clarifier ce à-quoi pense réellement la personne. Elle peut reformuler, faire un schéma, comparer… n’importe quoi qui permette de lever les ambiguïtés.

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IV. Questions d’expérience
Les questions ouvertes liées à l’expérience vécue sont très souvent utilisées lors d’une discussion Grand Tour ou Mini Tour.
« Pourriez-vous me parler de certaines expériences que vous avez vécues en conduisant ce modèle de camion ? »

! Pour votre interlocuteur, il peut être difficile de verbaliser les routines et « les choses normales », ce qui amène souvent à la description d’anecdotes liées à des problèmes, alors que les problèmes ne sont pas forcément une composante typique de l’expérience en général. Vous aurez connaissance de ce « en général » par le recours aux questions de Grand Tour qui concernent la vue d’ensemble.

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V. Questions liées aux jargons et langues minoritaires
Si vos informateurs parlent une langue minoritaire, un jargon professionnel très prononcé ou une langue différente de leur environnement immédiat il est pertinent de mener l’entretien dans cette langue. Le premier intérêt de poser les questions dans la langue appropriée est de s’assurer que l’on sera compris sans reformulation, sans distorsion.
Par exemple si le processus de fabrication inclue une étape que l’informateur nomme « la chambre de redresseuse » on pourra demander « combien de temps ça prend le passage dans la chambre de redresseuse ? ». Ne tentez pas de forcer vos mots sur leur activité, c’est l’inverse qui doit se produire.

Plus les informateurs pourront parler de leur activité comme ils pensent qu’ils mènent cette activité, plus vous aurez accès à leur manière de raisonner, ce qui renforcera la relation que vous avez l’un avec l’autre.
Il y a trois grands types de questions liées aux jargons ou langues minoritaires :
Questions directes,
Questions d’interaction fictive
Questions de phrase typique

Exemples
A. Questions directes
Demander comment il ou elle dirait quelque chose.
• Comment vous appelez-ça lorsqu’il y a une anomalie dans la qualité du métal qui sort de la fonderie ?
• Comment vous appelez cette façon de faire ? Ça porte un nom ?
B. Questions d’interaction fictive
Décrivez une scène imaginaire et demandez à l’informateur de parler comme ils/elles le feraient dans cette situation (parler à votre manager pour annoncer un problème qui vous bloque)
• Si vous parliez à un collègue de votre équipe, vous le diriez de la même manière ?
• Si j’étais dans l’atelier de peinture qu’est-ce que j’entendrais les gens se dire ?
• Comment vous diriez ça au directeur ?
C. Questions de phrases typiques
Demander directement que votre informateur vous dise des phrases typiques ou des noms d’activités.
• Vous m’avez parlé tout à l’heure d’ « anomalie majeure » et d’ « anomalie mineure », comment faites-vous la différence ?
• Comment vous dites quand vous dressez un procès-verbal pour une voiture mal stationnée ?
• Dans l’autre équipe ils parlent de « chambre de redresseuse », comment vous l’appelez, vous ?

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That’s all, folks ! :) Pour le reste, la pratique de ce genre d’entretien semi-directif se révélera centrale pour vous construire une expérience, des bases de comparaison, des réflexes et un style personnel -qui a aussi son importance.
Donc : faites-en, plein !

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The semi-direct ethnographic interview mostly requires : you, an informant, a pen and a notebook (in Moleskine i trust).
No complex technology is involved, and the more you’ll do it, the more you’ll gain mastery.

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Une longue histoire du courage 22 juillet 2021


Q : Vous qui travaillez dans les sciences humaines, comment pouvez-vous encore voir le côté positif de… des gens, des sociétés ? Quand je lis les horreurs de l’Histoire et que je comprends qu’il s’agissait de personnes comme nous, bourreaux et victimes, je prends peur que l’esclavage ou les exterminations puissent un jour devenir à nouveau une normalité.

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R : Je peux parfaitement comprendre ce sentiment qui prend aux tripes, oui, très clairement. Il y a eu des évènements atroces au fil de l’histoire humaine. La guerre, la torture, la cruauté. Hommes femmes, enfants… tout, il y a tout eu.
La pire chose que vous puissiez imaginer a sûrement déjà eu lieu même si personne n’est plus là pour le raconter -et se produira encore. Quelque part, à une époque quelconque.

Lorsqu’un trait culturel émerge qui favorise et valorise la violence il s’est toujours trouvé et il se trouvera toujours des personnes pour y souscrire et y adhérer, parce que c’est ce que fait l’être humain : il adopte les valeurs qui sont disponibles, il légitimise n’importe quoi qui permet de faire partie d’une société au sens large. Même le pire, même les valeurs qui justifient le rétablissement de l’esclavage ou d’exterminer les crétins de « l’autre camp ».

Et tous ces évènements horribles le sont encore davantage quand on arrête d’y penser comme des faits historiques anonymes mais qu’on les raconte comme des histoires vécues, à l’échelle individuelle, où la souffrance d’une personne résume toutes les souffrances, multipliée par le nombre de toutes les autres victimes.

Mais il s’est toujours trouvé et il se trouvera toujours des personnes qui rejetteront leur sécurité personnelle pour porter assistance, éventuellement en déplaisant à des gens puissants, ou méchants, ou les deux. Pour chaque tragédie humaine (humaine, trop humaine !), il y a des histoires qui racontent le courage et la bravoure, la tendresse et la ténacité face à une issue qu’on sait éventuellement jouée d’avance. A l’échelle de l’humanité, pour chaque acte de cruauté il y a un acte de gentillesse, pour chaque trahison il y a une alliance. Et la complexité de l’esprit humain étant ce qu’elle est, les opposés peuvent provenir de la même personne.
L’idée de sécurité recouvre diverses formes : physique, financière, familiale, professionnelle, statutaire, etc. mais pour chacune de ces facettes il s’agit potentiellement de la mettre en péril pour le bénéfice de quelqu’un d’autre.
Peut-être descendra-t’elle dans la rue parce qu’elle a entendu crier au secours, peut-être qu’il transmettra une clé USB qui permet d’identifier un crime, peut-être qu’ils hausseront la voix en réunion pour dire non lorsque tout le monde dit oui.
C’est du conditionnel parce que ce n’est jamais une certitude. C’est aussi sur cela que comptent les gens méchants, ou puissants, ou les deux : que personne ne fasse rien. Et l’Histoire montre que c’est parfois efficace… mais jamais très longtemps.

Il y a une infinité d’histoires inconnues où des personnes font le choix d’aider autrui parce qu’ils se soucient davantage des gens autour d’eux que de leur propre situation. Ce ne sont pas celles dont on entend le plus souvent parler, cela ne signifie pas qu’elles n’existent pas.

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Et il n’y a rien de plus puissant que l’idée qu’il existe des gens capables de sacrifice pour en aider ou en sauver d’autres sans rien demander en retour. C’est aussi comme ça que nous vivons. C’est même surtout comme ça.
Car à bien y réfléchir, si homo sapiens a survécu aussi longtemps c’est sans aucun doute parce que les histoires de courage sont vraiment beaucoup, beaucoup plus nombreuses que celles qui racontent le désespoir.

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Within the course of Human history, past, present and future, stories of courage and solidarity are much, much more numerous than those of despair.

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IA et deep learning (1): la constitution des datasets 12 avril 2021


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Tout a commencé en 2012 lors d’une compétition informatique, lorsque la méthode de l’apprentissage profond (deep learning) a prouvé qu’elle était meilleure pour identifier visuellement des objets que toutes les méthodes concurrentes. C’est ce qui a permis d’ouvrir de vastes possibilités dans le domaine de l’intelligence artificielle (IA).
Il était désormais possible de trouver non seulement des solutions au problème technique de la reconnaissance d’image (machine vision) mais surtout il était possible de dupliquer la méthode au-delà des seules images. Le deep learning s’est imposé comme une méthodologie standard qui permet aussi d’identifier les sons, le langage manuscrit, etc.

Pour faire court, le deep learning consiste d’abord à coller des étiquettes de texte sur des images, afin de construire de gigantesques jeux de données (datasets) de référence. On est dans un ordre de grandeur au moins mille fois plus grand que votre gigantesque fichier Excel de 1 giga octet, bienvenue dans le Big Data. Dans un second temps, ces jeux de données sont utilisés comme échantillon pour permettre à des algorithmes d’apprendre seuls à répéter la même tâche jusqu’à être capables de répéter cette tâche en dehors du jeu de données de référence qui a servi à les « éduquer ». 

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La première étape est donc de disposer d’un référentiel de mots bien organisé et ce n’est déjà pas une mince affaire.

La référence du secteur s’appelle WordNet , une base lexicale qui fait autorité depuis les années 1980 (on en avait besoin avant l’ère de l’ordinateur !) et qui compte à ce jour plus de 155000 mots organisés dans une arborescence logique de 175000 sous-ensembles et 200000 paires, du type : carnivore > canidé > chien >  toutou

Ne vous laissez pas avoir par la simplicité de cet exemple… WordNet est géré par l’université de Princeton et si vous voulez ne serait-ce que commencer à comprendre le sujet il est necessaire de s’attaquer à : Fellbaum, Christiane : WordNet and wordnets. In : Brown, Keith et al. : Encyclopedia of Language and Linguistics. 2005

 

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La deuxième étape consiste à disposer d’une banque d’images. L’une des plus vastes est ImageNet   : 14 millions d’images reroupées en 21000 sous-ensembles logiques. On notera que l’arborescence d’ImageNet réplique celle de WordNet afin de permettre une forte coherence entre les deux, jusqu’à pouvoir les faire fonctionner comme un unique ensemble. Car les images seules ne servent à rien. Ce qui fait la valeur d’ImageNet c’est l’association d’images à des mots du lexique WordNet.

Les plus curieux pourront lire avec intérêt : L. Fei-Fei and J. Deng. ImageNet: Where have we been? Where are we going?, CVPR Beyond ImageNet Large Scale Visual Recognition Challenge workshop, 2017

Il est ainsi possible d’avoir des milliers d’images de petite cuillère, annotées “petite cuillère” afin qu’un algorithme soit capable de reconnaître qu’il y a ou qu’il n’y a pas une petite cuillère le plus souvent possible : seule, au milieu d’autres couverts de table, en pleine lumière, dans la pénombre, tordue, partielle, en train d’être utilisée (en mouvement), photographiée, dessinée, schématisée, en ombre, peinte, peinte en noir, peinte en blanc, brillante, sale, absente, etc.

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The process of buiding the datasets requires a huge human workforce in order to link images and names, so that cats are identified properly as cats in multiple conditions. Once this phase is done, manually, over Peta-bytes of data, the dataset will be put in use to train algorithms so that Artificial Intelligence softwares perform as expected beyond the range of their initial « educational » dataset.

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Le processus d’étiquetage est découpé en différentes étapes réparties à l’échelle mondiale, de la plus technique à la moins technique. Au niveau zéro, l’industrie logicielle s’est fait une spécialité d’exploiter des millions de travailleurs pauvres et pas chers, dont vous n’entendrez jamais parler, parce que, justement, ils sont exploités. Tous ces gens ont beau travailler sur ordinateur, cela n’enlève rien au fait que leur activité est proche du travail à la pièce que connaissait déjà Emile Zola au XIXe siècle.

Enfin l’étiquetage final se fait en recourant au crowdsourcing : une force de travail humaine de centaines de milliers (millions ?) de volontaires anonymes qui, la plupart du temps, sont inscrits auprès du plus gros acteur dans ce domaine, le Mechanical Turk de l’entreprise Amazon. C’est ouvert à tous, très bien organisé, vous pouvez y participer et vous serez rémunéré pour le faire. Pas beaucoup non plus.

Une troisième manière de mettre au boulot l’humanité est de recourir à l’outil Captcha, qui vous demande d’identifier par exemple des feux de signalisation sur des images, pour s’assurer “que vous n’êtes pas un robot”. Vous l’avez sûrement déjà fait, sans que personne vous dise que vous étiez mis à contribution avec des millions d’autres personnes pour alimenter un jeu de données d’IA visuelle. Merci pour eux, vous avez travaillé gratuitement.

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Bien entendu, l’explication qui précède s’applique aux images mais aussi à tout le reste. Les sons, les compositions chimiques, le développement des cellules cancéreuses, les formules de calcul, les gestes de la main, le langage naturel parlé ou écrit, le mouvement des corps célestes ou tout autre domaine qui vous motive dans la vie (le jeu de données MNIST par exemple recense 70.000 chiffres manuscrits de 0 à 9).

A partir du moment où vous avez sous la main un (très) grand échantillon sur n’importe quoi, le deep learning peut servir à en automatiser la reconnaissance, d’abord en faisant appel à une armée de contributeurs humains pour associer manuellement à cet échantillon de “choses” des mots permettant de les identifier, puis en faisant travailler un algorithme sur ce jeu de données.

Si votre entreprise ou votre administration fabrique de l’IA il est plus que probable que vous éduquez vos algorithmes en les faisant travailler sur des datasets fabriqués par d’autres, que vous avez achetés ou réutilisés en libre accès, libre de droits comme ImageNet par exemple. Tous sujets confondus, il existe quelques centaines de jeux de données d’importance variable qui servent à l’éducation de 90% des algorithmes d’intelligence artificielle dans le monde.

Et dans tous les cas, retenez bien l’ordre dans lequel ça se passe : d’abord l’étiquetage par des humains pour créer le jeu de données, ensuite l’apprentissage algorithmique en utilisant ledit jeu de données.

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La méthode du deep learning implique donc ce prérequis tacite : il est absolument nécessaire que l’échantillon de départ soit correctement étiqueté, parce que bien sûr en tant qu’utilisateur de logiciel d’intelligence artificielle, vous ne voulez certes pas que votre produit reconnaisse une pie là où il y a une antilope (photo).

Datasets are the backbone of the whole AI industry
Their integrity is critical for the consequences of AI-led decisions.

 

Toute la complexité consiste ensuite à bien coder l’algorithme, afin qu’il puisse d’une part faire le moins d’erreur possible sur le jeu de données de référence mais aussi qu’il parvienne à extrapoler. Il doit être capable de reconnaître une petite cuillère en bois en suspension dans une station spatiale même s’il n’a jamais vu cette image auparavant.

C’est bien l’objectif d’une IA : qu’elle soit capable de se débrouiller seule dans la vraie vie.

…mais avant de passer à cette étape de mise en œuvre, je m’en vais rester un moment sur la notion de dataset pour souligner, en appuyant très fort, à quel point l’intégrité de ces jeux de données est absolument critique pour préparer tout le reste. La colonne vertébrale de l’IA ce n’est pas l’algorithme, c’est le jeu de données qui a servi à l’éduquer.

Le sujet avait déjà été abordé en 2016 par Alexander Wissner-Gross dans son article Les datasets davantage que les algorithmes. Mais il semble qu’il n’y avait pas beaucoup d’oreilles pour l’entendre.

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La plupart du temps en effet les mises en œuvre pratiques d’une IA présentent l’étape finale et abordent la viabilité de l’algorithme.

Si l’IA fait une erreur à ce stade, les ingénieurs et les vendeurs de ces logiciels (et les politiciens) vous diront qu’il s’agit d’un problème d’algorithme qui nécessite encore un réglage, ou qu’il faut mieux analyser les données captées par l’IA afin de comprendre où elle s’est trompée afin de pouvoir rapidement corriger un problème. Mais vous aurez beau mettre au travail vos meilleurs mathématiciens et data scientists, il est bien possible qu’il n’arrivent jamais à trouver des solutions au problème parce qu’il ne descendront pas la chaîne de causalité jusqu’à son étape fondamentale, celle où le jeu de données est créé : la phase d’étiquetage, qui a servi de base à la configuration de l’algorithme.

Et bien sûr les fabricants d’IA sont à la recherche de leur pierre de Rosette, ils aimeraient que cela aille plus vite et donc tentent d’accélérer le rythme en retenant un unique dataset (le plus gros fait l’affaire) pour être plus rapidement sur le marché, le plus gros marché possible. Mais à force d’entraîner les algorithmes sur des datasets toujours plus vastes, les intelligences artificielles ne sont-elles pas condamnées à faire de plus en plus d’erreurs ?
C’est une question qui chatouille toute l’industrie du secteur, surtout si on y ajoute l’impact environnemental lié à la consommation d’énergie. …à tel point que Google a licencié les chercheuses de stature internationale qui peuplaient son équipe « IA et éthique » pour avoir publiquement soulevé le problème dans un article au sujet des IA en langage naturel (les dangers des perroquets stochastiques 🦜).

Spéciale dédicace à Margaret Mitchell et Timnit Gebru.

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Quel espoir de “bon apprentissage” pouvez-vous avoir, si votre référentiel indique qu’une antilope est une pie ? Votre algorithme ne fonctionnera jamais correctement ou plutôt il affirmera toujours qu’une antilope est une pie, dès qu’il verra une nouvelle antilope.

Les datasets sont perçus comme un truc simple, qui va de soi, sous-estimés dans les catastrophes qu’ils peuvent déclencher dans la vraie vie lorsque les IA prendront des décisions basée sur ce qu’elles y ont appris. Quel résultat obtiendrez-vous si, par défaut, les visages féminins ne reçoivent que des propositions d’emploi d’“infirmière” alors que les visages masculins peuvent postuler pour devenir “médecins” ? Et quel espoir de correction du jeu de données pouvez-vous avoir s’il comporte 200000 éléments et a déjà été traité en phase d’étiquetage par 10000 personnes ? Vous prétendriez pouvoir reprendre un par un chaque élément pour le re-valider ? Surtout qu’en tant que fabricant d’IA vous allez dire que ce n’est pas votre boulot, ce n’est pas votre jeu de données, ce n’est pas votre responsabilité juridique. Il a été conçu par quelqu’un d’autre…

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Avant que l’IA puisse être généralisée comme technologie courante dans le monde qui nous entoure, il faudra qu’on parvienne à un consensus sur le fait que leurs jeux de données en sont le facteur limitant et que cette limite est liée à la culture, aux contextes sociaux.
Vous n’avez pas besoin de davantage de spécialistes techniques, vous avez besoin de faire travailler ces ingénieurs avec des spécialistes en sciences sociales :
des gens qui ne sont pas impressionnés par la sophistication technologique et qui demandent, encore et encore, quels sont les impacts collectifs, sociaux, humains ?

Là réside le cœur d’un problème que ne savent résoudre ni les directeurs, ni les ingénieurs, ni les crowdsourceurs, ni les docteurs en génie logiciel : le social.
La constitution des jeux de données est un phénomène social, les « données » elles-mêmes sont une construction sociale. Pour le domaine de l’IA qui s’affirme essentiellement « technologique » et donc « objectif », c’est le loup qui entre dans la bergerie… et vous devez cesser de considérer les jeux de données comme des trucs sans valeur ajoutée et socialement neutres, sans quoi le loup va vous manger tout cru.

Je parle des dégâts dans la suite de cet article.

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The wolf of social beliefs among the innocence of AI datasets… because DATASETS ARE A SOCIAL CONSTRUCT.
Largely overlooked, the datasets, not algorithms, are a key actor of AI (in-)efficiency.
Take them seriously, please, otherwise the wolf will eat you alive.

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Le temps d’apprendre 16 octobre 2020

Filed under: Développement personnel,organisation,Société — Yannick @ 22:54
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J’y pense souvent mais j’ai rarement l’occasion de l’écrire, je mets donc cette idée noir sur blanc : les élèves et étudiant(e)s devraient se voir offrir la possibilité illimitée de repasser les examens auxquels ils n’ont pas eu une note suffisante.

Tu n’as pas eu la moyenne à l’examen de mathématiques ? Si tu es volontaire, refais-le aussi souvent que nécessaire jusqu’à tu aies bien compris la méthode de calcul. Ton examen de conduite automobile était insuffisant ? On se revoit bientôt. Ta dissertation sur la phénoménologie d’Heidegger n’avait pas un plan cohérent ? Pas de souci, tu m’en rends une autre en version améliorée.

Repasser un examen ou refaire un devoir trois ou cinq fois démontre une volonté de succès et d’amélioration largement honorable, et permettre d’apprendre devrait être l’objectif central des institutions qui se donnent pour mission d’éduquer.

Au lieu de cela, les écoles, les Ecoles et les universités ont recours à un nombre limité d’épreuves éliminatoires qui sont bien en peine de révéler l’intelligence des candidats et qui découragent la compréhension profonde des sujets enseignés. Elles préfèrent une évaluation systématique et hyper simplificatrice d’individus dont on sait qu’ils ont chacun une grande variété de courbes d’apprentissage.

De ce point de vue, l’éducation telle qu’elle se pratique couramment ne consiste pas à apprendre.
C’est très problématique parce que, donc, en quoi consiste-t’elle exactement ?

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Travailler sur les insights ethnologiques en temps de pandémie 18 mars 2020


[English version – version anglaise : https://www.linkedin.com/pulse/working-ethnographic-insights-times-pandemic-yannick-primel ]  

De nombreux spécialistes en sciences humaines peuvent contribuer utilement, face à la pandémie de covid-19.

Si vous n’avez pas déjà des compétences immédiatement utilisables pour être embarqué(e) dans la gestion officielle de la crise, vous pouvez fournir la sensibilité culturelle pour aider à mieux adapter les politiques publiques aux contextes sociaux.

Il est aussi possible d’informer les décideurs à tous les niveaux en contribuant au débat sur la perception et l’état d’esprit local des populations; ou montrer les limites et les conséquences indésirables de mesures de santé publique qui seraient appliquées sans se préoccuper de leur acceptabilité sociale; voire parler haut et fort contre l’abus des stéréotypes culturels comme une soi-disant explication aux comportements, tout spécialement pour éviter l’ostracisation.

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Les sciences sociales en général et l’ethnologie en particulier peuvent apporter un ensemble d’expertises uniques afin d’informer les décideurs et renforcer le débat public :

– S’assurer que les interventions de santé publique sont localement pertinentes, du point de vue des populations locales : comment développer l’observance et la confiance envers les mesures officielles ? Cela implique de ne pas demeurer au niveau national mais à descendre vers la granularité du quartier dans une ville ou de l’aile d’un bâtiment dans un hôpital.

– Améliorer ou soulager la sur-réaction médiatique; la peur du geste médical; la peur d’une implication de la police ou de l’Armée; la peur des revers économiques; les conflits entre la représentation mentale médicale ou populaire de la maladie.

– Appliquer une analyse rigoureuse et un esprit critique sur les politiques publiques dans le but de les améliorer, comme retour d’expérience.

Focus sur l’après-crise :

– Conséquences collectives sur les représentations, en lien avec les solidarités ‘horizontales’, la notion de santé familiale, les pratiques d’hygiène quotidienne, les croyances.

– Combattre l’ostracisation et les effets contre-productifs des politiques de ‘reconstruction’ et redressement économique.

-Améliorer la guérison sociale et l’adaptation des politiques publiques vis-à-vis des survivants, des patients encore traités ou des populations autrement affectées (personnes n’ayant pas été malades, familles, voisinages, personnes sans emploi suite à la pandémie).

-Fournir des descriptions épaisses décrivant la manière dont les représentations ont été modifiées (ou pas) suite à la crise. Quel genre de modifications ? Pour quelles conséquences envisageables ?

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…et maintenant remontez vos manches. Et lavez-vous les mains.

#épidémie #pandémie #coronavirus #covid-19 #crise #santé #ethnologie #gestiondecrise #politiquepublique

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Un plan vert brillant 21 février 2019


Ce document est la traduction de la proposition de loi Green New Deal émise au Congrès américain par la députée Alexandria Ocasio-Cortez
L’original est disponible ici   (GreenNewDeal_FAQ.pdf)

Le Green New Deal (Nouveau Contrat Écologique) n’est pas une idée particulièrement neuve. Sa première mention remonte à 2007 sous la plume de l’économiste Thomas Friedman dans le New York Times.
Depuis, nombreux ont été ses soutiens, entres autres Ban Ki-Moon ou Paul Krugman qui ne sont pas des plaisantins idéologiques.
Plus d’information en anglais  ici
On notera avec intérêt (et affliction) qu’une page Wikipédia en français sur ce sujet n’existe même pas.

Certains aménagements ont été faits pour permettre de transposer le texte original au contexte français et européen. Du point de vue de notre vieux continent, ce programme aussi vaste qu’il soit, paraît moins radical et révolutionnaire que du point de vue américain. Notre histoire et notre système social ont déjà posé les bases qui permettent d’envisager une mise en œuvre crédible.

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Le PDF de ce texte est ici : Green New Deal_FR_2019

Le lecteur assidu à ce blog reconnaîtra un thème déjà abordé en 2011 dans cet article sur le Vert Brillant. La proximité des deux articles est frappante et montre une tendance de fond.

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Lancement le jeudi 7 février 2019 à 8h30.

Panorama

Nous commencerons le travail dès maintenant pour préparer le projet de loi du Green New Deal. Il s’agit d’abord de valider l’architecture de base du projet (afin que personne d’autre ne se l’approprie).
Il s’agit d’une transformation massive de notre société avec des objectifs et une chronologie clairs.

Le projet de loi du Nouveau Contrat Écologique est un plan sur 10 ans qui mobilise tous les aspects de la société française à un niveau jamais atteint depuis la seconde guerre mondiale. Il s’agit d’atteindre un niveau zéro d’émissions de gaz à effet de serre et de créer les conditions d’une prospérité économique pour tous. Le Nouveau Contrat permettra de :

• Faire fonctionner la France avec 100% d’énergie propre et renouvelable, incluant le développement de l’autonomie énergétique des bâtiments
• Créer des centaines de milliers d’emploi stables en France et des millions à l’échelle européenne, rémunérés par des salaires dignes
• Permettre une juste transition pour les travailleurs afin d’assurer la sécurité économique des populations qui ont jusqu’à présent dépendu largement des industries fossiles
• S’inspirer de la Seconde Déclaration des Droits de Franklin Delano Roosvelt en 1944, pour garantir :

– Un emploi stable et un salaire digne, une assurance maladie individuelle et familiale, des congés et des droits à une retraite digne.
– Une éducation de grande qualité, universelle et gratuite y compris dans son aspect de formation tout au long de la vie.
– Un air propre, une eau potable et l’accès à la nature
– Une nourriture saine et non contaminée
– Des soins de santé de premier plan
– Un logement sûr, accessible financièrement et résilient face aux futurs aléas météorologiques que l’on peut déjà anticiper
– Un environnement économique libre de monopoles
– Un environnement politique libre de l’influence des intérêts privés capitalistiques.
– Une sécurité économique pour toutes celles et ceux dans l’incapacité ou l’absence de volonté de travailler contre rémunération

Il n’y a pas de temps à perdre
Les plus récentes études du GIEC affirment que les émissions de gaz à effet de serre doivent être réduites de 40 à 60% d’ici 2030.
Nous devons atteindre le 0 en 2030 et nous montrerons ainsi au monde qu’un Nouveau Contrat Écologique est possible, d’une part, et bénéfique socialement d’autre part.

Impossible n’est pas français… et in varietate concordia
Lorsque le président américain John Ford Kennedy affirma en 1962 que l’être humain irait sur la Lune en 10 ans, nombreux furent ceux qui ont pensé que c’était impossible. Aujourd’hui nous avons des robots sur Mars.
Lorsque Franklin Delano Roosvelt demanda la construction de 185.000 avions pour combattre durant la deuxième guerre mondiale, chaque directeur d’entreprise et chaque général se mit à rire. A cette époque, les Etats-Unis produisaient 3.000 avions par an. A la fin de la guerre, ils en avaient produit 300.000.
C’est ce dont nous sommes capables lorsque nous sommes bien dirigés.
L’Europe a su se reconstruire après la deuxième guerre mondiale, pour devenir aujourd’hui une puissante force de stabilité dans le monde.
L’Allemagne de l’Ouest a su intégrer l’ancienne RDA en une année après la chute du Mur de Berlin.
Le produit intérieur brut français est neuf fois plus élevé qu’en 1890.
En termes de niveau d’éducation, de niveau de revenu et de longévité nous sommes parmi les premiers au monde.

Il s’agit d’un investissement massif dans notre économie et dans notre société. Ce n’est pas une dépense
Chaque euro d’investissement public permet une création de richesse estimée à 2,5 euros.
Avec le Nouveau Contrat Écologique, l’investissement public pourra se porter sur des domaines précis. Il ne s’agit pas d’une modernisation mais d’une remise à jour, pour préparer notre avenir à tous. Les secteurs des transports, du logement résidentiel et de la production industrielle seront les premiers concernés en France. L’investissement public permettra l’émergence d’une économie que « le marché » aujourd’hui est incapable ou refuse de mettre en mouvement.
Il s’agit aussi d’un investissement massif dans le capital humain, qui prendra en compte la vie quotidienne des citoyens comme point de départ pour en déduire quels projets mettre en œuvre, à commencer par la résolution de problèmes plutôt que l’ajout de nouvelles contraintes.
La France dispose d’instituts de recherche en sciences sociales de niveau mondial, ils seront sollicités.

Le Nouveau Contrat est déjà en mouvement
Face au changement climatique, nous savons que l’inaction coûtera plus cher et sera plus dévastatrice que l’action.
L’immense majorité des Français et des Européens a conscience du risque et de la nécessité d’agir. Face à l’inertie des acteurs privés et des gouvernements, en ce début d’année 2019 même les enfants font la grève de l’école pour demander de l’action concrète.
Les acteurs publics les plus engagés en faveur du climat sont les villes et les régions.
Il est temps que les États prennent leurs responsabilités à commencer par les Assemblées Nationales en étroite coordination les citoyens et avec le Parlement Européen.
Unis dans la diversité.

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Foire Aux Questions

Pourquoi un élan vers des énergies 100% propres et renouvelables, et pas seulement du 100% renouvelable ? Vous dites qu’on continuera d’utiliser les énergies fossiles ?

Nous appelons à une transition complète pour se libérer des énergies fossiles et ne plus émettre du tout de gaz à effet de serre.
Quiconque a lu le projet de loi a pu voir que cela passera par une mobilisation de chaque secteur de l’économie, chaque entreprise, chaque acteur public et chaque groupe syndical.
Mais bannir immédiatement et abruptement les combustibles fossiles serait une très mauvaise idée puisque nous n’avons rien pour les remplacer à ce jour.
Nous le ferons en créant à partir de presque rien une économie de l’énergie renouvelable aussi vite que possible. C’est la ligne directrice du Nouveau Contrat Écologique.
Ainsi nous fixons un objectif net d’émission à 0 dans 10 ans, car personne ne peut garantir que nous saurons atteindre les zéro émissions dans l’absolu. Ça supposerait de pouvoir éliminer les émissions de gaz à effet de serre provenant du transport aérien ou des pets de l’élevage animal.
Mais nous pensons pouvoir faire grandement monter en puissance l’industrie manufacturière et l’industrie de l’énergie, ainsi que rénover chaque bâtiment en France, construire une smart grid, mettre à jour les transports et l’agro-alimentaire, l’agriculture ainsi que planter des millions d’arbres pour atteindre l’objectif net de zéro émission de gaz à effet de serre.

Le nucléaire en fait partie ?
Le Nouveau Contrat Écologique est un investissement massif dans la production d’énergies propres et renouvelables et n’implique pas de construire de nouvelles centrales nucléaires.
Le nucléaire d’ailleurs n’est ni une énergie renouvelable, ni une énergie propre. Ses déchets sont des polluants radioactifs mortels qui ont une durée de vie qui se mesure en centaines d’années.
Cependant nous n’avons aucune certitude de pouvoir décommissionner toutes les centrales existantes en seulement dix ans.
Mais notre objectif est clair : nous voulons du 100% propre et renouvelable. Le pétrole, le charbon, le gaz et le nucléaire n’en font pas partie.

Est-ce que ça implique une taxe carbone ?
On ne peut pas simplement taxer le carburant ou le gaz et s’attendre à ce que les citoyens trouvent tous seuls un autre moyen d’aller au travail ; sauf quand nous leur proposerons une autre alternative plus saine et aussi pratique au quotidien.
Donc nous n’excluons pas la taxe carbone, mais elle fournirait seulement une petite partie des financements nécessaires. Le projet gigantesque qui consiste à remettre à jour l’économie suppose qu’on ait d’abord des alternatives à proposer, techniquement et socialement, pour s’assurer que ce soit indolore pour les citoyens, les familles et les communautés.

Est-ce que ça implique du cap and trade (bourse d’échange de « droits à polluer ») ?
Le Nouveau Contrat Écologique créera une nouvelle économie de l’énergie par des investissements massifs dans la société et la technologie. Les bourses d’échanges de droits à polluer supposent que le marché tel qu’il existe résoudra les problèmes de lui-même. Ce n’est pas vrai.
Le cap and trade pourrait être à la marge un moyen d’associer les acteurs au Nouveau Contrat, mais il faut reconnaître que la législation actuelle des bourses d’échanges est une forme de subvention qui permet l’existence de zones éparses de pollution intense qui exposent sévèrement les populations locales. On doit d’abord s’assurer que les populations locales, leur santé et leur bien-être, sont la première priorité de tout le monde.

Est-ce que ça implique l’interdiction de toute nouvelle construction liée aux énergies fossiles ou de centrale nucléaire ?
L’une des conséquences du Nouveau Contrat Écologique sera de rendre inutiles les nouvelles constructions liées aux énergies de l’ancien monde, fossile ou nucléaire. Nous voulons ne plus en avoir besoin.
Nos investissements seront donc orientés massivement dans les énergies du nouveau monde, pas dans les autres. Vouloir faire les deux serait une tromperie et une hypocrisie qui maintiendrait le statu quo.

Êtes-vous favorables au stockage du CO2 ?
(CCUS : Carbon Capture, Utilization, and Storage)
La bonne manière de capturer le CO2 est de planter des arbres et restaurer les écosystèmes naturels.
A ce jour les technologies de capture des gaz à effet de serre dans l’atmosphère n’ont pas prouvé leur efficacité.

Comment allons-nous payer pour tout ça ?
De la même manière que les États-Unis ont payé leur New Deal dans les années 1930 ou comme les banques centrales ont résolu la crise bancaire en 2008 avec le quantitative easing (rachat de dettes).
De la même manière que nous avons payé la deuxième guerre mondiale et toutes nos guerres actuelles.
La Banque Centrale Européenne peut étendre ses lignes de crédit pour propulser le Nouveau Contrat Écologique vers les sommets. Il y aussi de la place pour des participations publiques, en vue de futurs dividendes ou retours sur investissement.
Au bout du compte, cet investissement dans l’économie nouvelle fera croître la richesse de la nation. La question n’est pas de savoir comment nous payerons, mais que ferons-nous de notre nouvelle prospérité.

Pourquoi doit-il y avoir un si vaste programme public ? Pourquoi ne pas se contenter de l’incitation par les taxes et des réglementations qui orienteraient les investissements du secteur privé ?
– Le niveau d’investissement doit être massif. Même si les milliardaires et les entreprises se donnaient la main pour déverser leur richesse dans la transition écologique, on ne parviendrait qu’à une modeste fraction de ce qui est nécessaire.
– La vitesse d’investissement devra être massive elle aussi. Même si les milliardaires et les entreprises se donnaient la main pour déverser leur richesse dans la transition écologique ils n’auraient pas la capacité de coordination suffisante pour un agenda si serré.
– Les investisseurs privés sont également hésitants à investir dans des domaines où personne n’a encore gagné d’argent. Les gouvernements par contre peuvent agir dans un temps long et peuvent patiemment investir dans les nouvelles technologies et la recherche, sans avoir en tête une application commerciale précise au moment où se fait la dépense d’argent.
Un exemple majeur d’investissement public à succès s’appelle l’internet.
– Pour résumer, nous ne devons pas seulement cesser de faire comme nous avons toujours fait (comme brûler du carburant pour nos besoins en énergie), nous avons aussi besoin de faire du neuf (comme remanier des secteurs d’activité entiers ou rénover tous nos bâtiments). Commencer à faire de nouvelles choses nécessite des investissements immédiats. Un pays qui essaye de changer le fonctionnement de son économie a besoin de gros investissements immédiats, pour lancer et développer ses premiers projets.
– Fournir des incitations au secteur privé ne fonctionne pas. Les subventions en faveur du solaire ou de l’éolien ont certes produit des résultats positifs, mais bien insuffisants par rapport à un objectif de neutralité carbone comme le promeut le Nouveau Contrat Écologique.
– Il y a bien une place pour le secteur privé mais l’investisseur principal ne peut être que la puissance publique. Il est normal que lui revienne aussi le rôle de coordinateur et pilote de l’ensemble du projet.

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Résumé du projet de loi

Créé en consultation avec de multiples groupes de la société civile, syndicats et défenseurs de l’environnement.

5 objectifs à 10 ans
14 projets pour mobiliser l’économie
15 exigences de justice sociale et de sécurité

5 objectifs à 10 ans :
– Émissions nettes de gaz à effet de serre à zéro, grâce à une transition écologique juste pour toutes les communautés et les travailleurs.
– Création de centaines de milliers d’emplois stables ; assurer la prospérité et la sécurité économique pour tous.
– Investissement dans les méthodes, les infrastructures et l’industrie pour les mettre durablement au niveau des défis du XXIe siècle
– Air propre et eau potable. Résilience climatique au niveau local. Nourriture non contaminée. Accès universel à la nature et à un environnement non dégradé.
– Promotion de la justice et de l’équité en prenant soin des communautés les plus vulnérables.

14 projets majeurs pour mobiliser l’économie :
– Construction d’infrastructures permettant la résilience face aux catastrophes naturelles. Valoriser les bâtiments autonomes en énergie.
– Réparation et rénovation des infrastructures existantes
– Répondre à 100% des besoins énergétiques nationaux en recourant aux énergies propres et renouvelables. Pouvoir se passer du fossile et du nucléaire.
– Construction d’un réseau de distribution de l’énergie économe (smart grid) et garantir un accès universel minimum à l’énergie.
– Rénover tous les bâtiments pour les mettre à niveau d’une société économe en énergie
– Étendre le recours standard à l’industrie propre et non polluante (agro-alimentaire, fabrication, installation et maintenance de panneaux solaires, éoliennes, batteries et stockage énergétique, techniques de dépollution, processus industriels circulaires, « chimie verte », etc.)
– Travailler avec les agriculteurs pour créer des circuits alimentaires durables, permettant l’accès universel à une alimentation de première qualité tout en permettant aux travailleurs de vivre de leur production.
– Remanier le secteur du transport en augmentant massivement la production de véhicules électriques fiables et leur réseau de recharge. Rénover et densifier les transports publics urbains, interurbains et hors zone urbaine. Interconnecter les différents modes de transport à toutes les échelles du pays.
– Atténuer les impacts sanitaires du changement climatique et de la pollution terrestre, aérienne ou marine.
– Reforester massivement pour permettre l’absorption du carbone dans l’atmosphère
– Restaurer les écosystèmes dégradés, notamment en rapport avec la biodiversité du règne animal et végétal.
– Recherche et développement pour des produits de substitution ou des méthodes de remplacement permettant de supprimer les principaux polluants utilisés dans chaque secteur d’activité
– Partage de notre expertise, de nos technologies et méthodes avec nos voisins européens et avec les pays limitrophes de nos territoires d’Outre-Mer.

15 exigences de justice sociale et de sécurité :
– Des investissements massifs et l’assistance aux organisations, associations et entreprises qui s’engagent dans le Nouveau Contrat et s’assurant que la nation y trouve son retour sur investissement.
– Garantir que les coûts sociaux et environnementaux sont intégrés aux études d’impacts, aux estimations de retour sur investissement.
– Fournir une formation professionnelle continue universelle. Protéger les travailleurs plutôt que l’emploi
– Investir dans la Recherche et Développement (R&D) de nouvelles technologies énergétiques
– Mener des investissements directs pour les communautés en première ligne du réchauffement climatique ainsi que pour les communautés directement liées aux industries carbonées qui seraient sinon frappées de plein fouet par la transition en cours. Prioriser les retours sur investissement à leur profit.
– Utiliser comme méthode par défaut la concertation et le processus participatif avec les utilisateurs directs et les communautés locales.
– S’assurer que les emplois créés par le Nouveau Contrat Écologique sont des emplois dignes, stables et inclusifs.
– Protéger le droit des travailleurs à se syndiquer et à être représentés à tous les niveaux de décision.
– Renforcer et élargir la notion de santé et sécurité au travail aux domaines de l’inclusion, et de la non-discrimination, que l’activité soit salariée, indépendante ou bénévole.
– Renforcer les règles commerciales pour mettre un terme au dumping social, à l’export de pollution et accroitre l’industrie nationale.
– Garantir que le domaine public urbain ou naturel est protégé
– Préalablement au démarrage d’un projet sur leur territoire ou pouvant impacter leur territoire, obtenir le consentement éclairé des communautés locales, en métropole ou territoires d’Outre-Mer.
– Garantir un environnement libre de monopoles et de compétition abusive.
– Fournir des soins de santé curatifs de haute qualité, tout en déployant un système de santé orienté vers la prévention, en particulier pour les pathologies considérées comme évitables.
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[Note du traducteur]
SOURCES (février 2019) :

https://www.documentcloud.org/documents/5731869-Green-New-Deal-FAQ.html (GreenNewDeal_FAQ.pdf)

Cliquer pour accéder à ENG4%20REPERES%202010%20ENG-Partie%204.pdf

http://www.globalcarbonatlas.org/en/CO2-emissions

https://www.ipcc.ch/2018/10/08/summary-for-policymakers-of-ipcc-special-report-on-global-warming-of-1-5c-approved-by-governments/

https://report.ipcc.ch/sr15/index.html

http://www.globalcarbonatlas.org/en/CO2-emissions

https://www.lemonde.fr/idees/article/2016/11/04/l-investissement-public-est-la-cle-de-la-reprise-economique_5025661_3232.html

http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2016/05/28/20002-20160528ARTFIG00115-pour-jean-tirole-il-faut-proteger-le-salarie-plutot-que-l-emploi.php

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188 reasons why 8 mars 2018


 

So  you want to « fight bias » ? Which one exactly ?

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[click here to enlarge this infographic of 188 biases as they are listed in Wikipedia Encyclopedia]

188_cognitive-bias

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interview à l’École de design de Nantes 4 décembre 2017


Dans le cadre de la mise en place d’une nouvelle formation « Observation des usages » j’ai été reçu à l’École de design de Nantes pour une interview sur ce sujet d’études étrange et iconoclaste…
Profitons-en pour signaler que ce module de formation continue est désormais en fonctionnement et les réservations vous sont ouvertes :

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Propos recueillis le 14 novembre 2017.
Après l’ère du tout technologique, de plus en plus d’entreprises et de collectivités reviennent aujourd’hui au début de tout produit/services : leur utilisateur. Pour cela, il convient de bien l’observer pour analyser son comportement, ses prises de décisions et actions. Pour accompagner ce changement, L’École de design met en place un nouveau module de formation continue « Mieux observer ses usagers ».
Description de cette formation avec son animateur, Yannick Primel, ethnologue et expert UX.

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Pourquoi ce retour à l’observation des usages ?

Yannick Primel :
Beaucoup de projets s’attachent à livrer un produit fini qui fonctionne parfaitement, en laissant les utilisateurs se dépêtrer avec les contraintes techniques ou les incohérences de procédure.
On constate cependant aujourd’hui que la valeur ajoutée n’est plus dans la technologie mais dans la prise en compte de l’usage, dans la manière dont on configure un produit pour faciliter son emploi. Que le produit fonctionne techniquement, c’est la moindre des choses. Mais correspond-il vraiment à l’usage précis que j’en fais, là où je l’utilise habituellement ? Pour répondre à cela, il faut revenir au fondamental : l’utilisateur. L’observer, analyser son pourquoi et son comment dans la vraie vie, c’est de là que vient l’expérience utilisateur (User eXperience).
Quelque part, c’est une forme de respect qui s’était perdue envers le client ou le citoyen.

Une manière courante de concevoir un produit ou un service est de faire appel à des représentants ou des experts qui vont parler au nom des utilisateurs, c’est ainsi qu’on croit les connaître.

Mais qui a réellement été voir l’utilisateur ? L’observation UX vise à combler ce fossé entre la croyance et la connaissance avérée.

Il faut accepter que ce qu’on va observer ne va pas forcément correspondre aux représentations qu’on avait jusque-là. Accepter de changer ce qu’on fait parfois depuis des années pour mieux coller à la réalité est un point fondamental de l’UX.
Ainsi, c’est le besoin pratique qui dicte la configuration technique à adopter et non plus l’inverse.

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Qui doit observer ses usagers ?

Yannick Primel :
Celui qui va sur le terrain !

Entreprises privées ou collectivités, les décisionnaires (dirigeants, chefs produits, responsable innovation, directeur de services…) vont influencer la stratégie globale de la structure en acceptant que l’observation devienne un prérequis indispensable.
Avec l’UX on arrête de supposer, on va vérifier.
Cet élan vers le design de services et l’UX peut être illustré notamment par les banques. Certaines ont même racheté des agences de design pour évoluer. Elles ont accepté de revoir leurs produits dans la perspective de profits durables, si j’ose dire, en tout cas fondés sur une réalité pérenne (le groupe BPCE et ING Direct par exemple). Moins figées dans leur contrat que les assurances par exemple, elles ont commencé à se questionner sur la pertinence de leurs produits par rapport à un client-type imaginaire.
Pour le service public, deux extrêmes me viennent à l’esprit : la transformation particulièrement efficace du Ministère des Finances et au contraire le drame du RSI, qui a connu une forme de suicide par l’absence totale de prise en compte des besoins utilisateurs.
L’observation directe est donc la 1ère étape de la démarche de Design Thinking. Elle constitue la phase de découverte, la pointe de son double diamant. L’observateur est celui qui va percer la réalité de ce qu’on cherche à comprendre.
C’est le pied à l’étrier pour la structure prête à opérer son changement grâce au Design Thinking.

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Comment se fait cette observation ? Quel est le terrain d’observation ?

Yannick Primel :
Sur la journée de formation, on va consacrer 1 heure à observer un lieu proche.
Le but : voir comment il est utilisé et par qui. Comment vit-on dans l’endroit ? Quelle est la symbolique projetée par ceux qui le fréquentent ? Quels sont les points de friction ?
La méthode de terrain est fiable car les critères sont rigoureux. Les ethnologues parcourent le monde depuis au moins 150 ans.

 

La collecte en particulier doit être reproductible : quelqu’un d’autre sur le même terrain rapportera des faits comparables, c’est donc loin d’être « subjectif ».

 

De manière générale, les données collectées sont d’abord qualitatives et directes parce qu’on est là pour ça. Prise de notes, photos, vidéos, tous les supports sont bons à prendre.
Si elles sont disponibles, viennent ensuite les données indirectes comme les métadonnées, statistiques de fréquentation, journal de bord des utilisateurs…
Enfin vient la phase de « raffinage » où l’on met en forme cette matière brute. Des projets différents peuvent puiser dans une même observation UX parce qu’on s’attache à décrire un contexte d’utilisation et ses permanences, ses rituels sociaux qui dictent quel objet on utilise ou à quel service on va faire appel et pourquoi ceux-là et pas d’autres.
Des adolescents observés dans leur lycée sont une source d’inspiration infinie pour les fabricants de vêtements, de chaussures comme de téléphones mobiles… et bien sûr aussi pour l’Éducation nationale.

On obtient toujours énormément d’informations. De manière générale, on trouve même toujours plus que ce qu’on est venu chercher. C’est l’expérience de la sérendipité, le « don de faire des trouvailles ».

On peut préparer ensuite les phases suivantes du Design Thinking, en constituant un parcours utilisateur et des personas solides (une personne fictive qui va représenter un groupe cible) qui sont incarnées à partir des vraies personnes dans leur vraie vie et non plus « à dire d’expert ». On constitue également une empathy map. Il s’agit de décrire les ressentis (froid, chaud, peur, nombre de décibels dans un lieu, importance du toucher, perception du temps perdu …).
Ces données émotionnelles et physiques, permettent de faire comprendre à l’équipe projet le ressenti physique d’une personne et aussi de comprendre ce qu’on va faire ressentir à quelqu’un avec la nouveauté qu’on en train de fabriquer.

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Une base pour un changement de stratégie de l’organisation ?

Yannick Primel :
Une fois sensibilisées à l’observation des usages, les entreprises/collectivités peuvent mettre en place des procédures et parcours internes pour faire évoluer les compétences et gagner un avantage concurrentiel à l’échelle opérationnelle. Cela va clairement de pair avec la méthode de Design Thinking.
Rien ne devrait être conçu, testé ou livré sans avoir été confirmé sur le terrain.
Bien sûr ce n’est pas magique ni une garantie de succès… mais c’est en revanche la garantie qu’on va éviter de faire des erreurs grossières. D’abord on évite l’effet Beurk, ensuite éventuellement on suscite l’effet Wow !

Mais partir à la rencontre des usagers n’est qu’une première étape.

Pour donner son plein potentiel, cette démarche peut être généralisée et intégrée à l’orientation stratégique de l’entreprise. On passera alors de l’UX à l’échelle d’un projet, à de l’UX « exploratoire » (l’UX Research) qui permet d’orienter les efforts d’innovation sur la base d’un constat empirique. C’est mieux que d’avancer en aveugle…
En tant que méthode, l’UX est d’ailleurs née d’un projet du fabricant de microprocesseurs Intel qui avait envoyé l’anthropologue Genevieve Bell explorer ce que les gens faisaient dans leurs cuisines en Europe, Afrique du Nord et aux États-Unis. Un bref exemple encore sur l’UX Research : après le choc du Brexit, l’entreprise Ogilvy&Mather s’est rendue compte que sa compréhension de la vie quotidienne au Royaume-Uni était largement faussée par sa propre implantation londonienne. Ogilvy a donc développé un programme pour envoyer ses chefs de projets en observations régulières dans tout le pays, afin de ne plus laisser diverger leurs croyances et la réalité du terrain.

Pour eux, cela revient à modifier radicalement leurs produits parce qu’ils acquièrent une vraie connaissance de leur public, qu’ils n’avaient pas auparavant.

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Les bonnes manières, dans ta face 17 octobre 2017


On n’est pas loin de la schizophrénie culturelle.

Le déferlement récent de témoignages d’agressions sexuelles situe souvent l’action dans la zone grise qui permet à l’auteur de nier car il pourrait peut exister un doute raisonnable sur sa culpabilité (en tout cas la première fois)… et le plus (?) étonnant est que ces situations d’agressions se produisent souvent dans le cadre du travail, qui est pourtant l’un des environnements les plus codifiés, réglementés et contrôlés.

Puisque ces comportements de prédation sont déjà interdits, c’est donc qu’il existe une tolérance, pour des actes qui ne relèvent pas directement du pénal. Le problème étant que « dans le doute » on en arrive à laisser advenir des actes dont la non-dénonciation profite au coupable, surtout si les témoignages s’accumulent, sans que jamais il ne soit mis devant ses responsabilités.

.Des briques de base semblent manquer dans la construction des collectifs de travail : si en effet on sait qu’il existe des agresseurs dans nos bureaux et nos usines, qui blâmer de leur impunité ?
Les Directions des Ressources Humaines peuvent bien se regarder le nombril en parlant de management libéré et de bonheur au travail, on aurait préféré qu’elles traitent le problème à la racine depuis bien longtemps, alliées aux Directions Générales et Directions Juridiques.
Par exemple, j’ai eu beau chercher avant de publier cet article, je n’ai rien trouvé chez l’ANDRH.
Pas une déclaration officielle, pas une recommandation, pas de conseil pour transposer la règle de 3 du management, pas un mot, que dalle, nada.
Pourtant, l’article 4121-1 du code du travail n’est pas fait pour les chiens, si j’ose dire.

Entre le « bonheur au travail », les Chief Happiness Officers, #MeToo et #balanceTonPorc, peut-être faut-il reprendre les choses dans le bon ordre.

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Cher(e)s collègues, homme ou femme, blanc, noir ou bleu turquoise, sexisme travail_violentometre
-j’assimile sexisme et racisme, pour bien situer mon propos-
On se fréquente en entreprise pour bosser ensemble, mais parfois le fait d’être collègues ne permet pas d’aller très loin dans la confidence. Après tout, on n’est « que » collègues.
Oui… mais non. Le soutien mutuel quand ça part en vrille est le fondement de notre relation, en tant qu’êtres humains. Commencez par ne plus vous taire. Commencez par compter sur mon soutien.
Je fais partie des personnes qui peuvent vous servir d’oreille attentive. Pour commencer.
Les collègues finalement, ça sert aussi à ça.
Parlez, gueulez ou chuchotez, mais allez-y, crachez le morceau.
L’enfoiré(e) c’est l’autre et c’est l’autre qui a quelque chose à se reprocher, même ou surtout si ça s’est produit sans témoin.
Pour défendre une de ses copines, l’actrice Carrie Fisher avait déposé elle-même un paquet cadeau contenant une langue de boeuf, sur le bureau d’un type qui se sentait autorisé à coller ses collègues de près : « Si tu touches encore une femme, je ferai un paquet plus petit avec quelque chose à toi dedans. » Dans un autre registre, comme disait l’éminente Françoise Héritier : « la mise à bas de la domination masculine commence par refuser le service du café. »

Rien ne justifie l’agression, la brimade ou l’insinuation à caractère sexuel ou raciste. Rien n’implique de ne pas riposter si on vous l’inflige. Rien n’implique de ne pas demander du renfort pour riposter.
Ce n’est plus open bar. Fini. Terminé.
Si besoin vous aurez ma protection physique.

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Inversement… si on se fréquente et que tu es dans le camp des enfoiré(e)s, quelque soit ton nom ou ton rang, lorsque je le saurai n’attends de moi aucune indulgence, aucune pitié, ni aucune discrétion.

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Plus loin, plus ancien 21 juin 2017


Depuis le numéro du magazine Nature daté du 8 juin 2017, nous avons vieilli collectivement de 100.000 ans -au bas mot.
Si vous-vous souvenez bien en effet, depuis vos années de collège, vous avez appris qu’Homo Sapiens (nous !) est âgé d’environ 200.000 ans, tels que des restes de squelettes ont permis de l’attester dans la zone du grand rift d’Afrique de l’Est.
Il s’agit bien de nous et je ne parle pas par métaphore, car n’importe quel enfant de 3 ans depuis cette époque aurait été capable d’être scolarisé dans l’une de nos écoles maternelles sans qu’on puisse le distinguer des autres (moyennant un apprentissage de la langue).
Vous ne pourriez pas distinguer ses parents si vous les croisiez dans la rue.
Pour résumer, depuis qu’Homo Sapiens existe, aucun de ses membres n’est différent des 7 milliards d’humains qui peuplent aujourd’hui la surface de la terre, ni physiquement, ni en termes de diversité culturelle ou de capacités mentales.

C’est toujours vrai depuis le numéro de juin 2017 du magazine Nature… sauf que c’est vrai sur 100.0000 ans de plus et sur une zone d’origine qui n’est plus l’Afrique de l’Est mais le continent africain tout entier.

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Jusque-là en effet, le matériau scientifique laissait penser que nous (Homo Sapiens) étions nés à l’Est du continent africain, dans la savane alors qu’à l’Ouest, les singes avaient perduré dans les forêts denses.
De cette régions du Rift, l’être humain avait alors cheminé jusqu’à sortir d’Afrique pour peupler le reste de la planète. En Europe, nous avions côtoyé Neandertal, un autre genre d’Homo.
L’histoire du genre humain était linéaire à la fois en temps et en géographie. Pas d’hésitation, pas de détour, ni de chemin de traverse.
Cette histoire là on l’apprend à l’école (jusqu’à la prochaine révision des manuels).

Sauf que…
Sauf qu’au Maroc à Jebel Irhoud, une recherche archéologique a exhumé en 2004 des squelettes qui ont été étudiés pendant 10 ans et dont l’analyse remet en cause la linéarité du peuplement humain et son ancienneté.
La présence d’être humains à l’Est de l’Afrique il y a 200.000 ans n’est pas remise en cause : ils étaient effectivement là.
Mais 100.000 ans avant, il y en avait déjà à l’extrême Ouest du continent à 9.500 km de là.

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La théorie admise selon laquelle les humains actuels descendent d’une population unique qui vivait dans l’unique région éthiopienne reste pertinente (la théorie « East side story »).
Mais avant la grande migration qui a poussé Sapiens à sortir d’Afrique (la théorie « Out of Africa »), il y avait donc déjà eu une migration propre au continent africain pendant au moins 150.000 ans.
Nous étions bien là, dans l’actuelle Éthiopie, mais aussi près de l’Atlantique et -très probablement- dans beaucoup d’autres endroits d’Afrique dont Florisbad dans l’actuelle Afrique du Sud où un crâne de Sapiens a été daté à 265.000 ans.
Et nous avons du prendre l’habitude -très probablement- de côtoyer sporadiquement d’autres Homo qui n’étaient pas Sapiens.
A la même période par exemple notre ancêtre à tous Homo Erectus, une lignée vieille de presque deux millions d’années, circulait aussi sur les mêmes sols.
Nalédi, Neandertal, Erectus, Florensis… toutes ces « branches minoritaires » du genre Homo sont désormais éteintes, mais au moment où Sapiens s’éparpillait gaiement de par le monde, il a forcément croisé ses cousins et, non, ils ne se pas toujours fait la guerre.
Avec une population d’humains estimée à 800.000 individus dans toute l’Afrique et 100.000 Néandertal en Europe, il est probable (hypothèse) qu’ils ne se considéraient pas comme des concurrents ou des ennemis a priori.
Les ressources étaient abondantes et le premier risque n’était pas incarné par un camarade bipède, loin de là.
Pour preuve qu’il y a eu des échanges intimes (et fructueux) : la population européenne actuelle possède un peu moins de 2% de gènes Neandertal.

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Les humains d’il y a 300.000 ans avaient les ressources matérielles et psychologiques pour vivre côte à côte avec des humains qui n’étaient pas Homo Sapiens.
Il y a 300.000 ans d’ailleurs, il n’était pas certain que ce soit Sapiens qui finisse par être le seul survivant. D’autre conditions naturelles auraient pu faire de Neandertal la lignée persistante.

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L’histoire de l’être humain s’avère donc plus complexe et plus dense que prévu.
Cette augmentation du niveau de complexité est souvent le signe d’un gain qualitatif en science, car les explications qui rendent la réalité plus simple sont en général extrêmement suspectes.

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En termes de théorie anthropologique, la découverte de Jebel Irhoud n’est pas une révolution (toutes proportions gardées et mis à part tout ce qui vient d’être dit sur son importance).
Cette découverte renforce par contre un positionnement déjà existant, qui voit l’existence humaine se déployer dans le temps long et dans des configurations culturelles multiples dont aucune ne peut se prévaloir d’être meilleure que les autres.
A l’échelle de l’espèce humaine, cette variété des configurations sociales est porteuse de vitalité.
C’est aussi une plus grande probabilité de survie.

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L’ethnologue, qui étudie les variances culturelles du genre humain, se retrouve contraint à émettre des hypothèses invérifiables quant au mode de vie de ces lignées disparues.
Sujet de thèse : à quoi et comment pensait Homo Erectus ?
Le seul matériau de l’ethnologue, c’est Homo Sapiens.

L’intérêt de la découverte de Jebel Irhoud réside aussi dans les questions que l’ethnologue peut se poser à lui-même.
A quoi ressemble une théorie en sciences humaines quand on la mesure l’aune de François Rabelais et son fameux « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » ?
Quelle est en effet la conséquence du savoir anthropologique ? Que peut-on en faire et quel objectif le chercheur peut-il se donner ?

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D’ailleurs il ne s’agit pas de comprendre et d’expliquer une culture. « Une » culture ça n’existe pas. La bonne perspective est d’envisager les liens, les échanges entre cultures.
Répétons-le : la mondialisation est aussi ancienne que l’apparition de l’humain sur Terre.
A cet égard, emprunts, dons et bricolages symboliques permettent les traductions d’un groupe à l’autre et c’est par ces échanges que nous, Sapiens, avons pu perdurer et croître en tant qu’espèce depuis presque un demi-million d’années.
Le fait que tous les groupes soient enclins à se considérer comme plus digne que les autres pour représenter l’humanité (théorie de l’ethnocentrisme) est un réflexe spontané qui n’étonnera personne… comment reprocher aux membres d’une culture d’y être viscéralement attachés ?
Cette autoprotection nécessite pourtant d’être fermement bridée pour ne pas engendrer de rejet irraisonné; c’est la condition pour qu’elle soit positivement utile en servant de sas ou de tampon dont la fonction première n’est pas de rejeter la différence d’autres groupes mais de se donner le temps de bricoler un mode d’échange culturel collectivement acceptable.

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C’est donc là qu’intervient l’anthropologue américaine Ruth Benedict :
« The purpose of anthropology is to make the world safe for human differences. »
L’objectif de l’anthropologie est de rendre le monde sûr pour les différences humaines.

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sans-titre

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Lectures du soir 3 Mai 2017


 

La pensée scientifique illustrée 16 mars 2017


Sur l’image présentée ici et que vous avez sans doute déjà vu -en particulier sur le réseau Linkedin-, il y a un non-dit que je trouve intéressant de questionner.
A priori, le dessin laisse entendre que des points de vue différents sont une situation normale, dans la mesure où c’est la réalité elle-même qui génère l’incompréhension. Le respect que l’on doit à autrui impose de ne pas le forcer à adopter notre point de vue.
Ainsi donc, tout étant relatif, il ne sert à rien de s’attarder sur les points de divergence  et l’ultime conséquence en serait l’impossibilité collective à trouver un terrain d’entente.
Chacun peut donc repartir avec son propre point de vue sans jamais atteindre aucun accord avec les autres.
Après tout comme le suggère le dessin dans ce cas précis tout le monde a raison en même temps, n’est-ce pas ?
En l’occurrence non.
Ce que ce dessin laisse entendre c’est qu’il est préférable d’abandonner la recherche de la vérité plutôt que de reconnaître qu’on a collectivement tort. Ce que ce dessin laisse entendre c’est que si la réalité n’est pas exactement conforme à vos manières de voir, vous pouvez renoncer à la réalité et persister dans l’ignorance.
Ce que ce dessin laisse entendre, finalement, c’est que si la manière de voir d’autrui n’est pas exactement conforme à vos manières de voir, l’unique solution pour parvenir à un terrain d’entente consiste à forcer autrui à accepter votre point de vue. Tordez lui le bras, envahissez son pays, manipulez les faits.
De ce point de vue, le relativisme est un motif d’abandon du processus de recherche de vérité.
C’est un renoncement à construire une interprétation collective de la réalité qui soit viable.

Car ce n’est pas « la réalité » qui génère de l’incompréhension, c’est son interprétation. Les faits, eux, sont univoques et c’est la première difficulté : établir les faits de manière incontestable. Pour cela on a inventé et raffiné depuis trois siècles la revue par les pairs (peer review) qui est un outil redoutable d’efficacité. La seconde difficulté consiste à faire tenir ensemble ces faits exacts et une interprétation collectivement acceptée : les anthropologues appellent cela la construction sociale de la réalité.

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Le respect mutuel n’implique pas en effet qu’on doive rester dans un état d’ignorance.
La recherche de la vérité n’implique pas non plus qu’on cesse de se respecter mutuellement.

Les deux personnes sur l’image pourraient s’adresser à un tiers de confiance qui a déjà travaillé le problème et trouvé une solution qui fait référence.
Ou ils pourraient prendre de la hauteur pour vérifier si ce signe sur le sol n’a pas été tracé pour être vu à partir d’un endroit spécifique.
Ou ils pourraient observer la population locale et vérifier quelle est la valeur de ce signe dans le contexte social local.
Ou ils pourraient convenir d’une expérience qui permette de définir les faits, de les interpréter pour déterminer s’il s’agit d’un 6 ou d’un 9 et rendre leurs résultats publics pour qu’une revue par les pairs valide leur conclusion.
Ou mener les quatre vérifications successivement.

C’est cela la pensée scientifique !

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Les 15 possessions de James Altucher 31 décembre 2016


[Un article du New York Times a attiré mon attention et depuis plusieurs mois que j’y pense, je ne peux m’empêcher d’être marqué par la description d’un contexte occidental qui nous est à tous extrêmement familier, mais en même temps qui génère un mode de vie vraiment particulier au niveau individuel. Avant-garde ou marginalité, il n’est pas question de porter un jugement sur James Altucher, par contre il est intéressant de travailler sur les facteurs qui ont pu générer sa vision si singulière de l’existence. Car  des millions d’autres personnes dans le même contexte socioculturel ne développent pas du tout ce paysage mental, cet ethnoscape (comme dirait Arjun Appadurai). Une chose est sûre cependant, l’écart de vision du monde entre l’immense majorité de la population et James Altucher nous place presque en situation d’ethnologie du proche… Je reproduis l’article d’août 2016 ici, in french. ]

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« James Altucher est probablement le plus improbable des gourous du succès. Il est environ 10 heures en ce matin ensoleillé et il emballe dans un sac tout ce qu’il possède au monde : 15 objets.

Si je meurs, mes enfants auront ce sac en héritage,” dit monsieur Altucher ironiquement, alors qu’il range son ordinateur portable, un iPad, trois pantalons chino, trois tee-shirts et un sac de james-altuchercongélation contenant 4.000 dollars en billets de deux dollars. “Les gens se souviennent bien de vous quand vous laissez des pourboires de deux dollars” dit-il, en quittant le loft d’un ami situé à East 20th Street.

Il y a quelques mois, le garçon de 48 ans a laissé expirer le bail locatif de son appartement à Cold spring, New York et il a jeté ou donné quasiment toutes ses possessions, plus de 40 sacs poubelle de linge, vaisselle, vêtements, livres, diplômes universitaires et même d’albums photos de son enfance. Depuis lors, il rebondit de locations Air B’n’B en appartements d’amis.

Ce n’est pas qu’il ait manqué de chance. Plusieurs de ses 16 livres se vendent extrêmement bien, y compris son manifeste de développement personnel écrit en 2013 “Choose Yourself”. Ses podcasts hebdomadaires “The James Altucher Show,” proposent des interviews avec des personnalités aussi diverses que Ron Paul ou Luther Campbell du groupe 2 Live Crew. Sa série quotidienne “Question of the Day,” avec Stephen Dubner est téléchargée à peu près deux millions de fois par mois.

M. Altucher est simplement quelqu’un qui met en pratique ce qu’il prêche. Ces cinq dernières années, cet ancien entrepreneur de l’internet, investisseur et conseiller en finance s’est réinventé en gourou du développement personnel et du self-help. Il prêche la survie à une époque où le rêve américain ressemble à une escroquerie qui se résume à un diplôme encadré au mur, un bureau en étage élevé et une maison avec trois chambres. Alors il s’en est séparé, un élément à la fois.

J’ai une ambition,” dit-il, “c’est de ne pas avoir d’ambition.”

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Ces 25 dernières années le revenu moyen a diminué pour les 18-35 ans, l’endettement des étudiants a explosé” commente-t’il. “Nous avons distribué trois milliards de milliards de dollars de sauvetage pour les banques et les inégalités de revenu ont augmenté comme jamais. Les gens sentent qu’ils se sont bien fait avoir.”

Le diagnostic de James Altucher n’est pas une surprise pour la classe moyenne anxieuse, pour les dépossédés, qui ont propulsé très loin les populismes de Bernie Sanders et Donald Trump. Mais alors qu’il n’y a pas pénurie de colère et de confusion sur l’effondrement supposé du Rêve Américain, ce qui fait la particularité de monsieur Altucher est la conclusion qu’il en retire.

L’université dit-il, est une perte d’argent. Bien qu’il soit lui-même diplômé de Cornell, M. Altucher affirme que le diplôme universitaire est devenu un luxe dans un monde où les enfants nés au tournant du XXIe siècle se sentent comme des esclaves de crédits qu’ils ont contracté pour financer leurs études tout en ne pouvant pas trouver de premier emploi ensuite, non pour gagner leur vie mais pour rembourser leurs dettes. Dans un livre en auto-édition publié en 2012, (40 Alternatives to College) il argumente que les jeunes adultes pourraient parcourir le monde, s’éduquer sur internet par eux-mêmes et démarrer un business avec les mêmes 200.000 dollars qui leur servent à payer la fac. (NDT : aux Etats-Unis le college est l’équivalent de notre université. Notre collège français est appelé High school)

Investir cet argent à un taux d’intérêt de 5% offrirait un meilleur bénéfice à l’échelle d’une vie, écrivait-il dans un article en 2010 intitulé N’envoyez pas vos gamins à l’université.

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james-altucherIl argumente similairement que la propriété immobilière est une confiscation au profit d’une industrie du crédit qui pèse 14 milliards de milliards de dollars. C’est une arnaque complète,” dit-il dans une interview. “Personne ne devrait mettre plus de 5 ou 10% de son patrimoine dans un seul investissement. Mais lorsque les gens achètent de l’immobilier ils perdent toute prudence. Ils mettent 50, 60 ou 70% de leur richesse dans un seul objet. C’est du patrimoine illiquide et lorsque les temps deviennent durs, vous ne pouvez pas le vendre.”

Et il pense que l’investissement en bourse est un racket. Cette vision du monde est ancrée dans des expériences personnelles qui font ressembler sa vie à des montagnes russes, des expériences qui ont profondément influencé sa vision du monde. Dans les années 1990 alors qu’il était un magicien dans la Silicon Valley, James altucher gagnait des millions avec son entreprise de design web Reset, Inc. Il avait pour clients Sony ou Miramax. Bientôt, lui et sa femme Anne (dont il divorce en 2010) aquièrent un loft de 460m² à TriBeCa, acheté 1,8 millions et rénové pour 1 million de plus. Il était assez aisé à cette époque pour aller jouer au poker à Atlantic City en hélicoptère.

Ce mode de vie prodigue ne remplissait cependant pas son vide émotionnel. “Personne ne devrait se sentir désolé pour moi. J’étais vraiment stupide, mais je pensais que j’étais pauvre. Je pensais que j’avais besoin de 100 millions pour pouvoir être heureux, alors j’ai commencé à investir dans plein d’autres entreprises qui se sont avérées aussi nulles que moi. Aucun de ces investissements n’a fonctionné.”

Alors que sa bonne fortune s’effondrait, il fut obligé de revendre son appartement avec une perte d’un million, après les attaques du 11 septembre 2001. Pour remplumer son patrimoine, il misa sur le marché boursier. Il lut plus d’une centaine de livres sur l’investissement et finit par décrocher un travail pour écrire sur le site de James Cramer, TheStreet, et plus tard pour le Financial Times. Très vite, son crédo devint sa marque de fabrique et il travailla aussi pour CNBC.

Mais la chance tourna à nouveau quand commença la crise financière de 2008. Le hedge fund qu’il dirigeait fut fermé, des start ups où il avait investi firent faillite, plus personne ne lui demanda d’écrire d’article. Les options n’étaient plus si nombreuses et il choisit alors de raconter ses déboires sur son blog personnel Altucher Confidential. J’ai juste dit ‘J’ai fait toutes les erreurs possibles et imaginables, voici comment ça s’est passé’ ” A ses amis du secteur de la finance, il ressemblait à Howard Beale, l’homme-clé de l’émission Network, celui qui s’est effondré en direct .

Au lieu de recommander les derniers fonds spéculatifs à la mode, il écrivit des articles comme 10 raisons pour ne plus jamais posséder d’actions (la première étant que vous n’êtes pas bon pour les choisir). Il avoua des pensées suicidaires. Pour le monde de la finance, c’était comme regarder un accident de train en direct,” commente M. Altucher. “Des gens à qui je n’avais pas parlé depuis le collège m’appelaient pour demander si j’allais bien. ”

Il découvrit alors que plein de gens avaient vu leurs rêves partir dans le siphon de la crise. Eux aussi cherchaient une sortie de secours. “La recherche n°1 sur Google qui amène les internautes vers mon blog c’est ‘Je veux mourir’ ”.

Mais James Altucher ne semble pas la meilleure personne vers qui chercher du réconfort. Très contrarien, livresque et avec un phrasé saccadé, ce geek maigre du New Jersey est comme un anti-Anthony Robbins, la brillante étoile du self-help et du développement personnel. Son style de gars normal s’est pourtant avéré être un avantage pour créer une communauté de followers importante sur le thème du gagner un peu-perdre un peu et de “piratages d’existence”.

Il y avait le régime de 17 heures, où l’on ne mange plus rien après cette heure ; ou encore le truc de l’alien contre l’anxiété où il prétend être un extraterrestre qui se réveille chaque matin dans un nouveau corps, dans un nouveau monde. “Je n’ai plus de soucis puisque demain j’aurai un nouveau corps. Pas d’envie, pas de souci. Seulement de nouvelles choses à explorer.”

De manière candide, en écrivant sur ses triomphes et ses échecs, M. Altucher montre à ses lecteurs “comment réussir malgré leurs défauts, pas en n’ayant aucun défaut” commente Tim Ferriss, l’auteur du célèbre livre La semaine de 4 heures . “C’est très rafraîchissant, dans un monde où tous les gourous sont positifs et affichent des sourires forcés tout en congratulant des gens qu’ils ne connaissent pas.” Mais le ton positif de M. Altucher a quand même bien aidé, malgré ses points de vue piquants sur des sujets comme l’université. “Je suis un optimiste,” dit il. “Il y a une nouvelle publiée dans les années 1960 par Richard Fariña, intitulée J’ai si souvent été en bas que ça ressemble à être en haut pour moi. Fondamentalement, je suis tombé au sol tellement de fois, maintenant je sais qu’on peut toujours rebondir et chaque fois plus rapidement.”

Cette philosophie est très clairement exposée dans son ouvrage “Choose Yourself,” qu’il a résumé pendant un repas de cette manière : “Si vous ne choisissez pas la vie que vous voulez mener, il y a de grandes chances pour que quelqu’un d’autre choisisse à votre place. Et le résultat en général n’est pas beau à voir.” Certains chapitres s’appellent Comment être moins stupide (“Je perds 20% d’intelligence lorsque j’éprouve du ressentiment”) et Les sept habitudes des gens hautement médiocres (la procrastination, écrit-il, “est votre corps criant que vous devriez vous poser pour réfléchir à ce que vous faites”).

Un élément clé du livre est la Pratique Quotidienne , qui est une suite d’exercices de bien-être appliqués au physique, à l’émotionnel, au mental et au spirituel. Il appelle cela les quatre piliers du bonheur, parce que “une chaise a besoin de quatre pieds pour être stable. ”Et il n’y a jamais eu de meilleur moment pour se choisir soi-même (NDT : Choose yourself, le titre du livre en anglais).

Pas besoin d’être Mark Zuckerberg, dit-il, pour s’affirmer comme entrepreneur. « Vous pouvez apprendre les bases du développement web, vous pouvez rejoindre Codeacademy.com, savoir l’essentiel pour démarrer en trois mois, puis vendre votre savoir-faire sur Freelancer.com, où vous trouverez des millions de jobs. Je connais des gens de 15 ans qui se font quelques milliers de dollars par mois.

Grâce à l’auto-édition vous n’avez pas non plus besoin de vous appeler Deepak Choprah pour vendre vos livres (et encore moins pour les écrire). “Tout le monde peut être expert dans un domaine. Moi par exemple : je n’ai pas été actif dans une cuisine depuis 20 ans. Je déteste le végan. Mais ça ne serait pas difficile de lire 50 livres sur le véganisme, trouver les ingrédients fondamentaux et écrire un livre intitulé Recettes végan pour les non-végan.

Lui il sait. “Choose Yourself,” qu’il a auto-édité sur Amazon s’est vendu à plus de 500.000 exemplaires et est entré dans la liste des best sellers du Wall Street Journal.

Ses fans ne jurent que par lui. L’un d’eux, a récemment écrit un essai sur Medium décrivant à quel point il l’avait inspiré pour quitter son travail frustrant et lancer son propre business NomadFly.me . “Maintenant je danse en sous-vêtements », clame-t’il. « Je n’ai plus jamais eu d’attaque de panique. »

A talk he gave at a London church last year drew about 1,000 people, and fans have organized “Choose Yourself” meetups in cities around the world. On LinkedIn, where he publishes original free essays, Mr. Altucher has more than 485,000 followers and is ranked the No. 4 “influencer,” after Bill Gates, Richard Branson and Mohamed A. El-Erian, the financier and author.

Il est le Oprah Winfrey de l’internet,” dit Kamal Ravikant, un entrepreneur qui a auto-publié son propre best seller : “Love Yourself Like Your Life Depends on It.”

Mais contrairement à la plupart des gourous, “James est dans un voyage très personnel, en permettant à ses lecteurs et auditeurs de le rencontrer et de suivre ses pérégrinations en temps réel,” dit Brian Koppelman. “Il vous raconte un projet le samedi et le dimanche il vous dira comment ça s’est fini en échec. Puis le lundi il annonce qu’il va recommencer d’une autre manière.”

M. Altucher, en fait, réfute totalement l’idée d’être un gourou. Mes conseils sont mon autobiographie. Je dis ce qui a bien fonctionné pour moi, pour que d’autres puissent choisir d’essayer à leur tour ou pas.”

Qui plus est, ce qui fonctionnait hier n’est jamais garanti de fonctionner demain.

C’est comme Mike Tyson dit-il, Tout le monde a un plan, jusqu’à ce qu’il se prenne le premier coup en pleine face.

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« Le voyageur heureux voyage léger » pourrait être la devise de James Altucher, s’il n’avait pas appris à se méfier des fausses promesses de bonheur du Rêve Américain.

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Le vol agaçant du moustique 23 février 2016


« Les insectes piquent, non par méchanceté, mais parce qu’eux aussi veulent vivre. » 
Friedrich Nietzsche : Opinions et sentences mêlées   § 164.


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En ce début d’année 2016, l’Amérique du sud est frappée d’un fléau qui semble sorti de nulle part -ce qui favorise en épiphénomène toutes sortes de théories complotistes. La menace est à peine mortelle, elle est à peine visible mais elle ressemble pourtant à un symptôme planétaire, au même titre que l’assèchement des cimes du Kilimandjaro ou l’augmentation des épisodes météo extrêmes.

Quelques mois après la conférence environnementale COP 21, je suis surpris de voir combien peu de personnes font le lien entre les deux sujets : l’émergence du virus Zika et le réchauffement climatique mondial.
Sous l’effet du réchauffement climatique, la littérature scientifique a pourtant bien montré comment les moustiques (et les insectes en général) passent moins de temps à l’état larvaire, atteignent plus vite l’âge adulte et ont donc plus de temps pour élargir leur rayon d’action. Ils peuvent ainsi se répandre plus loin, jusqu’à atteindre les lieux densément peuplés qui regorgent de recoins humides propices à leur épanouissement et à leur reproduction… ce qui permet de reproduire le cycle.220px-Aedes_aegypti_during_blood_meal
Il faut ajouter que l’élévation des températures modifie les zones favorables à l’épanouissement de ces bestioles, ce qui les pousse à modifier leur zones d’implantation, la plupart du temps en les investissant de façon permanente. La répartition de la dengue véhiculée par les mêmes types de moustiques correspond à l’isotherme des 42,2 degrés, une température moyenne que l’on va retrouver à court terme dans d’autres et davantage d’endroits qu’aujourd’hui.
Sur ce sujet, voir : Epstein, P.R. et al. (1998). Biological and physical signs of climate change: focus on mosquito-borne diseases. Bull. Am. Meteorol. Soc.79, 409–417

Le danger sanitaire de Zika concerne en premier lieu les bébés in utero, pour qui le risque de naître avec un handicap mental lourd est réel. Pour l’année 2015 le Brésil a officiellement déclaré 4.180 cas de ces microcéphalies congénitales, contre 147 en 2014, avec une estimation de 1.500.000 cas de personnes ayant contracté la maladie sans gravité (hormis les fœtus, seuls 18% des personnes infectées subissent des symptômes, la plupart du temps bénins).  L’émergence rapide de cas de microcéphalie dans toute la région puis dans d’autres régions du monde a mené l’Organisation Mondiale de la Santé à déclencher début 2016 le processus « urgence de santé publique de portée internationale ». Si des cas ont été rapportés ailleurs dans le monde rapidement après cette alerte, il faudra attendre l’été dans l’hémisphère nord pour comprendre l’ampleur (ou pas) du phénomène. A ce stade, les pays concernés se préoccupent de protéger leur industrie du tourisme davantage que remettre en cause leurs lois anti-avortement ou les pratiques contraceptives (modification culturelle qui ferait date, étant donné la religiosité de l’Amérique du Sud).

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Inutile de refaire un inventaire des données prouvant l’influence humaine sur le climat    -à ce stade si vous n’êtes pas convaincu vous faites sans doute partie des réfractaires à la science qui remettent aussi en cause le bien fondé des vaccins et/ou militent pour l’exploitation pétrolière en arctique et antarctique.
Pour ceux qui n’en doutent pas (de l’influence humaine sur le climat) il reste néanmoins une discussion sous-jacente : l’influence humaine sur le climat est-elle vraiment négative ? Après tout, qu’il y ait une origine anthropique au réchauffement de l’atmosphère est une chose, mais que les conséquences soient négatives pourraient en être une autre.

Cet argument est nul et irrecevable. Il rejoint le discours des sceptiques au moment où on leur prouve la réalité du réchauffement climatique. Ils encaissent la chose et poursuivent néanmoins dans leur aveuglement et affirmant que, bon, même si ça existe, ça n’est pas grave.
L’émergence du virus Zika pourrait être l’un des phénomènes qui nous fera comprendre -à nous tous- que d’une part les effets d’une planète plus chaude sont réels et d’autre part qu’ils sont une menace.

 

Nous savons depuis belle lurette que le cycle de vie de la plupart des organismes est influencé par les températures et les précipitations. Mais depuis des années de collecte intensive de données, les chercheurs ont pu affiner leurs analyses et leurs conclusions, qui peuvent être synthétisées en quatre grandes catégories :


– la physiologie interne : Les modifications du taux de gaz carbonique dans l’air, de la température et des précipitations affectent le métabolisme et le développement de la faune; la photosynthèse, la respiration, la croissance et la composition des tissus de la flore… c’est à dire que tout le vivant est concerné qu’il vive en l’air, sur terre ou dans l’eau, sous forme animale ou végétale, visible ou non visible à l’œil nu.
– la distribution spatiale : les changements de ‘zone de vie’ correspondent à l’évolution des températures moyennes représentées par les isothermes. En conséquence les espèces migrent vers les latitudes plus élevées en suivant le mouvement de leur température ambiante idéale. On sait par exemple que 63% des papillons en Europe ont déjà déplacé leur zone d’habitat vers le Nord ce qui a un effet sur leur régime alimentaire, sur la pollinisation et sur la chaîne alimentaire dont ils faisaient jusque-là partie plus au sud (voir : Parmesan, C. et al. (1999). Polewards shifts in geographic ranges of butterfly species associated with regional warming. Nature 399, 579–583). La  modification de la distribution des essences de plantes et d’arbres  est également observable et prévisible en fonction d’une équation simple : 1°C d’augmentation de la température moyenne = déplacement des essences de 180km vers le nord. Des modifications identiques s’observent chez les espèces marines notamment pour les espèces d’eau froides qui ne peuvent migrer nulle part car toute l’eau devient plus chaude, partout.
(voir : Holbrook, S.J. et al. (1997). Changes in an assemblage of temperate reef fishes associated with a climate shift. Ecol. Appl. 7, 1299–1310)
– la saisonnalité du mode de vie : les modifications de l’environnement immédiat trop rapides amènent des espèces (flore et faune) à vivre sur le même territoire sans pouvoir établir un équilibre préalable et progressif, par exemple par rapport aux ressources alimentaires disponibles.
– et les capacités adaptatives : des espèces animales ou végétales à très courte durée de vie n’auront pas le temps de migrer en suivant la remontée vers le pôle (Nord ou Sud) de leur isotherme le plus favorable. Restant sur-place, elles vont subir des évolutions brutales pour s’adapter à leur nouvel écosystème -et soit y parviendront avec de nouvelles caractéristiques génétiques, soit… non. Potentiellement, cela signifie des disparitions d’espèces mais aussi l’apparition de nouvelles, mieux adaptées et pas nécessairement super gentilles.

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Pour le moustique, le réchauffement climatique semble favorable, c’est le moins qu’on puisse dire… en particulier pour le genre Aedes dont on connaît 85 espèces.
Pour remettre le sujet en perspective, souvenons-nous que depuis la fin du dernier âge glaciaire si l’être humain n’a pas réussi à s’implanter massivement au plus profond des forêts tropicales d’Afrique, d’Amérique ou d’Asie, ce n’est pas à cause de la chaleur ou de l’humidité, c’est à cause des moustiques et des maladies qu’ils transmettent.
Environ 500.000 personnes meurent chaque année de la malaria transmise uniquement par la moitié femelle d’un seul genre de moustique et … et cela sous des conditions climatiques considérées comme ‘moyennes’. L’île de Corse en a été débarrassée seulement en 1973 et encore, à grands coups du polluant organique persistant appelé DDT.
Concernant la propagation de Zika, à partir de quelle température moyenne en Europe verra-t’on se multiplier les cas de microencéphalie congénitale chez les nouveaux-nés ? A partir de quand le réchauffement climatique permettra au moustique de ne plus se mettre à hiberner en hiver et donc à avoir un cycle de reproduction permanent dans les zones dites tempérées ?


Si la lutte contre les conséquences du réchauffement climatique semble relever habituellement de l’ingénierie et de l’aménagement public, les solutions proposées jusqu’ici pour stopper ou atténuer les maladies propagées par les moustiques soulèvent davantage de problèmes qu’elles semblent en résoudre, qu’il s’agisse de recherche génétique ou d’éradication chimique.
Et qui garantit que si l’on éradiquait le moustique comme vecteur, une autre espèce ne prendrait pas sa place de façon encore plus efficace ? La nature a horreur du vide, comme disait Aristote… et à ce niveau de débat, pour évoquer un génocide animal, le dicton devrait sonner à nos oreilles comme un avertissement.
Car bien sûr en termes de stratégie, si la menace est un virus, pourquoi s’attaquer à son messager ?

Si on admet donc que l’augmentation des vagues de chaleur ou des ouragans extratropicaux sont des conséquences du réchauffement climatique, peut-on considérer que l’épidémie de Zika, elle aussi, est d’origine humaine ?

 

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Les connexions empathiques 2 février 2016


 

Deux des producteurs de la série Sense8 ont aussi fait Matrix et Cloud Atlas : Lana et Andy Wachowski, excusez du peu. Compte tenu de leur maîtrise cinématographique, on pourra d’ailleurs se demander pourquoi les Wachowski sont allés mettre de l’argent dans une série télévisée, qui n’est pas un genre créatif particulièrement estimé. Mais à bien y réfléchir, quand on voit la stérilisation progressive des productions de cinéma, il faut peut-être accepter l’idée qu’aujourd’hui c’est dans le format de la série que l’on peut trouver la liberté de ton, la créativité et la qualité presque littéraire.

D’ailleurs dans ces trois domaines, toutes sortes de choses étranges se produisent au cours de la série Sense8, à commencer par demander un effort au spectateur pour dépasser les trois premiers sense8-characters-_empathie_empathy_wachowskisépisodes, tant ils paraissent confus et lents.
Quelle est la dernière production culturelle qui vous ait demandé de faire un effort ?
Les personnages de la série sont des humains parmi d’autres -ou presque-. Ils ne sont pas auréolés de lumière divine ni dotés d’une technologie toute puissante. Ils sont faibles, vulnérables et sûrement pas supérieurement intelligents… et le démarrage poussif des trois premiers épisodes le montre bien : les personnages eux-mêmes ne comprennent rien à ce qui leur arrive… c’est un pari risqué de mise en scène car ça a dû couter beaucoup de spectateurs potentiels, qui sont partis non pas avant la fin mais avant le début de l’intrigue.

Les spectateurs les plus rigoristes seront aussi exaspérés par le libéralisme moral qui domine l’état d’esprit des protagonistes.
Mais la série Sense8 n’est pas faite pour les esprits fermés.
Le cœur du sujet est même exactement l’inverse : Sense8 nous parle de transhumanisme   –l’idée que dans le futur l’espèce humaine pourrait devenir davantage que ce qu’elle est aujourd’hui sous le nom d’homo sapiens-sapiens. Mais le transhumanisme de Sense8 ne se fait pas à coups de prothèses technologiques ni de modifications du génome par des biopunks en laboratoire plus ou moins stérile. Pour une série classée dans le genre science-fiction, on pourra bien s’en étonner : ça ne parle pas de technologie ou, du moins, la technologie n’est pas l’élément le plus important.

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L’élément le plus important ce sont les gens et les relations qu’ils entretiennent. Leurs émotions, leur empathie et la complémentarité de leurs compétences   -cette même complémentarité qui souligne l’idée du tout, meilleur que l’addition des parties.

Et contrairement aux récits catastrophistes habituels sur l’émergence d’un nouvel être humain amélioré, le transhumanisme ne semble plus si suspect avec Sense8. La force des protagonistes est de pouvoir établir une connexion émotionnelle. C’est leur capacité à ressentir l’émotion d’autrui qui les fait passer au stade ultérieur de l’évolution d’homo sapiens. Bien sûr, nous sommes à la télé… tout n’est donc pas particulièrement subtil… mais les réalisateurs parviennent à faire passer le message : le moyen pour rendre l’être humain meilleur nous l’avons déjà. C’est l’empathie… et c’est en totale opposition avec les préjugés largement répandus sur le comportement humain, qui serait d’abord motivé par l’intérêt personnel, la soif de pouvoir et la maximisation du profit. sense8_empathie_empathy_wachowskis
Les économistes savent de quoi je parle, c’est eux qui ont inventé ce postulat de l’homo economicus.

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Les auteurs de science-fiction ne sont pas censés aborder ce genre de sujets, encore moins s’ils ont réalisé la trilogie Matrix. Où sont donc les vaisseaux spatiaux, les robots et les concepts révolutionnaires ?! Où sont les superpouvoirs des X-men ? Où est HAL de 2001 : l’odyssée de l’espace ? Où est le voyage temporel d’Interstellar ? Où est le robot qui rêve et ressent de émotions de i, robot ? Rien de tout cela n’a d’importance si les êtres humains ne font pas preuve d’empathie les uns envers les autres, nous répondent les Wachowski. Leur point de vue se défend bien et ça semble même sexy, enrichissant et concrètement utile.

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Les récits de science-fiction souffrent généralement de deux faiblesses : le futur est compliqué (pas complexe, mais compliqué), déprimant et ennuyeux ; et son esthétique est théâtrale : soit néofasciste, soit anarcho-biotechnologique. Le message implicite est que l’avenir de l’humanité est inséparable de la souffrance. Les acteurs de Matrix ont l’air très cool dans leurs vestes de cuir et leurs lunettes de soleil, oui –mais ce sont les robots qui ont vaincu ce crétin d’homo sapiens. Le paradoxe ressemble à un sarcasme visuel.

En poursuivant leur analyse dans Sense8, ceux-là mêmes qui ont fait Matrix suivent une bifurcation plus prometteuse. Ils explorent la piste déjà partiellement parcourue par James Cameron dans Avatar : l’être humain devient meilleur s’il peut voir le monde avec les yeux d’autrui. Et les Wachowski jubilent en supprimant même l’intermédiaire technique : Sense8 est plein de joie parce qu’on y voit des individus qui deviennent meilleurs grâce aux autres, sans l’amertume habituelle de la décadence futuriste ou la prédestination du superhéros.

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Sense8 est donc d’abord une question posée aux auteurs de science-fiction en particulier et à tout les autres en général : faisons-nous une erreur en croyant que c’est le développement technologique qui permet l’amélioration de notre monde ? -question que l’on pourrait inscrire chaque année au fronton du Consumer Electronics Show (le CES de Las Vegas)… ou de n’importe quelle Exposition Universelle depuis 1851-   Car s’ils ne servent pas à cela, à quoi servent donc la pointe de flèche en silex, le Big Data, l’industrie logicielle, les énergies propres, les nanotechnologies, la réalité virtuelle,  l’Internet des Objets, les biotechnologies, le digital, la voiture autonome, les drones, et tous les autres ?

A sa manière souriante et humble mais pas moins déterminée, la série suggère une réponse alternative pour améliorer l’être humain : augmenter la compréhension qu’on a des autres, en utilisant l’émotion comme connecteur principal.

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Citation (23) : histoire des pouvoirs 15 janvier 2016


Dans son ouvrage  Conjurer la peur   Editions Seuil, 2013, l’historien Patrick Boucheron raconte la résistance à la tyrannie des habitants de Sienne en 1338. Cette ville à l’époque a des traits bizarrement communs avec l’Europe du début du XXIe siècle : des banques chargées de dettes, une population apeurée qui cherche une solution pour éviter de disparaître avec pertes et fracas.

Pour son entrée au Collège de France le 17 décembre 2015, à la chaire d’Histoire des pouvoirs, il a donné un discours magistral non pas sur une région du monde lointaine, à une époque oubliée… non, Patrick Boucheron a révélé ce que l’histoire peut apporter au présent et aussi à l’avenir.
Un tel propos qui s’affirme un mois après l’attaque à l’arme automatique dans les rues de Paris est un défi lourd de sens, à commencer par la référence à la médaille datée de 1581 qui porte les mots latins Fluctuat Nec Mergitur.
On pourrait aussi citer un autre auteur fameux : « Toute politique qui porte en elle un principe de division finit par favoriser l’essor du racisme, dont la forme ultime est le génocide. » Jean-Loup Amselle : Branchements. Anthropologie de l’universalité des cultures. Ed. Flammarion, 2001.
Car l’histoire des pouvoirs c’est aussi cela : l’histoire des dominations, le renouvellement des « idéologies de la séparation» … et la résistance qu’on peut leur opposer.
Voir sur ce sujet : L’Exercice de la peur. Usages politiques d’une émotion, Presses Universitaires de Lyon, 2015.
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L’avenir est toujours incertain et le pire toujours possible, comme dans l’Italie du XIVe siècle et comme à bien d’autres occasions tout au long de l’Histoire passée et à venir. De ce point de vue la référence au fascisme religieux du 13 novembre 2015 ne doit pas nous abuser : les dominations sont inscrites dans le principe social et dans l’existence même de l’État, quel qu’il soit. Il n’est qu’à lire les statistiques économiques pour comprendre qu’une domination n’est pas nécessairement physiquement violente ni très spectaculaire. Il suffit qu’elle soit.
L’historien invite donc chacun d’entre nous à « se mettre en travers de cette catastrophe lente à venir, qui est de continuation davantage que de soudaine rupture. » 
D’ailleurs ce n’est pas qu’une invitation, c’est une inspiration, comme quelqu’un qui vous pousse en avant en criant Vas-y, monte le son !
Défiant, irrévérencieux, méticuleux.

La rage d’espérer. L’idée fondamentale est de « se prémunir de la violence du dire » . Cesser d’être dominé par ce qui s’impose à nous, à commencer par la voix des autres : bavardage incessant ou silence apeuré.
Prendre le temps de construire sa propre idée. Laisser reposer jusqu’à ce que l’écume de surface ait disparu. Construire sa propre idée pour parvenir à avoir une voix individuelle.
…et lorsque cela se fait, de petites lumières s’allument : des promesses d’avenir.

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Les cours de Patrick Boucheron seront intitulés cette année : Souvenirs, fictions, croyances. Le long Moyen Âge d’Ambroise de Milan, le lundi à 11h00 à partir du 4 janvier 2016. Ses séminaires débuteront le 12 avril sous le titre, Les effets de la modernité : expériences historiographiques.
Comme d’habitude dans la vénérable institution, tout est gratuit et sans inscription, sous réserve de places disponibles.
L’ensemble sera ensuite disponible sur le site du CdF : http://www.college-de-France.fr

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