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Les aventures d'un ethnologue dans le grand monde

Retour vers l’avenir 17 Mai 2024


Je dis « notre » date d’apparition, dans la mesure où nous sommes, nous aussi, en 2024, des homo sapiens. Anatomiquement, nous sommes les mêmes. Les caractéristiques physiques d’un individu adulte du paléolithique ancien sont celles de nos actuels coureurs de cross-country. Ce n’est pas pour rien que nous-nous sommes retrouvés, pour l’essentiel à pieds, sur tous les continents sauf l’Antarctique.

Et, pendant 230.000 ans, nous ne sommes pas les seuls représentants du genre Homo. Il y a des contacts, des mélanges, des bébés. 1,8% de notre ADN provient de Néandertal, sans compter Denisova, Florès, et les autres.

Si nous voulons comprendre l’histoire humaine correctement, nous devons comprendre que nos ancêtres éloignés n’étaient pas différents de nous. Ils étaient intelligents, et, comme nous, ils ont fait du mieux qu’ils pouvaient en fonction du monde autour d’eux. Et, donc, nous ne sommes pas meilleurs qu’eux.

Je serais bien curieux de voir comment nous-mêmes, aujourd’hui, nous-nous en sortirions si toute la région de Campanie explosait. Un événement qui s’est produit sous les pieds des Italiens préhistoriques il y a 39.000 ans. C’est l’une des pires éruptions volcaniques, qui a formé sous l’actuelle ville de Naples le supervolcan des champs Phlégréens, qui n’est pas moins menaçant (la loi de Murphy, souvenez-vous !). La colonne de cendres s’élève à 40km d’altitude et, portée par les vents, retombe sur toute la méditérranée jusqu’en Russie centrale. Cet évènement majeur est une explication possible de l’extinction des 100.000 Néandertaliens.
Vers -34.000, nous-nous retrouvons donc seuls représentants du genre Homo.
Terminés, les bébés métisses. Notre stock d’ADN se stabilise, il ne sera plus jamais modifié par des apports autres.

Et il en a encore fallu des capacités physiques, et mentales, pour qu’homo sapiens croisse et s’épanouisse sur la planète toute entière.
Il a su croître malgré la Dernière période glaciaire qui surgit en quelques dizaines d’années : le niveau des océans baisse de 120 mètres, on passe la Manche à pieds, et on passe aussi à pieds de la Thaïlande à l’Indonésie. La calotte de glace épaisse de trois kilomètres descend jusqu’au sud de l’Angleterre et jusqu’à New-York. Les régions non recouvertes ont leurs sols gelés en permanence.
Et il a su croître encore, même malgré la fin de cette période, auquel il s’était finalement bien adapté. En effet, il avait su mettre à profit la couche de glace pour franchir l’actuel détroit de Béring, et investir le continent américain qui, jusque-là, ne connaissait pas les mammifères bipèdes.
La déglaciation prend huit mille ans. Le niveau des océans remonte de 120 mètres.
L’Amérique et ses habitants se retrouvent isolés jusqu’à la prochaine vague migratoire : les colons européens au XVIe siècle.

Au sortir de cette période de bouleversement climatique, la géographie devient plus accessible, ce qui induit de nouveaux bouleversements culturels, des gros.
En Europe du nord, les chasseurs-cueilleurs nomades sont rejoints par des gens qui domestiquent les bêtes et les plantes. C’est le Néolithique qui arrive, et beaucoup de choses vont changer, de la naissance des groupements urbains jusqu’à la physionomie des autochtones. En effet, jusqu’à il y a environ 7.000 ans, les populations locales avaient la peau brune et une fréquence insoupçonnée à avoir les yeux bleus. C’est l’arrivée massive d’une population d’agriculteurs provenant de l’actuelle Turquie et du Moyen-Orient qui a induit un éclaircissement de couleur de peau, par le métissage (encore).

C’est le moment de re-re-préciser : les races humaines, ça n’existe pas. Ce dont je parle n’est donc pas une modification des « races ». Les homo sapiens peuvent être plus ou moins chargés en mélanine, ils n’en restent pas moins des homo sapiens. Personne ne dit que vous avez changé de « race » après l’été, lorsque vous êtes tout bronzé.

Les caractéristiques comportementales d’homo sapiens sont encore les nôtres aujourd’hui (vu que nous sommes aussi des homo sapiens, vous suivez ?) : la pensée symbolique et sacrée, l’art, les techniques, les échanges et le commerce, les déplacements à longue distance, les négociations politiques, le soin médical.
Ce qui différencie les groupes et les sociétés humaines depuis tout ce temps, c’est leur manière d’incarner ces traits communs de comportements, par l’infinie variété des cultures.
De ce point de vue, une homogénéité culturelle, sociopolitique, ou quoi que ce soit d’autre, n’est même pas souhaitable, à commencer par le fait qu’il n’y a pas une forme de culture qui soit absolument meilleure que toutes les autres. Sinon, croyez-en homo sapiens, ça fait bien longtemps qu’elle aurait été trouvée, et adoptée.
Les « différences » en soi ne sont pas des incompatibilités, elles doivent être des complémentarités. Et si un tel arrangement n’est pas possible, nous avons inventé la guerre comme méthode ultime de résolution des problèmes (qui en crée d’autres, et parfois pires).
L’hétérogénéité des cultures est un gage de longévité à long terme. Car si chaque groupe avait fait strictement comme ses voisins, nous n’aurions pas survécu mille ans.

A l’échelle de notre espèce, cette capacité à modifier ce qui est considéré comme « normal » est un gage de survie. Car si malheureusement un groupe est en difficulté du fait de sa forme d’organisation, les autres ont bon espoir de ne pas subir le même sort car ils en ont une différente, ou ils peuvent en inventer une différente.

Le monde a encore énormément changé, bien sûr, plein de fois, et nous n’avons jamais cessé de nous adapter. Notre propre organisation sociale, aujourd’hui, ici, ou là-bas, n’est qu’une variante parmi des possibilités multiples, et, nous aussi, nous faisons de notre mieux, en fonction du monde autour de nous.
Demain sera encore différent, c’est une certitude. Ce n’est pas pour autant que ce sera moins bien. D’ailleurs, pour une part non négligeable, c’est à nous de choisir comment nous-nous adapterons.
Anthropologiquement, depuis 300.000 ans, nous n’avons pas cessé de le faire, et c’est la raison pour laquelle nous sommes toujours là.

 

La fin du design thinking ? 3 Mai 2024


Avec Laurent MARTY, nous avons eu une conversation sur le design thinking, sur la supposée fin du design thinking, sur ce qui fait l’esprit d’innovation, et tout plein d’autres choses passionnantes.
On vous en fait profiter, ici : https://www.linkedin.com/pulse/la-fin-du-design-thinking-laurent-marty-f1phc/

 

Inspiration estivale 1 Mai 2024


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Dans les temps anciens, le calendrier celtique était découpé différemment du nôtre, l’actuel grégorien.

Les saisons par exemple : l’été celtique allait de début mai à fin juillet.
Début août, techniquement, était donc déjà le début de l’automne. Vous y penserez lorsque vous viendrez en vacances en Bretagne « pour le 15 août »…
D’ailleurs non, ne venez pas. Il pleut tout le temps en Bretagne, c’est nul et il n’y a rien à y faire.
Surtout dans le Finistère. Ne venez pas.

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Le roi qui tomba de cheval en 1404 8 février 2024

Filed under: organisation,Recrutement,Société — Yannick @ 06:06
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En ce jour, huit février de l’année 1404, le roi de Corée Taejong (이단) tomba de cheval durant une partie de chasse.

Très embarrassé, il se releva, regarda autour de lui et ordonna qu’on ne laisse pas l’Histoire se souvenir de cette maladresse.

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King Taejong of Korea, who fell from his horse on 8th february 1404.

A sa grande déception, les historiens de la cour qui l’accompagnaient partout choisirent non seulement de décrire cette chute dans les annales de la dynastie Joseong, mais aussi de mentionner que le roi avait demandé que ça ne soit pas fait.

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Six-cent-dix-neuf ans plus tard, l’Institut National d’Histoire Coréenne maintient cet héritage pour la postérité.

Quand on prend conscience des efforts d’occultation ou de déformation que fournissent certains régimes politiques pour contrôler le passé, il n’est pas difficile de comprendre les enjeux liés à la manière dont l’histoire est collectée (d’abord), archivée (ensuite) et racontée (enfin). L’histoire est l’un des lieux intellectuels par excellence où se joue la recherche, la discussion, la transmission d’une vérité qui se doit d’être à la fois factuelle et honnête.

Et, en l’occurrence, les archivistes coréens sont des radicaux dans leur genre, depuis environ l’an 62 avant notre ère.

Il existe un récit où le roi Taejong (encore lui) se plaint (encore) d’un scribe qui s’était déguisé pour pouvoir l’espionner et constater de visu ses faits et gestes.

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Personne n’était autorisé à voir les archives du royaume, même pas le roi. L’un d’entre-eux essaya quand même et tua cinq des historiens dynastiques. Leurs collègues firent en sortent que ça ne se produise plus jamais, non pas en obéissant au roi, mais en interdisant la modification des archives officielles, qui devint un crime puni de mort.

Même lorsque des factions politiques rivales tentaient d’influencer les rédacteurs, ceux-ci notaient qui avait demandé quoi et notaient les révisions dans une autre archive. L’original restait ainsi distinct des autres.

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Ils faisaient également grand cas de ce que nous appellerions le back up de leurs données.

Il y avait quatre copies similaires et lorsque trois d’entre elles furent perdues dans les guerres d’Imjin, ils en firent cinq de plus pour être bien certains qu’un total de neuf copies ne pouvait pas disparaître totalement, surtout en étant stockées dans des lieux différents.

Un de ces exemplaires fut perdu lors d’une rébellion, un autre fut partiellement détruit lors d’une invasion, et l’envahisseur japonais en vola un qui fut transféré à l’université de Tokyo qui fut à son tour perdu lors du tremblement de terre de Kanto en 1923. Quarante-sept tomes des archives nationales coréennes furent préservés et restitués par le Japon en 2006.

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Désormais tout est disponible au format digital, traduit en coréen moderne, librement accessible par tout un chacun. C’est en ligne ici.

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Il en a fallu de la détermination, par des générations d’archivistes méticuleux, de copistes incorruptibles et d’historiens déterminés, et une administration soigneuse, pour rendre possible cette blague irrévérencieuse :

joyeux jour anniversaire au roi Taejong, qui tomba de cheval le 8 février 1404 !

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Mon train, ma crise 14 juin 2023


Le vendredi 9 juin 2023, la SNCF a connu un incident majeur sur les liaisons ferroviaires partant, ou arrivant, en gare de Paris Montparnasse.
J’étais dans la foule des anonymes qui se sont retrouvés coincés en gare.

-merci de noter que ceci n’est pas un post anti-SNCF.
Ce REX a vocation à faire en sorte que la prochaine fois, nous faisions moins pire, ou mieux. Si possible pas pire.-

Arrivé sur place vers 17h30, je me suis posé tranquillement dans un coin, tout en constatant qu’il y avait beaucoup de monde. Ce n’était pourtant pas un jour de grand départ en vacances ? Bizarre.
Après un moment, je me suis approché des voies pour vérifier d’où partirait mon train, et, là, je me suis retrouvé sous la zone sonore des haut-parleurs qui annonçaient un « problème électrique » et « des retards à prévoir ».

C’était donc cela, les crachouillis que j’entendais depuis le début, sans comprendre ce qui était dit.
La mauvaise sonorisation de la gare ne m’a pas permis d’être correctement informé alors même que j’étais déjà sur place.
(vous me direz : tu aurais pu te rapprocher des quais bien avant, crétin, et tu l’aurais eue cette information… Certes. Mais c’est le mode de fonctionnement normal d’une situation de crise, il faut considérer que tout le monde est diminué dans ses capacités, déboussolé, fatigué, pas attentif. En tant que crétin, je représente le niveau d’intelligence moyen)

En une heure, deux trains TGV sont partis de la gare, ce sont les seuls qui ont été annoncés avec la voix de « Simone« . Clairement audible, et suffisamment forte pour être entendue en surimpression des autres bruits de la gare.
Tous les autres messages étaient transmis par des vraies personnes, micro en main, gêne et stress dans la voix, et visiblement pas par le même circuit de haut-parleurs.

Au fur et à mesure que l’incident prenait de l’ampleur, les trains ne partant plus, les passagers s’accumulaient dans la gare. Et je veux dire partout dans la gare. L’escalier menant au Jardin Atlantique, sur le toit, était bondé. J’ai eu l’envie d’aller dehors prendre l’air… mais j’ai pensé que si je parvenais à sortir, il était bien possible que ne parvienne pas à revenir, compte-tenu de la foule.
Dans de nombreux endroits, il n’y avait pas la place pour s’asseoir, il fallait rester debout.
Quelqu’un a-t-il compté combien nous étions ? Dix mille ?

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Je n’ai pas eu le sentiment de dépasser le seuil des six personnes par mètre carré, zone de danger qui provoque les bousculades mortelles.
C’était un pur hasard -et une chance- car personne n’a semblé organiser la chose, afin qu’une bousculade ne se produise pas. Existe-t’il un système automatique de détection de la densité de la foule, pour éviter que le seuil potentiellement mortel de six personnes par mètre-carré soit atteint, ou dépassé ? J’ai un doute. Le risque de bousculade n’est qu’un exemple. La situation de crise doit considérer que la crise n’est qu’un risque. D’autres peuvent surgir. On appelle cela le risque de sur-accident et, croyez-moi, vous n’avez pas du tout envie que cela se produise.
C’est sans doute le point d’amélioration majeure qu’il faut signaler : la gestion de crise dans la gare et, plus généralement, pour les voyageurs en attente : j’y reviendrai ci-dessous.

Les heures passant, les écrans ont cessé d’afficher les retards en minutes, et des heures ont commencé à apparaître.

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Puisque la nature de l’incident était connue dès le début, quel était l’intérêt d’afficher des retards en minutes ? Une rupture de caténaire, c’est du lourd, au minimum trois à quatre heures d’intervention. Si le public est informé honnêtement, il peut prendre ses dispositions, à commencer par ne pas venir en gare. Ou aller s’acheter à manger pour le prochain repas. A l’inverse, ici, nous avons eu le sentiment d’une tentative de minimisation du retard.

Afficher la durée moyenne d’un incident, selon le type d’incident, est plus pertinent que d’afficher le retard probable au fur et à mesure qu’on reçoit l’information.


Certains commerces alimentaires en gare ont baissé leur rideau métallique à l’heure habituelle, 19h, d’autres ont poursuivi la vente, tant qu’ils avaient du stock à vendre.
Lorsque vous êtes immobilisé depuis des heures, l’impact psychologique de voir un rideau métallique se fermer n’est pas négligeable : ces gens-là partent, ils seront chez eux d’ici peu, et moi, personne ne se préoccupe de ma situation.

Pour ajouter à l’effet psychologique, les SMS automatiques s’accumulaient sur les téléphones. En cinq heures, j’en ai reçu vingt-et-un.

L’accès au(x) réseau(x), électricité, téléphone et internet, a permis de maintenir le lien entre les voyageurs et leurs proches, ou a permis d’accéder à une distraction bienvenue. C’est a minima un baume apposé sur votre stress.
En revanche, le réseau wifi public de la gare était inaccessible, je l’ai vu apparaître dans les « réseaux disponibles » sur mon téléphone vers vingt heures seulement. Et bien sûr, les batteries des appareils mobiles n’étant pas extensibles, les prises électriques de recharge devenaient une denrée convoitée.

D’une manière générale, la capacité d’auto-organisation, par les voyageurs eux-mêmes, a été remarquable. Voir les gens qui se parlent, le ton poli qu’ils adoptent, le fait qu’ils se dépannent, se prêtent des trucs, est un excellent indicateur (ou pas) de la solidarité collective qui règne. Une bonne illustration concerne le partage des prises de courant. Ceux qui arrivaient devant une prise déjà utilisée montraient que leur appareil était réellement à court d’énergie, batterie vide, et la personne présente avant eux leur cédait sa place.
Ailleurs, là où il n’y avait pas de prise accessible, j’ai personnellement dépanné deux personnes avec ma batterie externe (in Zendure i trust).
Cerise sur le gâteau, pour moi, mon téléphone était HS. Merci à la dame qui m’a prêté son téléphone pour que je passe un appel.


Vous n’avez aucune intimité. Grattez-vous le nez et tout le monde le verra. Mangez, vous mangerez en public. Si vous-vous déplacez, il vous faut embarquer tous vos bagages. Vous voilà confronté à l’expérience de l’exode. Vous êtes un nomade malgré vous, un réfugié. L’inconfort mental n’en prend que plus d’ampleur : vous évoluez dans une situation qui vous est totalement étrangère.
…et pendant toutes ces heures, la température ambiante était autour de 26 degrés. L’inconfort physique d’être immobile, debout ou assis, le brouhaha, le stress de vos voisins, la fatigue de la journée… tout cela est démultiplié par le fait que vous transpirez. Et ce n’est pas vrai que par temps chaud. Le froid génère le même sentiment d’être, à l’intérieur, aussi défraîchi que vos vêtements le sont à l’extérieur. Croyez-en quelqu’un qui aime l’hiver à Brest.
C’est donc aussi une expérience qui concerne toute votre personne. Corporelle, physique, mentale.

J’avais la chance de n’avoir que moi à m’occuper et de ne porter qu’un sac à dos moyennement lourd. Je l’ai déjà dit, et je le redirai : le voyageur heureux voyage léger.
Ce n’était pas le cas des gens voyageant avec des enfants, avec des animaux, ou ceux qui se retrouvaient dans l’obligation de gérer quelqu’un d’autre, loin, auprès de qui ils étaient censés déjà être. La force avec laquelle les gens s’agrippent à leur téléphone portable quand ils parlent est un bon indicateur de leur niveau de tension nerveuse. C’est comme ça que j’ai assisté au spectacle d’un papa en costume-cravate, parlant au téléphone avec son enfant, et lui expliquant où trouver la salade de riz et la vinaigrette dans le frigo familial.
Il n’était pas stressé par sa situation à lui, en gare, il était stressé par la situation de cet autre, lointain.
J’espère que sa batterie a duré encore longtemps.

Et durant toutes ces heures, la vie locale continue.
Des Parisiens traversaient la gare avec leur vélo… ou du moins ils s’engageaient pour le faire, se rendaient compte qu’ils ne pouvaient pas avancer, mettaient leur vélo au-dessus de leur tête et progressaient à travers la foule (avec précaution car il ne s’agissait pas de trébucher et de tomber sur autrui).
Davantage que les vélos (ou les trottinettes), le type de matériel que j’ai vu poser le plus de problèmes était les valises à roulettes.
La valise à roulettes est une plaie. Son usage n’est plus approprié quand il y a foule, et pourtant personne ne pense à rabattre le bras télescopique et à la porter à la main.
Dès lors, la personne qui vous suit se prend les pieds dedans quand vous ralentissez le pas. La personne qui va vous croiser doit recalculer sa trajectoire pour ne pas percuter cet objet traître qui vous suit à ras du sol. Quand vous tournez, elle tape les mollets, tibias, ou coins de murs. Elle fait tomber les valises immobiles des autres personnes. Elle se prend dans les sangles et les robes longues.
Toute file d’attente s’allonge proportionnellement de la distance de tous les gens qui traînent leur valise derrière eux.
…et leur utilisateur ne peut même pas s’en servir comme tabouret, car elles ne sont pas faites pour ça.
Au moins, pour ceux qui ne sont pas concernés, ça fait un spectacle amusant.

Vers 22h, il a semblé y avoir de l’animation. Des gens marchaient vite à travers la foule (ou essayaient de le faire). Il faut noter que le sentiment d’urgence n’était pas assez présent pour qu’il y ait une bousculade.
Puis, parvenus devant le quai (le n°7 si je me souviens bien), certains couraient comme des dératés et montaient dans un TGV.
Où vont-ils ? Est-ce qu’il s’agit de mon train ? C’est la question que dix mille personnes se posent simultanément.
Aucun affichage, ni aucun message sonore pour préciser la destination, ou les gares desservies. Une trentaine de voyageurs se sont engouffrés dans ce train. Le train est parti. Personne n’a su vers où. Je suis certain que certains voyageurs sont montés dedans sans savoir où ils allaient atterrir à l’arrivée.
Et les autres, comment ont-ils su ?!

C’est le moment où j’ai assisté à un esclandre : un voyageur s’est énervé face à un agent SNCF, pour lui intimer de dire où était parti ce train. Mais hélas, le personnel SNCF ne génère pas l’information utile par magie. Personne ne savait.
Attendre des heures, passe encore, hein. Mais si, en plus, les trains partent sans qu’on sache s’il aurait fallu qu’on soit dedans… les autres personnes alentour n’étaient pas suffisamment exaspérées pour que l’énervement d’un seul les contamine tous. N’empêche, cela aurait pu être l’étincelle qui met le feu aux poudres.
Pour autant, en six heures d’attente en gare, je n’ai vu que deux fois des gens crier, perdre leur sang-froid à juste titre, et s’énerver réellement. Et c’est un pur hasard que, finalement, tout se soit aussi bien passé. C’était une crise, pas une catastrophe. N’importe quelle perturbation supplémentaire aurait pu pousser la foule au-delà du supportable (le sur-accident, souvenez-vous). Car je suis convaincu que cela aurait pu être vraiment catastrophique. Le stress est très contagieux. La peur est hautement contagieuse. Et comme il n’y avait aucune gestion, par aucune figure d’autorité quelconque, cela aurait très bien pu se produire. La prochaine fois, peut-être ?

COJO 2024, ça vous concerne aussi.


J’attire ici votre attention sur le fait que de courageux agents SNCF étaient présents, (les « volontaires de l’information »)… et il leur en a fallu du courage, car ils en savaient aussi peu que tous les autres.
C’est en allant à tout hasard vérifier s’ils savaient quelque chose, devant le quai n°1, que je me suis rendu compte qu’il y avait un énorme stock de bouteilles d’eau offertes gratuitement. Et cinq policiers, juste à côté, qui étaient là pour… quoi ? Pour protéger l’eau ?
Personne n’était au courant qu’il y avait cette eau. Il n’y a eu aucune annonce.

C’est là que l’idée a germé en moi : les problèmes de circulation des trains sont une chose. Ça dure des heures et c’est un gros souci. La préoccupation d’informer les voyageurs est évidemment légitime -et requise- de la part de la SNCF.
Mais… mais, ce n’est pas ce qui compte quand vous attendez depuis cinq heures, le cul posé sur du béton. Vous avez besoin de constater que la situation est gérée, là où est posé votre cul.
C’est ce qui a manqué en ce vendredi 9 juin : l’organisation et la coordination de l’aide, en gare, ou dans les trains immobilisés. Distribution d’eau. De ration-repas. Accès aux toilettes. Soin psychologique de tranquillisation. Couvertures. Serviettes hygiéniques. Lingette et couches bébé. Gestion des situations individuelles d’urgence. Éventuellement actions de secourisme.
Quelque chose dont le centre de gravité consisterait à dire : Ecoutez, c’est le bordel, on est au courant. On n’en sait pas plus que vous sur les trains, mais on va faire en sorte que, ici, ça se passe le moins mal possible en attendant.
Les secouristes appellent cela les situations « à moyens dépassés » : agir pour gérer un pan de la situation, celle sur laquelle vous avez les moyens et les compétences pour agir. C’est précisément ce qui ne s’est pas produit. La SNCF, en tant qu’institution, ne sait visiblement pas faire cela. Et peut-être n’est-ce pas à elle de le faire. C’est le cœur de métier d’organismes comme la Croix-Rouge, ou de la Protection Civile, pour n’en citer que deux.

Bref, le sentiment d’abandon était palpable. Les voyageurs l’avaient, mais aussi les cheminots, balancés par leur propre employeur devant dix mille personnes, pour faire de l’information, alors qu’eux-mêmes n’avaient pas d’information. Leur seule option était d’appliquer la mère de toutes les procédures : la PBM.
Salutations à celui qui m’a avoué son impuissance d’un long regard entendu, en transpirant à grosses gouttes. Davantage que moi.

Le sentiment d’abandon allait donc croissant, renforcé par les différents magasins qui fermaient leurs portes au fur et à mesure que la soirée avançait. Et la lumière du jour qui diminue.
Nous avons commencé à penser qu’une nuit en gare n’était pas irréaliste.
Pour certains Parisiens venus prendre un train à Montparnasse, le demi-tour n’était plus possible, car leurs propres trains de banlieue avaient terminé leur activité pour la journée. Eux aussi se retrouvaient immobilisés.

Sur les écrans, le délai de retard pour les trains dépassait les trois heures.
La voix de Simone annonça un train en provenance Brest, arrivant en gare avec un retard de quatre heures. Applaudissements de la foule. Était-ce un soutien aux passagers qui arrivaient ? L’espoir que ce train serait le leur quand il repartirait ? Un sarcasme à l’égard de Simone ?
Toujours est-il qu’un trajet Brest-Paris dure six heures. Avec quatre heures de retard, ces voyageurs débarquaient donc après 10 heures dans un train. Il n’y avait personne pour les accueillir, pour une bouteille d’eau, ou pour je-ne-sais-quoi.
J’insiste sur le fait que, même si personne n’a besoin de rien, la simple présence de quelqu’un « au cas où » est déjà la preuve que l’institution qui vous a fait voyager s’est préoccupée de votre sort. Et eux, dans les trains, ils ont dû l’avoir ce sentiment d’abandon, de délaissement, de non-empathie…
Car le pire, en situation de crise, est le sentiment d’enfermement (réel ou imaginé). En gare, nous étions immobilisés. Mais la gare est vaste. C’est grand, il y a visuellement de l’espace et vous pouvez toujours sortir. Dans un train, c’est l’opposé. C’est dans les trains bloqués que la situation est la pire. Je serais bien curieux d’avoir l’avis de celles et ceux qui étaient dedans. Il y a eu environ quarante trains bloqués. Minimum 500 personnes par train, si c’est un duplex mono-rame. Le double, dans un duplex double-rame. Vingt à quarante mille personnes en rase campagne. Quarante trains, quarante équipes d’assistance auraient pu être dépechées vers eux par les organismes dont je parlais ci-dessus, guidés sur les emprises ferroviaires par des professionnels du train. Ça n’a pas été le cas.
L’étuve, peut-être l’absence d’électricité, le noir, peut-être pas de réseau téléphonique ou internet, peut-être pas de toilettes fonctionnelles, ni d’eau, ni de clim. La transpiration. Le CO2. Et des gens qui se mettent à avoir le souffle court. Qui paniquent. C’est dans ces situations que des passagers forcent l’ouverture des portes et descendent en pleine voie, parce que oui c’est dangereux, mais à leurs yeux, c’est moins pire que de demeurer enfermés.

Les heures passaient. Lentement. C’est étrange cette extensibilité du temps, quand on n’a pas envie d’être là. Certains s’extirpaient de la foule, dans le grand hall, pour se poser davantage à l’écart sur les quais le long des voies.
A cet endroit, il n’était plus possible d’avoir un contact visuel direct avec les écrans d’affichage -le doudou auquel chacun se rattachait jusque-là-. C’était le signe que ces personnes renonçaient à avoir une information rapide, ou une information tout court. Une réorganisation subtile se met en place : certains se positionnent pour dormir sur place. Et le fait est que tout a totalement été interrompu en gare Montparnasse à minuit, jusqu’à la reprise du service le samedi matin.

Et puis, miracle, un micro grésille. Votre train est annoncé. La totalité des passagers concernés siffle et applaudit et crie. Le soulagement.
Et deux fois 500 passagers se mettent en mouvement, un fleuve parmi la foule, sous les regards curieux des malchanceux dont le train n’a pas été annoncé. « Bon retour ! » « Merci ! » « Bon courage à vous ! » « Bonne nuit ! »

Vous montez dans votre train, après avoir vérifié la bonne destination et, par précaution, après avoir demandé confirmation à vos voisins. C’est le bon. On monte dedans. Expérience étrangement familière.
On ne s’attend plus à aucun standard habituel. Mettez-le en route, et on arrivera quand on arrivera. Finalement, c’est le standard minimal, celui qui compte.
Trois fois le départ imminent est annoncé. La quatrième fois est la bonne. Le paysage bouge derrière les vitres. On est partis.
Il y a des passagers assis dans les escaliers de la rame duplex, d’autres sont assis par terre. C’est la destination l’important, pas le fait d’avoir un billet en règle. Un jeune militaire avec son immense sac est allongé sur le sol. Il semble dormir déjà, la joue sur la moquette. Il a sans doute connu pire.

Courageusement, l’équipe de bord fait un passage dans les couloirs. Ce soir, ils ne feront d’action de contrôle des billets…
Leur présence rend visible le fait que les voyageurs ne sont pas laissés à eux-mêmes, contrairement à la gare. Personne ne fera de remarque désobligeante. Pour autant, il n’y aura pas la question « est-ce que quelqu’un a besoin de quelque chose ? ». Et, en voiture bar, il n’y aura rien d’offert.

L’annonce en cours de voyage fait rire tout le monde : heure d’arrivée à Nantes 2h15 du matin. Le train à destination de Pornic arrivera une heure après. L’autre train à destination des Sables-d’Olonne se détachera à Nantes et poursuivra son chemin pour arriver vers quatre heures trente.
C’est tellement grotesque que c’est drôle. Lorsque la chef de bord annonce les horaires, nous entendons, dans son micro, les autres passagers éclater de rire aussi.
Bon. On est dans le bon train, il est en route. Le reste… on n’est plus à ça près.

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L’heure qui compte : 1h21 du matin. Les autres horaires affichés sont ceux, théoriques, de votre voyage initial, qui vous rappellent à quel point vous êtes vraiment en retard.

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Et puis après un moment, le cliquetis du micro se fait à nouveau entendre. Il vous réveille.
Tout compte fait, le train sera terminus Nantes. Les passagers à destination de Pornic et Sables d’Olonne dormiront à Nantes dans une rame-dortoir.
Un message sans précaution. Dépité. La chef de bord elle-même a du mal à dire les mots. Elle n’est que la messagère, ce n’est pas elle qui est à l’origine de cette énième contrainte.
En France en effet, ce sont les régions qui sont les Autorités Organisatrices des transports. Et il se trouve qu’en région Pays de Loire, les circulations ferroviaires ne fonctionnent pas la nuit. En tant que voyageur impliqué, je reformule : cette nuit, même cette nuit, spécifiquement, personne n’a fait en sorte qu’elles fonctionnent. Bref. Le voyage ne pouvait pas se poursuivre.
Cet aménagement organisationnel et ce découpage administratif auront eu pour conséquence d’empirer la crise pour ceux qui la vivaient.
Vérification faite, le lendemain, tous ces gens auront passé la nuit, assis, dans une autre rame de TGV, et se seront fait sortir à 6h, car le train en question devait être mis en mouvement.
J’espère que quelqu’un a pensé à leur sécurité, la nuit, et à ne pas leur faire payer le petit-déjeuner.
A partir d’un poste de coordination de crise à Montparnasse, d’autres PC Crise auraient pu être activés dans toute les gares de France au fur et à mesure qu’y arrivaient (tardivement) des trains en provenance de Paris.
Dans les préfectures, ou les services administratifs régionaux, cette nuit-là, combien de personnes ont été réveillées et sollicitées pour « faire quelque chose » à ce sujet ? Il n’y a pas eu de coordination inter-services.

Donc, bon gré mal gré, vous arrivez à destination.
Au sortir du train, visages fatigués mais sourires et humour. « Bonne continuation » « Bonne nuit » « Bon courage pour la suite » « Après vous, je vous en prie, on n’est plus à ça près… »
Et vous-vous retrouvez sur le quai, seul avec tous les autres, sans personne pour s’enquérir de vos éventuelles urgences, sans personne pour vous remettre un dépliant avec l’adresse internet de la « garantie G30 », ou une bouteille d’eau, ou, un bon de prise en charge par un taxi.
Depuis le début, le sentiment d’abandon était présent, il se confirme dans ces dernières minutes en gare. L’absence d’empathie de la part de toutes les institutions concernées vous laisse un goût amer, parce que si c’est arrivé ce soir, c’est que ça se reproduira. C’est un problème d’organisation, pas de technologie.
Vous rentrez donc chez vous comme vous pouvez (et si vous pouvez), une douche, et dodo.

Le lendemain, vous fouillez sur internet pour demander le remboursement de votre billet de train. Vous n’avez pas reçu un texto pour vous simplifier la tâche.
Vous tombez sur une page du site web SNCF, qui vous renvoie vers un chatbot, qui lui-même vous demande niaisement : « Dites-moi quel est l’objet de votre visite, ou laissez-vous guider par les boutons ci-dessous ».
Dis-donc bonhomme, t’es pas au courant ? Il faut en plus que je te dise pourquoi je suis là ?! C’est la cerise sur le gâteau, en termes d’expérience utilisateur. Je l’ai dit et je le redirai : l’UX, ce n’est pas que les écrans. Loin de là, même.
…et dans la mesure où chaque billet TGV est nominatif, l’entreprise ferroviaire sait déjà qui a acheté un billet. Le remboursement pourrait être automatique, avec un mail de confirmation qui vous en informe.
Ça ne sera pas le cas. Et personne ne s’enquerra des dépenses supplémentaires, et annexes au voyage, que vous auriez pu engager lors de cette mésaventure.

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Lecture d’hiver : L’incident Grajagan 2 décembre 2021

Filed under: organisation — Yannick @ 16:09
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« Ce n’est pas tous les jours que quarante-six otages prennent les armes contre une unité combattante de l’État islamique en Orient.
Dans ce maelström, quelles étaient les probabilités qu’un surfeur désœuvré devienne le compagnon de route d’une comtesse, secouriste de guerre, bien déterminée à faire traduire le responsable de leur calvaire en justice ?
Des Philippines à la pointe du Raz, ce roman fait voler en éclats les stéréotypes et questionne les multiples fanatismes qui font notre actualité.
Terrorisme religieux, capitalisme prédateur et surveillance généralisée, à commencer par celle que la France veut mettre en place, puisqu’elle vient d’élire un président d’extrême-droite…
Ce sont des années folles.
Bienvenue au XXIe siècle. »

 

 

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La naissance du masque 21 avril 2020


Dans la continuité de la pandémie de covid-19 et ses effets inattendus, ouvrons le chapitre « comment naissent les styles ». C’est une nouvelle branche de l’industrie textile qui apparaît en temps réel : Le Masque.

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Si nous avions eu une réelle politique de santé préventive, les capacités de test du covid-19 auraient été suffisantes pour identifier et tester tous les malades puis les isoler un par un et nous n’aurions pas connu d’épisode de confinement général.
-répétons ici que le confinement général n’est pas et n’a jamais été une solution sanitaire, c’est une solution politique qui démontre une absence de recours sanitaire-

Si le volume de masques sanitaires avait été suffisant, par milliards à l’échelle d’un pays comme la France, nous en aurions tous été systématiquement équipés et son port aurait été rendu systématique dans l’espace public, notamment en milieu intérieur.
Mais même cela, nous n’en étions pas suffisamment équipés au printemps 2020. Le masque standard (jetable) s’avéra être une denrée rare et les stocks disponibles furent légitimement réquisitionnés en premier lieu au profit des travailleurs de la santé ou plus généralement vers les métiers en contact avec le public.

Pour le reste de la population, restait le recours à l’improvisation pour se faire son masque à base de tissu (réutilisable) déjà présent chez soi. L’activité devint presque un hobby en matière de détournement d’usage, certains retaillant des écharpes, d’autres des soutien-gorges, d’autres des foulards ou des manches de pull.
-et on se se serait bien moqué de celui qui nous aurait dit qu’il y aurait bientôt des gens qui porteraient en public des bonnets de soutien-gorge sur le visage pour se protéger d’un virus-

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La tendance s’associe à celle du Do It Yourself.
Avec plus ou moins de succès, les avant-gardistes du DIY s’investirent donc pour créer leur masque personnel artisanal dont les effets sanitaires ne sont pas parfaitement garantis c’est le moins qu’on puisse dire… mais pour lequel on peut convenir qu’il vaut sans doute mieux quelque chose plutôt que rien. De fait, le virus est assez petit pour passer les mailles du tissu mais il n’en reste pas moins que le tissu peut stopper les micro-projections qui portent le virus.
Car, redisons-le, un virus ne « circule » pas, ce sont les gens qui le transportent avec eux et contaminent autrui. Porter un masque sert donc d’abord à protéger les autres de tout ce qui peut sortir de notre bouche ou de notre nez. Avec ça et des mains propres, la contamination chute drastiquement et c’est tout ce qui importe.

Mais l’individualisation a d’autres qualités. Elle permet de domestiquer un objet qui est habituellement associé à un environnement dangereux. On ne fait pas que décorer un bout de tissu, on le rend familier. On diminue la charge symbolique d’un artefact qui signale des conditions d’existence inquiétantes pour une durée qui reste inconnue, dans un monde bien incertain.
L’individualisation esthétique des couvre-visages permet un processus mental prophylactique. Réfléchir à la couleur ou à la matière ou à la manière dont on va vivre avec permet de se projeter dans ce nouveau monde,  avec des attributs culturels qui nous appartiennent.

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En renfort à ce besoin profond de familiarisation, les professionnels de l’industrie vestimentaire  permettent d’ajouter une vraie qualité de coupe, de logotypage, d’inserts pour filtre FFP2 ou 3 et autres élastiques tressés ou indéchirables.
Si une large part de la population reste encore dubitative, lorsque la pression sociale sera assez forte pour vous faire sentir mal à l’aise sans cet artifice en public, vous y viendrez aussi (sans compter l’amende pécuniaire lorsque c’est réglementairement obligatoire). Et les marchands vous fourniront alors de quoi vous équiper avec un foisonnement de personnalisations possibles, exactement comme nos tee-shirts ou nos chaussettes.

Progressivement donc, Le Masque devient un effet personnel à part entière. Seul l’avenir pourra dire si un vaccin fera disparaître cette tendance vestimentaire en même temps que la menace.

Et c’est très, très horripilant de se dire qu’il faudra attendre un vaccin pour mettre un terme à la menace de reconfinement local puisque nous n’avons pas de solution intermédiaire satisfaisante.
Il faut qu’un « cluster » soit identifié pour lancer un campagne de tests massive sans possibilité d’agir de manière plus diffuse, avant que le mal ne soit installé quelque part.
Pourquoi la médecine du travail n’est-elle pas équipée abondamment de tests de dépistage du Covid-19, ou la médecine scolaire, ou les pharmaciens, les cabinets médicaux et d’infirmiers ?
Quand aurons-nous une politique de santé préventive ?
Mais d’ici-là…

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Would we have had sufficient numbers of individual tests the general lockdowns wouldn’t even exist. Would we have had enough facemasks to protect whole populations against covid-19, we would all carry them without thinking twice. But there aren’t. The social pressure will constraint everyone to carry « something » akin to a sanitary mask. But a mask is not just a neutral artefact, it’s a personal symbol, it needs to be familiarized because we need to lower its threatening charge, as it represents a new and somewhat hostile environnement. The Mask is becoming a new branch of the garment industry, maybe even to outlast the delivery of a vaccine.
Because it seems that we will never have sufficient numbers of individual tests either.

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Travailler sur les insights ethnologiques en temps de pandémie 18 mars 2020


[English version – version anglaise : https://www.linkedin.com/pulse/working-ethnographic-insights-times-pandemic-yannick-primel ]  

De nombreux spécialistes en sciences humaines peuvent contribuer utilement, face à la pandémie de covid-19.

Si vous n’avez pas déjà des compétences immédiatement utilisables pour être embarqué(e) dans la gestion officielle de la crise, vous pouvez fournir la sensibilité culturelle pour aider à mieux adapter les politiques publiques aux contextes sociaux.

Il est aussi possible d’informer les décideurs à tous les niveaux en contribuant au débat sur la perception et l’état d’esprit local des populations; ou montrer les limites et les conséquences indésirables de mesures de santé publique qui seraient appliquées sans se préoccuper de leur acceptabilité sociale; voire parler haut et fort contre l’abus des stéréotypes culturels comme une soi-disant explication aux comportements, tout spécialement pour éviter l’ostracisation.

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Les sciences sociales en général et l’ethnologie en particulier peuvent apporter un ensemble d’expertises uniques afin d’informer les décideurs et renforcer le débat public :

– S’assurer que les interventions de santé publique sont localement pertinentes, du point de vue des populations locales : comment développer l’observance et la confiance envers les mesures officielles ? Cela implique de ne pas demeurer au niveau national mais à descendre vers la granularité du quartier dans une ville ou de l’aile d’un bâtiment dans un hôpital.

– Améliorer ou soulager la sur-réaction médiatique; la peur du geste médical; la peur d’une implication de la police ou de l’Armée; la peur des revers économiques; les conflits entre la représentation mentale médicale ou populaire de la maladie.

– Appliquer une analyse rigoureuse et un esprit critique sur les politiques publiques dans le but de les améliorer, comme retour d’expérience.

Focus sur l’après-crise :

– Conséquences collectives sur les représentations, en lien avec les solidarités ‘horizontales’, la notion de santé familiale, les pratiques d’hygiène quotidienne, les croyances.

– Combattre l’ostracisation et les effets contre-productifs des politiques de ‘reconstruction’ et redressement économique.

-Améliorer la guérison sociale et l’adaptation des politiques publiques vis-à-vis des survivants, des patients encore traités ou des populations autrement affectées (personnes n’ayant pas été malades, familles, voisinages, personnes sans emploi suite à la pandémie).

-Fournir des descriptions épaisses décrivant la manière dont les représentations ont été modifiées (ou pas) suite à la crise. Quel genre de modifications ? Pour quelles conséquences envisageables ?

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…et maintenant remontez vos manches. Et lavez-vous les mains.

#épidémie #pandémie #coronavirus #covid-19 #crise #santé #ethnologie #gestiondecrise #politiquepublique

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Millennials, digital natives (et autres foutaises) 7 juin 2018


.La puissance des préjugés et des idées reçues est souvent largement sous-estimée.

Il existe ainsi de nombreuses catégories qui nous permettent de ‘lire’ le monde alentour mais qui, après examen, s’avèrent totalement infondées. Ainsi, certains croient que la Terre est plate, d’autres que les Millennials existent pour de vrai.

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De nombreuses publications ont popularisé cette manière de qualifier les différentes générations par des traits de caractère typiques, afin de diffuser des messages commerciaux censés les attirer vers tel ou tel produit.
En suivant cette logique erronée (comme toute théorie à usage marketing), si vous êtes né le 31 décembre 1979 vous faites partie de la Génération X et vous-vous démarquez par un comportement généralement sceptique, pragmatique et démotivé. Si vous êtes né un jour plus tard, le 1er janvier 1980 on vous assigne à la catégorie des Millennials (ou Génération Y), ce qui est censé faire de vous quelqu’un de narcissique, technophile et optimiste.
En tenant compte de ces traits de caractère il serait alors possible de concocter des messages à destination de ces populations …messages qui tomberont systématiquement à plat en termes d’âge.

Car ce n’est pas le calendrier qui commande notre familiarité avec une technologie ou les valeurs auxquelles on adhère, c’est l’environnement familial, l’histoire personnelle, l’éducation et notre position dans l’échelle sociale.
Quelqu’un né en 2001 dans le XVIIe arrondissement de Paris fait bien partie de la même génération que quelqu’un d’autre né la même année dans la cité des Izards à Toulouse, mais ce n’est sûrement pas la date de naissance qui permet de trouver leurs points communs en termes de comportement ou de préférences.

Émettre des théories et proposer des plans d’action sur le seul critère des différences générationnelles, c’est créer des stéréotypes. Et les stéréotypes, c’est mal.

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Ces stéréotypes pour fallacieux qu’ils soient, n’en ont pas moins un effet réel parce que les décideurs ont l’illusion de connaître « le marché ». Des décisions sont prises en se référant à une réalité qui n’existe pas. Des produits et des sites web sont créés sur la base de ces catégories imaginaires  (demandez à  Joon), ainsi que des politiques publiques ou même des stratégies d’innovation tout entières.
Mais l’innovation ne se base pas sur des croyances et aucune étude sérieuse ne corrobore l’idée que le critère générationnel est pertinent pour déduire des caractéristiques culturelles.
Si vous voulez connaître vos clients il faut cesser de croire et aller constater en direct, sur le terrain. Bienvenue dans le monde merveilleux de l’expérience utilisateur.
Là, des spécialistes (des vrais) pourront démontrer que non, l’âge n’est pas un critère valide pour identifier les préférences des utilisateurs d’iPhone rose, d’Instagram ou de chaussures New Balance vertes. Parce que effectivement, un utilisateur technophile aujourd’hui a de fortes attentes quant à la qualité de ce qu’on lui propose -et ce qu’on lui propose est branché à l’internet. Les digital natives le sont parce que l’état des technologies à leur époque ne leur laisse de toute manière pas le choix, pas plus qu’aux autres classes d’âge. Si nous avions été en 1986, cette description aurait très bien convenu à un utilisateur chevronné du magnétoscope ou du lecteur CD. L’aisance qu’on a avec un outil n’est pas liée à l’âge, elle est liée à…l’aisance qu’on a avec l’outil.
Car 12, 22, 52 ou 72 ans… quelle importance ?

On ne construit pas une stratégie d’innovation, ni des profils d’utilisateurs, sur une base générationnelle.
Et les valeurs communes entre une marque et ses utilisateurs n’ont rien à voir avec une unique tranche d’âge.
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Bien sûr les « générations » existent. En démographie on appelle ça une cohorte de naissance : un groupe d’individus ayant la même année de naissance. Notez bien que c’est le seul point commun de tous ces gens : l’année de naissance.
Mais il n’y a là rien qui fasse d’une génération un ensemble homogène en termes de valeurs, de préférences ou de pratiques. Les communications qui s’adressent aux 15-25 ans, finalement, cachent assez mal l’idée que la cible réelle est la population des jeunes riches : c’est la population que les entreprises souhaiteraient avoir dans leur fichier client.

Les généralisations abusives et le simplisme ne sont pas vos amis, pas plus que le recours aux boules de cristal ou la divination par les os de poulet. Nous devrions être hautement suspicieux de ce genre de platitudes démographiques.
Et pour ceux/celles d’entre vous qui tentent malgré tout d’y voir clair en identifiant qui, quoi, comment, pourquoi se produisent les différences générationnelles; je vous invite à prononcer la formule magique : quelles sont les preuves ?

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En réponse à cette question… vous constaterez que l’édifice s’effondre, comme c’est le cas en général pour les foutaises du management.

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Des objets à commander 9 avril 2018


Les modèles de conception appliqués au digital ont permis l’essor de méthodes collaboratives qui nous éloignent toujours un peu plus de la théorie du One best way de Fayol, Taylor et Ford.
Du reste, s’il y a bien une leçon à retenir des travaux de recherche en organisation c’est que le one best way n’existe pas. Il n’y a pas un modèle d’organisation meilleur que tous les autres : il n’y a que des modèles d’organisation adaptés à leur contexte.
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De ce point de vue, l’ingénieur en chef enfermé dans son Bureau des Études se révèle être de plus en plus une vue de l’esprit. Il n’est pas seul, il ne peut pas travailler seul, il ne peut que négocier ses contraintes avec les contraintes des autres parties-prenantes d’un projet à commencer par les utilisateurs et leur contexte d’usage. L’intérêt des méthodes collaboratives -et en premier lieu du design thinking- est que la prise en compte du contexte fait partie de la méthode. Ce n’est jamais une garantie de succès, mais c’est très certainement la garantie que vous éviterez de faire des erreurs grossières par manque de prise en compte de la réalité dans laquelle votre projet va se déployer.

Les configurations techniques sont désormais assumées comme des constructions collectives . C’est un mouvement qui concerne les ‘artefacts’ au sens large : ça a commencé par les objets matériels mais les services et les décisions politiques sont aussi concernés. Avoir le grade ou le statut n’est plus suffisant pour être légitime à décider, il faut aussi avoir le consensus et ce consensus se crée par la prise en compte du contexte.

Les implications sont vastes et je limiterai ici mon propos au monde matériel, celui de l’interconnexion généralisée dans l’internet des objets (IoT).
Une gamme d’objets étonnamment vaste est maintenant connectée à l’internet, des vêtements aux montres en passant par les éléments de mobilier, les machines-outils, les jouets, les chaînes logistiques ou les voitures… ou même des smart villes. Ces bidules sont de toutes formes et de toutes couleurs –certains n’ont même pas d’écran de commande et c’est bien l’enjeu de l’IoT : ce sont les objets qui communiquent entre eux et qui s’informent les uns les autres de leur état réciproque pour s’adapter à la situation, sans avoir besoin d’un homo sapiens pour interagir en permanence. L’intervention humaine lorsqu’elle se produit est seulement ponctuelle alors que les objets ont une communication permanente.
Le fonctionnement des ‘couches basses’ fait appel à des algorithmes, des liaisons RFID, des capteurs d’usure installés sur les freins des trains ou un lecteur d’empreintes digitales sur la porte de chez vous… à ce stade, l’humain sur son tableau de contrôle ne voit qu’une partie de la réalité du système, un abrégé, la synthèse de multiples étapes qui se déroulent entre machines, hors de vue et hors de portée.

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Où est le besoin d’une construction collective ici, puisque précisément les objets fonctionnent en autonomie ?

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Ce fonctionnement automatisé pose une première question pour l’observateur du système (le technicien superviseur par exemple ou le/la chef de famille), comment sait-il si les objets sont en train de se causer dans une usine, ou un domicile ?
Comment puis-je savoir que mon Google Home ou Microsoft Alexa est en train d’écouter les différentes voix qui se parlent dans ma cuisine et transmet quelque chose aux serveurs Google ? Comment savoir que mon compteur de gaz est en train de transmettre des données à mon fournisseur d’énergie, et quelles données ? Comment savoir que le bus n°56 est effectivement en train de transmettre sa position GPS exacte au centre de supervision ?
Il y a un premier besoin de design d’interface au niveau des transmetteurs pour matérialiser la transparence du système technique envers l’environnement humain. Lorsque les machines se parlent, a minima, elles doivent le signaler en temps réel. Sur l’objet connecté lui-même cette fonction se double par l’enregistrement de logs qui stockent l’ensemble des données brutes de ce qui est transmis et reçu -et en provenance et à destination de qui.
A mon humble avis, elles devraient être accessibles au moins en lecture seule par l’utilisateur. Après tout, ce sont ses données à lui.

Car je l’ai déjà dit et je le redirai : la limite ultime d’une technologie réside dans sa capacité à faciliter ou permettre l’existence d’une dictature. Les enjeux de transparence dans l’IoT n’ont rien d’une option cosmétique, ils servent à tracer cette limite.
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… avec cet argument en tête, je vous invite à relire le rapport du député Vilani Donner un sens à l’intelligence artificielle.
Page 35 :  « L’État doit également organiser l’ouverture au cas par cas de certaines données détenues par des entités privées, et favoriser sans attendre les pratiques de fouille de texte et de données. »
Une phrase comme celle-là devrait tous nous réveiller la nuit, parce qu’elle n’est associée à aucune possibilité de contrôler ce qui est fouillé par l’État et encore moins de débrayer le système ou de refuser d’y participer.
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Le second besoin en termes d’interface pour l’utilisateur du système est la qualité explicative du système décisionnel : comment l’opérateur peut-il comprendre la logique qui mène à un certain résultat ? Les interfaces spécifiques de l’IoT sont à peu près comparables à des télécommandes, mais évolutives en fonction des situations, grâce aux algorithmes et peut-être un jour grâce à de l’intelligence artificielle.
A partir de quel seuil apparaît par exemple une alerte orange ? Lorsqu’il faut agir immédiatement pour éviter une explosion ou lorsqu’il faut commander une soupape de rechange qui arrivera dans trois jours ?
Quels types d’action sont demandés à l’opérateur humain et pourquoi ?
Le système technique lui-même doit pouvoir s’expliquer et justifier de son fonctionnement : il devient un acteur à part entière du système relationnel… relisez la théorie de l’Acteur-Réseau.

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Les objets à commander dans l’IoT peuvent être répartis dans le monde entier, par milliers, mais le panneau de supervision est juste là, dans votre smartphone personnel ou sur votre ordinateur professionnel (ou l’inverse)… et bientôt en réalité virtuelle ou augmentée.
L’interaction des humains avec le système technique nécessite à ce titre davantage de prise en compte des utilisateurs puisqu’il faut intégrer dans l’interface l’absence d’objet, l’absence d’indice direct qui permettrait d’interpréter ce qui est affiché.
Les designers vont collaborer avec les ingénieurs et les concepteurs produit pour leur faire comprendre que tout ce qu’ils sont en train de faire devra être utile à l’utilisateur avec une certitude absolue, par exemple pour ouvrir la porte d’entrée de son domicile, ou interpréter correctement le niveau d’usure du système de freinage d’un train.
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Industry 4.0 concept .Man hand holding tablet with Augmented reaLes applis de supervision de l’IoT ne sont pas soumises aux mêmes objectifs que les applis habituelles pour le grand public. On cherchera à faciliter la prise de décision grâce à quelques écrans qui synthétisent l’état d’un système complexe et ce domaine est plus proche de la maintenance industrielle que du loisir interactif.

Vous pouvez passer des heures sur Instagram en supportant quelques boutons mal faits, mais si vous devez piloter à distance des machines de 500 kilos ou confirmer que le gaz est bien éteint chez vous, le niveau d’exigence dépasse le sens commun… sans parler de l’opérateur d’une escadrille de drones autonomes en opération au-dessus d’une grande métropole.

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Les critères UI de base restent pourtant bien les mêmes (utilisabilité, simplicité, découvrabilité) que pour n’importe quel design d’interface, mais les conséquences de l’usage pourront être constatées dans le vrai monde avec une porte qui se déverrouille pour laisser entrer les enfants après l’école ou un train qui s’arrête au bon endroit –ou pas.

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Avec ces conséquences immédiates et très concrètes, la prise en compte de l’utilisateur réel, dans son contexte d’usage devient encore plus cruciale pour éviter les contresens, les erreurs de manipulation et, potentiellement, les catastrophes à grande échelle « simplement » parce qu’une interface ou un algorithme de prise de décision était mal conçu.
Somme toute, si vous êtes déjà dans le domaine du design UX et de la conception système, le travail appliqué à l’IoT est très comparable à ce que vous connaissez déjà…  les aléas, eux, se paieront cash et ne seront pas cantonnés au périmètre du digital (illustration ci-dessous). Dans l’IoT, le mauvais design d’interface et des architectures d’information mal exécutées provoqueront davantage que de la frustration, de l’énervement et des migraines de l’utilisateur. Puisque la prétention de l’IoT est d’activer des liens entre le digital et le monde réel, dans les cas les plus extrêmes une mauvaise conception du côté du digital coutera de vraies vies dans le monde réel.

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Du test utilisateurs avec 5 personnes 24 janvier 2018


Un fameux article publié par Jakob Nielsen en 2000 affirmait que 5 utilisateurs sont suffisants pour identifier en quantitatif la majorité des problèmes d’utilisabilité sur un objet particulier, réel ou virtuel.
Au-delà de cinq, il n’y a plus besoin d’ajouter des utilisateurs-testeurs encore et encore, « parce que vous retrouverez les mêmes problèmes encore et encore ». L’article explique clairement que lorsque 12 personnes sont impliquées dans un test, vous parviendrez à trouver presque 100% des problèmes d’utilisabilité.

Mais l’objectif des tests utilisateurs n’est pas nécessairement de couvrir 100% des problèmes. Il est aussi possible (et préférable) de limiter le périmètre à tester et se concentrer sur un élément précis, par exemple le processus d’achat en ligne, ou celui de la résiliation ou encore plus concrètement l’utilisation d’un nouveau type d’extincteur, ou la procédure de fixation d’un siège enfant dans une voiture.
Il s’ensuit qu’au lieu d’en recruter 12, on peut se limiter à 5 utilisateurs au minimum dans la mesure où, si ces 5 personnes sont toutes confrontées au même problème, on peut en déduire avec 90% de certitude que c’est un problème qui touche au moins 71% de la population en prenant, en termes statistiques, la limite inférieure de l’intervalle de confiance binominale.
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Ces chiffres sont valables quelle que soit la taille de la population totale considérée.
Vous pouvez par exemple tester votre process d’achat en demandant à 5 utilisateurs d’aller sur votre site web et d’acheter un nouveau tee-shirt (avec de l’argent que vous leur aurez donné). En termes de proportions et de représentativité de ces cinq personnes, les résultats seront valables aussi bien si vous avez 20 millions de visiteurs mensuels (Amazon France) ou 150 (le-club-de foot-du-quartier).

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Dans un article non moins fameux publié 12 ans après, Nielsen poursuit son argumentation en s’appuyant notamment sur 83 cas d’études menés par son entreprise où effectivement 5 utilisateurs-tests suffisent en moyenne pour atteindre le meilleur ratio coûts/bénéfices.

Mais… les critiques ne manquent pas… d’abord parce que :

Vous ne savez pas si vous avez identifié au moins 71% de tous les problèmes, ou juste 71% des problèmes les plus évidents (pas forcément les plus graves).

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La littérature spécialisée a également beaucoup étudié la question et les réponses ne se sont jamais très éloignées des « 5 utilisateurs de Nielsen » comme le standard minimal de l’UI (User Interface).
Jakob Nielsen n’a jamais dit autre chose d’ailleurs, ni jamais affirmé qu’il ne fallait pas recruter 6 ou 12 ou 15 utilisateurs selon le contexte et l’objectif visé par l’étude.
Une chose intéressante à noter est que, souvent, le client qui mandate une campagne de tests, s’il est assez riche pour payer un nombre important d’utilisateurs-tests, ne le fait pas pour augmenter la fiabilité des résultats…mais pour se rassurer. Un peu comme les gens qui achètent un couteau suisse à 18 lames tout en sachant qu’ils en payent 16 de trop puisqu’ils n’en ont réellement besoin que de deux.

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Au-delà du seuil minimum d’utilisateurs-tests, la vraie question qui émerge du débat critique est : avez-vous un processus itératif qui vous permette de vous améliorer en permanence ?

Alors effectivement, l’hypothèse de départ et l’affirmation de Nielsen peuvent être reformulées : 5 utilisateurs sont un nombre suffisant pour mettre en place un processus de tests pertinent sur la longue durée. A ce stade en effet, il est beaucoup plus efficace de mettre en place une phase de tests régulière avec cinq utilisateurs, plutôt qu’une unique campagne de tests avec quinze personnes (ou 30, ou 50).

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Mais bien sûr, n’oubliez pas que vous n’êtes en train de faire « que » du test quantitatif. Ça ne vous apportera donc que des réponses liées à l’objet testé et non à l’expérience vécue (UX : User eXperience).
Si vous demandez à 5 utilisateurs d’acheter un ticket de RER pour aller de la gare Massy-TGV à Paris, vous aurez un test qui porte sur l’interface des bornes d’achat qui, techniquement et ergonomiquement fonctionnent très bien.

Vous allez donc rater le problème majeur (en date du début d’année 2018), qui est que 2 uniques bornes RATP sont disponibles en gare, pour accueillir les 1.200 voyageurs qui débarquent d’un TGV Ouigo et qui mettront plus de temps à attendre leur tour dans la file devant la borne qu’à faire leur trajet tout entier. A ce stade ils haïront tous votre interface, vos tarifs, votre marque, vos employés et vos produits mais pas à cause de l’interface, à cause du nombre de bornes…

Et ça les copains, il n’y a que le qualitatif qui pourra vous l’expliquer.

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interview à l’École de design de Nantes 4 décembre 2017


Dans le cadre de la mise en place d’une nouvelle formation « Observation des usages » j’ai été reçu à l’École de design de Nantes pour une interview sur ce sujet d’études étrange et iconoclaste…
Profitons-en pour signaler que ce module de formation continue est désormais en fonctionnement et les réservations vous sont ouvertes :

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Propos recueillis le 14 novembre 2017.
Après l’ère du tout technologique, de plus en plus d’entreprises et de collectivités reviennent aujourd’hui au début de tout produit/services : leur utilisateur. Pour cela, il convient de bien l’observer pour analyser son comportement, ses prises de décisions et actions. Pour accompagner ce changement, L’École de design met en place un nouveau module de formation continue « Mieux observer ses usagers ».
Description de cette formation avec son animateur, Yannick Primel, ethnologue et expert UX.

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Pourquoi ce retour à l’observation des usages ?

Yannick Primel :
Beaucoup de projets s’attachent à livrer un produit fini qui fonctionne parfaitement, en laissant les utilisateurs se dépêtrer avec les contraintes techniques ou les incohérences de procédure.
On constate cependant aujourd’hui que la valeur ajoutée n’est plus dans la technologie mais dans la prise en compte de l’usage, dans la manière dont on configure un produit pour faciliter son emploi. Que le produit fonctionne techniquement, c’est la moindre des choses. Mais correspond-il vraiment à l’usage précis que j’en fais, là où je l’utilise habituellement ? Pour répondre à cela, il faut revenir au fondamental : l’utilisateur. L’observer, analyser son pourquoi et son comment dans la vraie vie, c’est de là que vient l’expérience utilisateur (User eXperience).
Quelque part, c’est une forme de respect qui s’était perdue envers le client ou le citoyen.

Une manière courante de concevoir un produit ou un service est de faire appel à des représentants ou des experts qui vont parler au nom des utilisateurs, c’est ainsi qu’on croit les connaître.

Mais qui a réellement été voir l’utilisateur ? L’observation UX vise à combler ce fossé entre la croyance et la connaissance avérée.

Il faut accepter que ce qu’on va observer ne va pas forcément correspondre aux représentations qu’on avait jusque-là. Accepter de changer ce qu’on fait parfois depuis des années pour mieux coller à la réalité est un point fondamental de l’UX.
Ainsi, c’est le besoin pratique qui dicte la configuration technique à adopter et non plus l’inverse.

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Qui doit observer ses usagers ?

Yannick Primel :
Celui qui va sur le terrain !

Entreprises privées ou collectivités, les décisionnaires (dirigeants, chefs produits, responsable innovation, directeur de services…) vont influencer la stratégie globale de la structure en acceptant que l’observation devienne un prérequis indispensable.
Avec l’UX on arrête de supposer, on va vérifier.
Cet élan vers le design de services et l’UX peut être illustré notamment par les banques. Certaines ont même racheté des agences de design pour évoluer. Elles ont accepté de revoir leurs produits dans la perspective de profits durables, si j’ose dire, en tout cas fondés sur une réalité pérenne (le groupe BPCE et ING Direct par exemple). Moins figées dans leur contrat que les assurances par exemple, elles ont commencé à se questionner sur la pertinence de leurs produits par rapport à un client-type imaginaire.
Pour le service public, deux extrêmes me viennent à l’esprit : la transformation particulièrement efficace du Ministère des Finances et au contraire le drame du RSI, qui a connu une forme de suicide par l’absence totale de prise en compte des besoins utilisateurs.
L’observation directe est donc la 1ère étape de la démarche de Design Thinking. Elle constitue la phase de découverte, la pointe de son double diamant. L’observateur est celui qui va percer la réalité de ce qu’on cherche à comprendre.
C’est le pied à l’étrier pour la structure prête à opérer son changement grâce au Design Thinking.

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Comment se fait cette observation ? Quel est le terrain d’observation ?

Yannick Primel :
Sur la journée de formation, on va consacrer 1 heure à observer un lieu proche.
Le but : voir comment il est utilisé et par qui. Comment vit-on dans l’endroit ? Quelle est la symbolique projetée par ceux qui le fréquentent ? Quels sont les points de friction ?
La méthode de terrain est fiable car les critères sont rigoureux. Les ethnologues parcourent le monde depuis au moins 150 ans.

 

La collecte en particulier doit être reproductible : quelqu’un d’autre sur le même terrain rapportera des faits comparables, c’est donc loin d’être « subjectif ».

 

De manière générale, les données collectées sont d’abord qualitatives et directes parce qu’on est là pour ça. Prise de notes, photos, vidéos, tous les supports sont bons à prendre.
Si elles sont disponibles, viennent ensuite les données indirectes comme les métadonnées, statistiques de fréquentation, journal de bord des utilisateurs…
Enfin vient la phase de « raffinage » où l’on met en forme cette matière brute. Des projets différents peuvent puiser dans une même observation UX parce qu’on s’attache à décrire un contexte d’utilisation et ses permanences, ses rituels sociaux qui dictent quel objet on utilise ou à quel service on va faire appel et pourquoi ceux-là et pas d’autres.
Des adolescents observés dans leur lycée sont une source d’inspiration infinie pour les fabricants de vêtements, de chaussures comme de téléphones mobiles… et bien sûr aussi pour l’Éducation nationale.

On obtient toujours énormément d’informations. De manière générale, on trouve même toujours plus que ce qu’on est venu chercher. C’est l’expérience de la sérendipité, le « don de faire des trouvailles ».

On peut préparer ensuite les phases suivantes du Design Thinking, en constituant un parcours utilisateur et des personas solides (une personne fictive qui va représenter un groupe cible) qui sont incarnées à partir des vraies personnes dans leur vraie vie et non plus « à dire d’expert ». On constitue également une empathy map. Il s’agit de décrire les ressentis (froid, chaud, peur, nombre de décibels dans un lieu, importance du toucher, perception du temps perdu …).
Ces données émotionnelles et physiques, permettent de faire comprendre à l’équipe projet le ressenti physique d’une personne et aussi de comprendre ce qu’on va faire ressentir à quelqu’un avec la nouveauté qu’on en train de fabriquer.

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Une base pour un changement de stratégie de l’organisation ?

Yannick Primel :
Une fois sensibilisées à l’observation des usages, les entreprises/collectivités peuvent mettre en place des procédures et parcours internes pour faire évoluer les compétences et gagner un avantage concurrentiel à l’échelle opérationnelle. Cela va clairement de pair avec la méthode de Design Thinking.
Rien ne devrait être conçu, testé ou livré sans avoir été confirmé sur le terrain.
Bien sûr ce n’est pas magique ni une garantie de succès… mais c’est en revanche la garantie qu’on va éviter de faire des erreurs grossières. D’abord on évite l’effet Beurk, ensuite éventuellement on suscite l’effet Wow !

Mais partir à la rencontre des usagers n’est qu’une première étape.

Pour donner son plein potentiel, cette démarche peut être généralisée et intégrée à l’orientation stratégique de l’entreprise. On passera alors de l’UX à l’échelle d’un projet, à de l’UX « exploratoire » (l’UX Research) qui permet d’orienter les efforts d’innovation sur la base d’un constat empirique. C’est mieux que d’avancer en aveugle…
En tant que méthode, l’UX est d’ailleurs née d’un projet du fabricant de microprocesseurs Intel qui avait envoyé l’anthropologue Genevieve Bell explorer ce que les gens faisaient dans leurs cuisines en Europe, Afrique du Nord et aux États-Unis. Un bref exemple encore sur l’UX Research : après le choc du Brexit, l’entreprise Ogilvy&Mather s’est rendue compte que sa compréhension de la vie quotidienne au Royaume-Uni était largement faussée par sa propre implantation londonienne. Ogilvy a donc développé un programme pour envoyer ses chefs de projets en observations régulières dans tout le pays, afin de ne plus laisser diverger leurs croyances et la réalité du terrain.

Pour eux, cela revient à modifier radicalement leurs produits parce qu’ils acquièrent une vraie connaissance de leur public, qu’ils n’avaient pas auparavant.

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Lectures du soir 3 Mai 2017


 

L’équipe projet, version 2 9 septembre 2016


La manière habituelle de fabriquer des produits s’avère de plus en plus un facteur limitant. Mais bien sûr en contrepoint, il n’y a pas de nouvelle manière bien établie et faisant l’objet d’un consensus… ce qui explique que le problème est rarement évoqué en public puisque personne n’a la réponse.
Souvent le sujet est effleuré lors de projets, par une interrogation sur la nature des compétences à rassembler pour mettre en place une configuration qui fonctionne, dans le contexte des usages actuels.   (sur ce sujet plus vaste, cf. l’article sur le SI Digital).
En guise de préambule, je voudrais développer ci-dessous cinq points qui me semblent pertinents.

1980-2014_evolution-of-the-desk

Source Best Reviews :        bestreviews.com/electronics#evolution-of-the-desk.

1. Les équipes sont transverses

Pour toutes les fois où une maîtrise d’ouvrage (MOA) et une maîtrise d’oeuvre (MOE) sont impliquées dans un projet (et pas uniquement en informatique), il faut aller voir sur le terrain pour constater que les échanges d’information sont multiples, intensifs et transverses (ha !).
La transversalité se situe à la croisée de trois domaines : Conception, Réalisation et Production.

Ces trois domaines concentrent toutes les compétences pour élucider les questions de design (conception), de faisabilité (réalisation) et de viabilité (production). Le point de blocage vient du fait que dans le processus habituel, ces éléments interviennent l’un après l’autre chronologiquement, et qu’une bonne part du temps passé sur un projet consiste à comprendre ce que les précédents intervenants ont voulu dire dans leur spécifications, pourquoi ils ont adopté tel choix technique et pourquoi ils n’ont pas anticipé telle ou telle procédure. Comme dit l’anecdote du cuisinier sur le Titanic : « Moi, ma vaisselle était propre… »

Composez une équipe projet afin que ces domaines Conception, Réalisation et Production soient abordés en même temps; et n’ayez pas peur d’y ajouter d’autres fonctions si nécessaire. Dans le domaine de la cyberdéfense par exemple, on compte pas moins de sept domaines de compétences minimum.

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2. Les équipes sont à 100%

Une affectation sur un sujet, sur 100% du temps de travail. Il y a une littérature pléthorique qui prouve l’inefficacité du travail multitâches. Pour une organisation, affecter ses employés à des projets parallèles différents est aussi dangereux que conduire et envoyer un texto en même temps.

Vous devez cesser de croire qu’un ingénieur de tests pourra résoudre cinq anomalies PHP dans la journée et proposer des idées innovantes la même journée. Vous devez cesser de croire qu’un chef de projet peut gérer 5 projets simultanément. Vous devez cesser de croire qu’un designer peut se montrer créatif sur des solutions d’écrans web alors qu’il est affecté à quatre projets différents sur 25% de son temps.

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Maintenir en bon fonctionnement un système d’information est difficile, mais réussir un projet qui implique des technologies de moins de 10 ans, pour des usages de moins de 5 ans tout en restant compatible avec le SI qui a parfois 30 ans est un tour de force lorsqu’on y est à plein temps.
N’espérez pas y parvenir avec les méthodes qui fonctionnaient bien (en moyenne) il y a quinze ans. Lorsque vos collaborateurs sont affectés à moins de 100% de leur temps à un projet… c’est presque comme si vous vouliez ne pas y arriver.

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3. Les équipes mangent des données au petit-déj

Personne n’a besoin d’être un expert en données (sauf le data scientist :) ). Mais tout le monde a besoin de prendre en compte les nouvelles données qui donnent des informations sur le travail accompli en vue d’améliorer le travail à faire.  Les équipes (de MOE) n’en peuvent plus de brûler des calories en respectant une liste de fonctionnalités requises (par la MOA), alors que si tout le monde avait travaillé ensemble dès la phase d’études, on aurait pu gagner du temps… C’est la responsabilité du management de constituer des équipes qui rassemblent toutes les compétences dont le projet a besoin et nous commençons bien à comprendre que les procédures habituelles empêchent cette mise à disposition en sacralisant la frontière entre MOA et MOE.

Voilà un autre élément qui légitime le recours à la méthode UX et l’observation directe en itérations successives :

  • votre produit minimum viable (MVP) doit générer des données, sinon ça s’appelle un prototype
  • vous devrez arbitrer entre les aspects quantitatifs (le quoi) et les aspects qualitatifs (le pourquoi)
  • vous devez mesurer des résultats, pas des fichiers de logs de sortie

Vos équipes devraient pouvoir exprimer fortement leurs différents avis, l’encadrement hiérarchique devrait être modéré et chaque décision devrait être argumentée par des faits et des données.
Une équipe de projet aujourd’hui n’est plus responsable de fournir une liste de fonctionnalités mais de justifier comment elle améliore sa contribution aux résultats de l’organisation.

4. Les équipes servent l’utilisateur

La principale amélioration stratégique pour une organisation consiste à mieux connaître ses utilisateurs / clients / usagers et à se rassembler autour d’eux. C’est l’usage qui doit décider de l’organisation interne et non l’inverse. De cette manière, les équipes connaîtront le pourquoi et seront à même de proposer des solutions techniques pertinentes.

Vous devez arrêter de questionner les utilisateurs après leur avoir livré un produit : si vous devez le faire une seule fois, faites-le avant. Une organisation centrée utilisateur observe, questionne et mesure les usages tout le temps.

Les équipes projet dignes de ce nom sont branchées en direct aux (futurs) utilisateurs et sans se limiter aux œillères imposées par un projet particulier. Et je dis bien en direct : sans intermédiaire qui parle « au nom de ». Ce sont des membres de l’équipe qui vont au contact des utilisateurs et qui remontent ces informations de première main. Si vous avez une Direction de l’UX ou un équivalent, elle devrait être capable de fournir de l’intelligence qui mettra en perspective et réutilisera cette collecte directe. La connaissance client / utilisateur / usager ne cesse jamais elle mérite donc d’être portée par une direction autonome et permanente au sein de votre organisation.

C’est ainsi que pourra s’estomper l’épaisseur des forteresses MOA et MOE : à force de partage, de travail en commun et de construction d’une compréhension partagée (et argumentée) des utilisateurs.

5. Les équipes sont diverses et parfois rouges

Quelle est la représentativité de vos équipes en comparaison de la population totale ? La culture de vos employés se reflète et influence le produit final jusqu’à avoir un impact sur la manière dont il sera perçu, une fois livré sur le marché.

Pas besoin d’aller chercher très loin pour trouver des exemples réels dans le monde d’aujourd’hui, dans vos produits, vos services et ceux de tous les autres.

La seule bonne volonté ne suffit pas ici, car il y a par exemple des législation qui empêchent de recruter sur une base de choix culturelle, d’origine géographique ou même religieuse. C’est une excellente chose dans l’absolu bien sûr, mais cela produit un cercle vicieux qui empêche aussi de corriger un manque de représentativité et qui ne fait finalement que protéger un état de fait largement insatisfaisant. C’est un sérieux problème que les directions des Ressources Humaines devraient traiter sérieusement… mais en termes de management, l’absence de réponse RH immédiate n’empêche pas de mettre en place certaines règles claires :red-team_contrarian-anticipation_equipe-rouge_anticipation-contrarienne

  • Permettre un environnement protecteur qui permette l’expression des points vue, y compris (et surtout) divergents. Acceptez aussi une remise en cause par… l’avis des utilisateurs et la réalité de leur contexte tel que les designers UX auront pu le constater.
  • Sur les sujets les plus importants, mandatez trois personnes pour établir précisément (et à 100% du temps alloué !) comment le plan pourrait échouer. On appelle ça une « Équipe Rouge » dont je suis un ardent défenseur. En termes militaires une équipe rouge prend le point de vue de l’ennemi pour trouver les points faibles d’un plan -et c’est nettement mieux d’avoir fait ce travail avant l’exécution du plan…
  • Montrez l’exemple. Acceptez la critique mais n’acceptez que des critiques constructives puisque bien construire est l’objectif. Pas de critique ad hominem, bien entendu.

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Il y a encore beaucoup à dire… mais en forme de conclusion, j’ajouterai que si tout cela vise bien à améliorer la qualité de ce que vous proposez -produit ou service-, c’est aussi un moyen pour parvenir à une autre fin : renforcer l’organisation elle-même en diminuant l’entropie, la dispersion dans des luttes intestines et l’éloignement progressif de ce qui devrait être la priorité de chacun : le service rendu à l’utilisateur.

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Lectures du soir 2 septembre 2016


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Le syndrome de La Femme en Rouge : un usage social des objets connectés 14 juin 2016


Ainsi que j’en parlais dans mon post sur le porté connecté, l’une des possibilités socialement intéressantes de cette technologie est de pouvoir (potentiellement) permettre d’entrer en relation avec une ou plusieurs personnes qui nous sont totalement étrangères via les objets.

Cette potentialité offerte par la technologie répond à une attente d’interaction.

En référence à Fiona Johnson dans la trilogie Matrix, je nomme cette attente d’interaction le syndrome de La Femme en Rouge et précisément le fait qu’une personne est toute proche de nous mais que les conventions sociales ne légitiment d’aucune manière le fait qu’on s’adresse à elle sans passer pour un(e) tocard(e). Il manque un prétexte, une bonne raison, une justification même floue et ambiguë.
[A l’attention de mes lectrices : pour équilibrer cette illustration et ne pas sombrer dans le sexisme, si vous avez en tête l’équivalent masculin de La Femme en Rouge je suis très preneur de vos références]

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Stanley Milgram a démontré dès 1967 que nous ne sommes pas si éloignés les uns des autres que de nous pourrions croire et qu’en moyenne seulement 6 niveaux de distance nous séparent de n’importe qui. J’aurais par exemple seulement besoin de 6 personnes pour pouvoir entrer en relation directe avec le président des États-Unis (ou n’importe qui d’autre). A force de répéter cette hypothèse d’ailleurs, un jour, il faudra que je me lance…

Cette théorie du petit monde a été reproduite plus récemment au sein du réseau Facebook, où il s’avère que chacun est séparé de chacun seulement par trois niveaux et demi. Au sein d’un réseau social dense et clos comme l’est Facebook (ou Linkedin, ou Tumblr), il devient encore plus simple de joindre un(e) inconnu(e) par relations interposées. Mais le simple fait d’avoir ouvert un profil sur ces réseaux sociaux fournit le prétexte à une mise en relation : parce que vous êtes inscrits sur ces réseaux, vous attendez des sollicitations (et pas toujours graveleuses, merci).

 

Joindre un inconnu sur un réseau social rend donc la prise de contact moins incongrue, dans la mesure où les deux font déjà partie du même réseau. Qu’en est-il si l’inconnu(e) est juste à proximité, sans rien ni personne pour jouer le rôle de connecteur ? Que se passe-t’il si la Femme en Rouge boit son café à la table voisine de la vôtre ? Dans ce contexte il ne s’agit plus de célébrer la relation qu’on a avec autrui même en son absence (via internet); il s’agit de célébrer exactement l’inverse : la présence d’autrui, avec qui on n’est pas encore en relation.intel_presence_syndrome-femme-en-rouge

Les recherches menées chez Intel avec des objets à double écran défrichent partiellement cette problématique, en permettant de s’adresser directement à un(e) inconnu(e) en utilisant la technologie comme entremetteur… en utilisant un prétexte non personnel pour adresser la parole, comme une image diffusée sur un écran, une ligne de texte ou autre. Cela met les deux personnes à l’abri d’une relation qui démarrerait immédiatement sur le plan personnel.

Bien sûr, si vous faites partie des gens qui peuvent lancer une conversation avec (presque) n’importe qui dans n’importe quelle situation, vous pourrez hausser les épaules devant l’idée qu’un objet puisse servir de déclencheur à la prise de contact. J’en conviens. Et si mon allégorie de La Femme en Rouge oriente le débat vers une relation interpersonnelle de séduction, ce serait une erreur de limiter le sujet à ce domaine particulier.
Que se passe-t’il si la Femme en Rouge est directrice des ressources humaines de l’entreprise où vous voulez travailler et qu’elle boit son café à la table voisine de la vôtre ?
Du reste, si vous craignez l’invention prochaine d’une machine à harceler vous pouvez être rassuré, puisque ce sont les objets qui gèreront le premier niveau d’interaction pour ne laisser émerger que les demandes appropriées telles que définies par vos soins. L’expérience de Milgram en 1967 a surtout montré que ce n’est pas l’outil qui permet la mise en relation, c’est la bienveillance de celui ou celle qui reçoit la sollicitation. Les « six degrés de séparation » sont seulement une moyenne et sur presque 270 lettres envoyées pour vérifier l’hypothèse de l’équipe de recherche, moins de 70 parvinrent à destination. La Femme en rouge ou l’Homme en Bleu (?) auront toujours la possibilité de vous ignorer superbement, et réciproquement.
En fin de compte d’ailleurs, dans le film Matrix, personne n’entre en contact avec la Femme en Rouge.

 

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Il y a cependant là une nouvelle possibilité d’usage pour les objets connectés, socialement bien plus utile qu’un podomètre ou un stupide compteur électrique soi-disant intelligent.  Je parie que celui qui trouvera un moyen technologique de favoriser la relation avec autrui dans le monde concret aura au moins autant de succès que Mark Zuckerberg et son bouton Like.
Sous quelle forme apparaîtra cette innovation reste sujet à débat : il est probable que nous ne pourrions que nous tromper en lançant des hypothèses sur la base d’exemples existants. Smartphone, montre, bague… tout ce qui entre dans le domaine du ‘porté connecté’ semble pertinent. L’essentiel de toute façon n’est pas l’objet en lui-même mais les protocoles et autres liaisons à courte distance.
Peut-être que la catégorie des objets enchantés pourrait nous orienter vers une voie prometteuse, par exemple avec l’aide des assistants virtuels en hologrammes ?

La force de cette innovation résiderait dans le fait qu’on n’est plus dans le virtuel mais dans la vraie vie.
Un Like bien placé sert de déclencheur de conversation, ou simplement le fait de savoir qui a consulté votre profil sur internet vous rend légitime à adresser la parole à cette personne… mais dans la vraie vie, dans un salon professionnel, au centre commercial ou dans la rue, on ne peut pas utiliser d’intermédiaire : entre soi et autrui, soit on adresse la parole, soit une opportunité est manquée.
C’est ce vide que pourrait combler la technologie connectée dans la mesure où elle servirait à générer du lien social là où, juste avant, il n’y avait qu’une espérance d’interaction.

Célébrons la présence !
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Synthèse sur les wearables : le porté connecté 4 avril 2016


Dans le cadre d’une (petite) recherche je me suis récemment intéressé aux motivations individuelles à utiliser les vêtements connectés; en anglais dans le texte les connected wearables.

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Mais il y a un problème de dénomination.
Comme j’en parlais dans un article récent, le mot anglais digital est synonyme de numérique, les deux peuvent être utilisés pour désigner la même réalité. C’est simplement l’habitude qui nous fait préférer l’un des deux vocables.
Ce n’est pas vrai pour le domaine des vêtements connectés par rapport au terme anglais wearables, du verbe to wear : porter sur soi (et non pas emporter avec soi, comme un téléphone). Les wearables constituent donc la catégorie d’objets que l’on porte sur soi mais pas uniquement les vêtements. Ainsi, l’utilisation du mot français ‘vêtement’ connecté est beaucoup trop restrictive pour désigner la globalité d’une pratique anthropologique universelle. La réalité que l’on veut désigner en effet concerne les vêtements mais aussi les montres, les lunettes, les harnais de sécurité, les gilets de sauvetage, les sacs à dos, les bijoux, les casques de moto, les pagnes, les chapeaux, les gilets pare-balles, les combinaisons de surf, les étiquettes d’identification des nourrissons en maternité, les aides auditives, les piercings, etc.
Si le ‘wearable’ concernait uniquement les ‘vêtements’, jamais par exemple nous n’aurions connu le glorieux concours Wearables for Good lancé par l’UNICEF.
Je propose de traduire désormais connected wearables par l’expression porté connecté, qui représente mieux « ce qu’on porte sur soi » au sens large, ce qui inclue les vêtements, sans désigner uniquement cela.

 

Une première chose qui m’a frappé est l’évidente relation du porté connecté avec le concept plus vaste du Digital.

Le porté connecté est un sous-domaine des objets connectés qui sont tous rattachés à l’infrastructure de l’internet des objets (IoT); le Big Data quant à lui est la solution de stockage et d’analyse… et au final, ce sont tous les éléments qui constituent la technologie numérique qui finissent par entrer en écho les uns avec les autres. Techniquement donc, le périmètre du porté connecté c’est le Digital.

 

 

Une seconde chose frappante est le sentiment diffus qu’il existe beaucoup de solutions techniques qui ne répondent à aucun problème… ce qui se traduit d’abord par un décalage entre l’argumentaire des vendeurs de porté connecté et la motivation à utiliser ces mêmes objets. Pour les premiers généralement, l’intérêt du produit réside dans l’étendue de ses capacités techniques… la plupart du temps extrêmement pauvre car limité à la mesure de certaines fonctions corporelles.

Mais les préoccupations des utilisateurs relèvent d’un autre ordre. Pour les objets connectés par exemple il s’agit avant tout d’économiser de l’argent (le compteur électrique). Pour la sous-catégorie des wearables cependant, les utilisateurs ne cherchent pas à s’équiper d’un système technique, mais à atteindre une série d’objectifs personnels relativement précis qui peuvent se résumer ainsi :

Motivations à l’usage du porté connecté :
Économiser de l’argent (pour uniquement les objets connectés et non le porté connecté)
Avoir l’esprit tranquille
Être à deux (plusieurs) endroits en même temps
Améliorer sa sécurité physique / son bien être

Pour ces quatre motivations d’utilisation on trouvera à chaque fois l’idée sous-jacente d’être prévenu avant l’atteinte d’un certain seuil. Ce seuil sera le plus souvent un nombre… reste à définir ce qu’il quantifie et par rapport à quoi : une somme d’argent, une distance, une probabilité, un temps écoulé, un taux de monoxyde de carbone, une densité, une vitre brisée, un nombre de pulsations cardiaques, un temps d’immobilité, le ping d’un autre objet connecté, etc.

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Mais la possibilité même de définir un seuil suppose d’avoir une base de référence pour savoir quoi mesurer. L’importance de bien définir ce que l’utilisateur attend vraiment s’avère cruciale pour établir un seuil qui déclenchera les actions utiles. Du point de vue de l’utilisateur, c’est bien là que réside l’intérêt d’un vêtement connecté ou l’articulation de plusieurs objets entre eux :

il s’agit de répondre à la question « A quoi ça me sert ? » davantage que « Qu’est-ce que ça fait ? »

En plus de devoir définir une problématique pertinente pour définir le périmètre des données à mesurer, il faut aussi se demander comment on va le faire en termes de système technique, ce qui permet d’évoquer les composants techniques d’un vêtement connecté, en termes de software et de hardware :

Exigences d’architecture :
Collecte de données
Transmission de données
Analyse, traitement de données
Restitution des données après leur traitement

L’exigence technique de restitution de données nous amène quant à elle sur les domaines de la data vizualisation et du design front-end. Il faudra bien sûr prendre en compte le contexte d’usage, car on ne présentera pas de l’information sous forme de texte à une personne en mouvement, ni sous forme sonore à quelqu’un qui évolue dans un environnement bruyant (c’est bien le minimum qu’on vous demande : connaissez vos utilisateurs !). Pour faire court, ici, les 5 sens sont  potentiellement des vecteurs d’information. A noter que dans bien des cas on peut envisager le téléphone mobile de l’utilisateur comme unité de traitement et de restitution des données.
La question se pose aussi de demander ou non à l’utilisateur une interaction pour obtenir l’information qu’il attend. objet-connectes-wearables_bijou-joaillerie_usages_objets enchantésCela crée une bifurcation majeure dans le design : en effet, en ne demandant pas d’action particulière à l’utilisateur on ouvre la voie à une catégorie d’objets bien particulière dont j’ai déjà parlé ailleurs : les objets enchantés… qui constitueront j’en suis persuadé la catégorie premium de l’internet des objets.

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En plus des critères mentionnés ci-dessus, j’ajouterais que le potentiel de développement pour l’ensemble du domaine du porté connecté (et donc de l’internet des objets) tient dans notre capacité à créer des produits qui répondent à une triple exigence :

Tendances technologiques :
Miniaturisation
Bas coût
Faible consommation d’énergie

Ces trois éléments permettront de prendre en compte de mieux en mieux les besoins fonctionnels des utilisateurs. Plus la taille des capteurs, leur coût et leur consommation d’énergie diminueront, plus on pourra envisager une inspiration et des spin-off technologiques issus du monde médical, à commencer par le patch connecté jetable comme le BioStamp de la société MC10.
Mais pour les fabricants, il faudra un effort d’imagination pour sortir des applications restreintes au seul suivi d’activité physique et au quantified self. Pour s’ouvrir à d’autres fonctionnalités et élargir le champ des usages, il faudra s’inspirer de la vie quotidienne réelle des personnes réelles pour trouver une inspiration autrement plus vaste, dont les applications seront transposées dans du porté connecté qui ne s’affiche pas comme tel. Car soyons honnêtes, à part dans un cadre professionnel, personne ne veut ressembler à un pervers équipé de Google Glass… la problématique est la même ici que pour les voitures électriques : elles exploseront leurs ventes lorsque leur spécificité sera fondue dans une apparence normale (pour y parvenir, encore une bonne raison de recruter des ethnologues !).

En se laissant aspirer par les objets habituels de la mode et de la bijouterie-joaillerie, le porté connecté gagnera en acceptabilité sociale car il signifiera quelque chose, en termes collectifs, à commencer par un habillage statutaire. Car c’est une chose de porter un bracelet FitBit, mais en termes sociaux il n’existe aucune référence pour faire ‘résonner’ le sujet ou pour se distinguer grâce à ce type d’objet. Il en ira autrement lorsque les fonctionnalités et le siglage auront du sens pour ceux qui sont autour et qui attribuent une symbolique à l’objet… exactement comme on attribue un statut différent à un pantalon Levi’s, Carhartt ou Azzaro. Tout le monde se fiche bien de connaître la composition du tissu en 90% coton et 10% élasthanne ou avec 3 circuits imprimés dans le col.

 

Enfin, en opposition totale avec l’argumentaire des vendeurs, il faut bien admettre que la propagation de la connectivité au monde des objets (vêtements inclus, donc) représente un risque majeur de sécurité, du fait de la menace d’un piratage ou plus prosaïquement d’une interruption accidentelle de la connexion. Les Américains par exemple développent leurs systèmes en se basant sur l’hypothèse d’une liaison permanente, ce qui me paraît hautement optimiste car de fait, le risque d’une perte de liaison n’est pas pris en compte… il y à là une porte grande ouverte pour faire les frais de la Loi de Murphy quelque soit le niveau de sécurité que vous prétendez avoir.

Les exemples ne manquent pas, déjà aujourd’hui alors même que les applications de masse sont tout juste émergentes. Ce risque s’applique parce qu‘il y a une connexion et tout ce qui est connecté est donc à la même enseigne : tee-shirt, voiture, sac à main Vuitton, téléphone, détecteur d’intérieur, chemise, système d’alarme, pince à cravate, moniteur de rythme cardiaque, tableau de contrôle d’une centrale nucléaire ou d’un Airbus, broche Swarovski, etc.

Je suggèrerais donc au ingénieurs, designers et fabricants d’opter pour des objets connectés utiles même hors connexion et avec la déconnexion manuelle comme fonction à part entière.

Critères fonctionnels :
Intégration
Personnalisation
Adaptatif
Anticipatif
Déconnectable

Car ce sont bien les usages et non les critères techniques qui permettent d’énoncer les fonctions du produit dans le vocabulaire de l’utilisateur et en vue de répondre à la seule question qui le préoccupe : A quoi ça me sert ?

Or comme on vient de le voir, il s’avèrera sans doute nécessaire et utile, à diverses occasions, d’utiliser un objet connecté sans sa connexion. C’est à ce moment là que votre réflexion sur le sujet pourra faire l’ultime différence entre un objet qui reste utile même déconnecté -ne serait-ce qu’en style- et un machin aussi fonctionnel qu’un caillou.

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Qu’est-ce que le ‘digital’, au fait ? 28 décembre 2015


Que vous soyez un sceptique des technologies, un enthousiaste du marketing ou un spectateur amusé, vous n’avez pas pu échapper à l’envolée du « Digital ».
Précisons d’abord qu’en parlant de digital, on parle du terme anglais dont l’étymologie renvoie aux digits : les nombres.
Les 0 et les 1 de l’information numérisée. En langue française correcte, nous devrions parler de numérique et non de digital, mais les choses sont ainsi faites : la fracture digitale aujourd’hui ne concerne pas une fracture des doigts, pas plus que la créativité digitale ne concerne l’habileté à faire de la poterie.

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digital-society_screen-UXTout le monde doit avoir fait sa transformation digitale, définir sa stratégie digitale en suivant un agenda digital pour pouvoir s’adresser aux digital natives et aux digital passives.
Et les pauvres anciens spécialistes du domaine SI regardent par-dessus leur épaule l’ombre grandissante du Directeur Digital dans sa mission pour effacer le souvenir de tous les Directeurs de Système d’Information qui l’ont précédé.

La plus grande entreprise de taxi dans le monde s’appelle Uber et ne possède aucun véhicule pour assurer sa mission mais des applications pour smartphone. Les commentateurs se sont empressés de souligner l’émergence de telles entreprises en hurlant très fort qu’elles allaient siphonner la clientèle des entreprises « traditionnelles » qui n’ont pas développé de stratégie digitale. Même chose pour les opérateurs télécoms, les banques (ah ! les FinTech !) et… la totalité de tous les secteurs de toute l’économie et des services publics et la vie personnelle de tous les gens. La « disruption » qu’ils appellent ça, que l’on pourrait traduire par Le Grand Chambardement Qui Fait Peur.
 Et donc, -brûlez-vous d’ajouter- quelle différence ça fait dans mon business et pour mon métier à moi ?
Pour comprendre en quoi (et à quel point) vous allez être concerné il est nécessaire de percer la couche de gras marketing pour entrer dans le vif du sujet… ce qui est bien l’objet de ce post.

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L’expansion croissante de l’internet et l’unification des protocoles de communication font que notre interface avec le monde passe -et passera de plus en plus- par les technologies de l’information. Si vous n’êtes pas en position de socialisation directe pour parler à quelqu’un, vous allez vous tourner d’une manière ou d’une autre vers de l’information au format numérique, aussi bien sous la forme d’un écran, d’un son ou d’une aide apportée par un dispositif du monde réel relié au Réseau des réseaux. Pour des usages toujours plus nombreux, nous utiliserons des technologies qui ont aujourd’hui une marge de progression incalculable -pour le meilleur et aussi le pire.
Mais sans attendre le pire, nous passerons à cette ère de l’internet omniprésent, parce que les possibilités utiles seront disponibles et pertinentes pour la vie que nous voulons mener.

Voilà, nous avons un début de définition. Le ‘digital’ est la conjonction inédite d’usages et de technologies qui élargissent nos possibilités d’interaction avec le monde.

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Le premier élément clé du digital est donc qu’il recouvre effectivement les aspects habituels du travail sur les systèmes d’information (SI) mais en plus, il faut y ajouter la composante matérielle des technologies de l’information (IT).
FPGA-mobile-iotLa notion de digital renvoie chacun à son cœur de métier : dans mon métier de maintenance industrielle, quels usages d’information me seraient utiles ? Et dans mon métier de comptable ? Et dans mon métier de consultant ? Et dans mon métier de nourrice; chauffeur de bus; installateur d’éoliennes; plombier, etc. Le digital renvoie chacun à son cœur de métier car il s’agit de se poser la question des usages de l’information dans ce métier. Et le client là-dedans est un aspect important du digital, mais pas le plus important. Les employés et leurs outils ont longtemps été le parent pauvre en termes de qualité et il est temps que ça cesse, car c’est la qualité des outils qui permet en grande partie d’innover… et au final d’améliorer le service rendu au client -qui n’est que l’un des bouts de la chaîne de valeur.

Si le monde est en effet plein de digital, il est cependant superflu d’avoir une stratégie digitale, tout comme il est superflu d’avoir un Directeur Digital. Ce dont une entreprise a besoin -comme toujours- c’est d’une stratégie cohérente qui embrasse aussi le domaine du digital.  De ce point de vue, l’invention du grade de Directeur Digital fut sans doute une mauvaise idée car s’il y a bien une chose que l’on sait aujourd’hui, c’est que le digital est transverse par nature. Il ne s’agit pas d’imposer cette notion à tous les corps de métier via la ligne hiérarchique, au contraire, il s’agit de faire émerger des projets d’innovation digitale en provenance des métiers. Si le Directeur Digital peut exister, ce serait au mieux comme coordinateur et fédérateur d’initiatives et de besoins opérationnels.

On aurait pu croire à un déclin des machines face au discours commercial qui nous promettait que tout finirait bientôt dématérialisé et « dans les nuages » : Cloud computing, SaaS et autres SOA. Mais contrairement à la légende du tout-logiciel, les outils reviennent dans le débat sous la forme d’écrans de diverses tailles (l’affichage web ‘liquide’), de connecteurs de machine à machine (l’Internet des Objets), de composants FPGA (l’électronique reprogrammable), de réseaux de machines en architecture HDFS (le Big Data), les imprimantes 3D, la Réalité Augmentée, etc.
Toutefois, il ne s’agit pas de s’intéresser aux moindres caractéristiques techniques des machines, mais d’identifier les possibilités de faire transiter de l’information de l’une à l’autre. De SI à IT : ce changement d’un simple mot élargit d’un coup le champ d’application des traditionnels SI et c’est cela qui est nouveau. En poursuivant cette réflexion, on peut imaginer se passer même des écrans dans la mesure où l’information sera insérée dans l’objet. Cela aboutit nécessairement à la notion développée par David L. Rose : les objets enchantés (enchanted objects). Le champ des possibles nous fait alors sortir du monde des écrans et sur des possibilités tellement inédites que je suis curieux de voir dans combien de temps « digital » sera remplacé par l’expression « web 3.0 ».
Oh no, it's not !C’est cela qui permettra bientôt à votre tee-shirt d’alerter le SAMU s’il détecte un infarctus; c’est cela qui permet de gérer la température de votre chambre à coucher depuis votre téléphone mobile alors que vous êtes dans le train; c’est cela qui permet d’avoir en transparence sur ses lunettes le circuit électrique de l’Airbus dont vous assurez la maintenance et… c’est aussi cela qui permettra de vous identifier nominativement parce que votre visage aura été filmé dans la rue et reconnu par le logiciel de reconnaissance faciale du système TAJ.
(si Facebook est capable de le faire pour vous afficher de la pub, pourquoi le Ministère de l’Intérieur s’en priverait-il, hein ?)
Comme j’en parlais il y a quelques temps, une technologie peut être évaluée en dernier ressort sur sa capacité à engendrer ou soutenir le règne d’une dictature… et malgré tout les arguments rassurants qu’on voudra employer, le digital aura besoin de hackers, de contre-pouvoirs civils, de recherches percutantes comme les travaux sur le digital labor et de luddites réfractaires et déterminés.

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Le second élément clé du digital permet d’insister à nouveau sur l’importance de se préoccuper en premier lieu des usages qui vont présider à l’emploi d’un outil.
Ce sont bien les usages réels des technologies, dans le vrai monde, qui sont le centre de gravité du processus de conception (il l’ont toujours été du reste, c’est juste que bien souvent jusque-là ils étaient ignorés). Ce premier constat fait surgir tout le domaine de l’UX et l’expérience utilisateur.

Le digital est un domaine qui nous parle de l’utilisabilité des technologies.
Car en plus du fait que les services proposés sont utiles (efficaces), ils sont aussi utilisables :
simples et
satisfaisants.
Ces trois critères résument l’idée de conception centrée utilisateur, par opposition à la manière « précédente » qui était centrée technologie  -quelque soit le truc que vous concevez : appli web, tableau de bord de voiture, poignée de porte, habitacle d’un véhicule de secours et j’en passe.

Il n’est donc pas étonnant que les équipes qui font du digital comportent des nouveaux venus qui étaient jusque là cantonnés aux Directions de la Communication ou au secteur de l’édition : des graphistes, designers, ergonomes IHM, dans la mesure où ce sont leurs compétences qui apportent les deux derniers éléments de l’utilisabilité en tant que point de contact avec l’utilisateur. Il ne s’agit pas de faire du ‘joli’ mais de fournir une expérience utilisateur satisfaisante.

…et restez-bien concentrés car c’est ici que se joue l’articulation entre technologies et usages dont s’enorgueillit le digital.
Il s’agit en effet de s’équiper de technologies performantes (voir ci-dessus) et aussi de méthodes aptes à fournir des outils utilisables (voir ci-dessous).

Ce domaine de l’UX invite à propager une manière de faire inhabituelle -ou sacrilège, selon les méthodes classiques- qui est de commencer par la création de l’interface que l’utilisateur aura à sa disposition, pour, ensuite, en déduire comment organiser l’infrastructure idoine.virtuel-maintenance-industry-augmente
A grand renfort de documentation abondante et quasi religieuse, tout le secteur informatique depuis les premiers ordinateurs a toujours fonctionné en concevant d’abord le système technique pour finir par se demander comment l’utilisateur pourrait bien se dépêtrer avec une interface confuse, ésotérique et souvent parfois juste inutilisable (les cockpits d’avion, un formulaire d’impôt, un Windows 8, la procédure d’inscription à Pôle Emploi).

L’intérêt du digital -pour ceux qui le font vraiment- est précisément de ne pas s’embarrasser de documentation a priori, mais de déduire a posteriori ce qu’il est nécessaire de faire pour que l’usage soit simple et efficace du point de vue de celui qui agit.
C’est limpide, on croirait entendre André Leroi-Gouhan : Milieu et techniques Ed. Albin Michel, 1945 qui écrit « La technologie doit d’abord être vécue, ensuite pensée si le besoin s’en fait sentir  »
A la suite des méthodes de développement informatique Agile, le besoin des entreprise de réduire les délais de livraison a donné naissance au DevOps qui permet aujourd’hui vraiment de créer du résultat plus vite que jamais, tandis que la diffusion des supports mobiles permet de déployer ces résultats partout et à n’importe quel moment.

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Ces méthodes qui réunissent en une seule équipe les compétences de l’amont (développement du code) et de l’aval (la maintenance du code), ont également bien démontré leur valeur économique tout autant que leur valeur sociale pour ceux œuvrent dans ce genre d’équipes. Il n’est pas inutile de rappeler que la qualité fonctionnelle des logiciels livrés vient en grande partie du fait que le souci de l’utilisateur est constant, puisque la source et la finalité du travail c’est lui. Bref, contrairement à d’habitude, l’utilisateur est satisfait.
Avec ce rapprochement d’équipes qui avaient jusque-là des cultures professionnelles différentes, la qualité du code informatique est devenue un élément à part entière de la qualité d’une marque et pour une large part c’est le domaine de l’UX qui fera évoluer les deux dans la même direction. C’était déjà vrai de la qualité du code dans votre smartphone et votre ordinateur, mais ça l’est aussi désormais pour les cafetières, les voitures ou les trains. C’est ça le digital : il y en a partout.

Il est l’heure de changer d’ère.

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Mobilité à la chinoise 19 octobre 2015


chinesesmartphones-shanghaisubwayEn 2014 les utilisateurs chinois ont effectué 185 milliards de téléchargements d’applications mobiles, soit 59% du total des téléchargements dans le monde. Que ce soit sur smartphone ou tablette, ils (et elles)  installent en moyenne 90 applications par an, la moyenne mondiale étant à 28.

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Ils sont déjà 500 millions d’utilisateurs… mais ce nombre ne devrait pas cesser d’augmenter dans la mesure où le taux d’équipement est encore relativement bas. J’ai très hâte de voir ce que ça donnera lorsque 1,3 milliard de citoyens Chinois auront atteint le taux d’équipement de 74%, comme le voisin coréen…
Mais si le fabricant de hardware dominant est Samsung talonné par l’ostentatoire iPhone d’Apple, le paysage marketing change lorsqu’on parle de software. Les utilisateurs chinois en effet n’utilisent pas  les boutiques officielles des deux géants, Apple (App store) et Google (Google Play), mais des « app stores » locaux, destinés aux utilisateurs domestiques. Les deux principaux sont Baidu et Xiaomi.
Cette hyperlocalisation s’explique notamment par le strict contrôle des autorités nationales sur les accès internet vers le reste du monde.
Pour un utilisateur chinois, rien ne garantit que demain son site web favori sera encore accessible s’il est hébergé en dehors de Chine. Le site web Google par exemple n’existe pas là-bas car il est bloqué par le grand firewall ( 金盾工程). Lorsqu’on parle d’internet en Chine, il faut bien garder à l’esprit que -quoi qu’on en pense- le maintien de l’ordre civil collectif est politiquement considéré comme plus important que la liberté individuelle.
Ces distributeurs parfaitement inconnus dans le reste du monde sont donc néanmoins des poids-lourds économiques dans le secteur des applis et des smartphones… Si vous voulez développer une appli pour des internautes et smartphon-autes en Chine, vous devez prendre en compte les standards et les contraintes de cet écosystème vraiment très différent. Et bien sûr vous devez comprendre l’expérience utilisateur locale.

Tous ces téléchargements signifient que les utilisateurs Chinois passent énormément de temps à interagir avec leurs applis -et tout spécialement les jeunes. Celles de jeux sont les plus nombreuses, mais celles consacrées au commerce, au streaming vidéo et à la messagerie instantanée prennent le relais en termes de croissance.
Une jeune femme d’environ 30 ans qu’on appellera Ming (明) décrit son quotidien de cette manière :

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Samedi, 06:22   Un bip de mon téléphone me réveille. Ce n’est pas l’alarme mais un message de Sposter Mes achats sont arrivés ! Bon… très bien, je dors encore un peu et je passerai les prendre après.

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Deux heures plus tard, je descends jusqu’à la consigne Sposter en bas de chez moi, ouvre l’appli et récupère un code que je saisis au clavier de leur installation et… voilà ! La porte d’un des casiers s’ouvre et j’y trouve ma livraison. Grâce à eux, je n’ai pas à attendre le livreur et lui n’a pas besoin de connaître mes disponibilités. J’avais passé cette commande de petits objets déco via le site Jingdong (JD.com) il y a quelques jours. Ils offraient en effet 4500 yuans (620 euros) en bons d’achat pour attirer les clients vers leur service de crédit Baitiao. Tout ce que j’avais à faire c’était de dépenser cet argent et le rembourser en 30 jours à un taux d’intérêt de zéro :)

Je me suis intéressée à leur offre et j’y ai souscrit. Comme pour tous mes documents un peu officiels, j’ai scanné le contrat et ce double numérique est sur un disque dur externe, chez mes parents à la campagne. Maintenant je dépense au maximum 1600 yuans par mois et je rembourse 140 avec un taux d’intérêt de 60. C’est une somme tellement ridicule que je n’utilise plus la carte de paiement de ma banque depuis des semaines. [note de l’éditeur : sur ce sujet de la livraison à domicile en Chine, Zuhe Huang a soutenu sa thèse : Last mile delivery in China  en juillet 2015, à l’université Erasmus de Rotterdam.]

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09:00   De retour chez moi je confirme la réception des achats et leur bon état sur l’appli Jingdong. En retour ils m’offrent 20% de réduction sur ma prochaine facture. Rien ne presse, je verrai plus tard. C’est comme Amazon en Europe, vous pouvez y acheter tout et n’importe quoi… j’ai même commandé une plante une fois et elle est toujours vigoureuse dans mon salon. Quand croyez-vous qu’Amazon lancera sa filiale bancaire ?

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Midi:   Un ami m’écrit sur WeChat et demande un coup de main pour son boulot. Il voudrait développer le service Alipay dans notre ville de Chongqing, mais pour cela il a besoin de convaincre des restaurants et des bars de la ville d’accepter ce moyen de paiement.
Chez vous en occident, c’est très comparable à PayPal. J’ai dit à mon ami que ça semble une bonne idée et je me souviens que j’ai déjà vu ça au supermarché. A la caisse, les clients montrent leur écran de smartphone avec un QR code fourni par l’appli Alipay et la caissière le scanne. « Paiement accepté » dit l’automate et Alipay transfère directement l’argent de mon compte vers celui du magasin. Rendez-vous pris, je rencontrerai mon ami dans ce nouveau resto parce que je connais le patron et si les deux font affaire, ils me payeront le déjeuner !

Alors que je me prépare à sortir j’ouvre l’appli Uber pour y trouver un transport.
Chance ! Il y en a un stationné en face.

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14:00   Vingt minutes plus tard je suis au centre-ville de Chongqing, devant le restaurant. “Bip !” Voilà la facture d’Uber, seulement 7 yuan ! (0,98 euro). C’est teeellement cheap ! Ils m’ont fourni un avoir de 10 yuans la dernière fois parce que je n’avais pas trouvé de véhicule disponible. Normalement, le même voyage en taxi tourne autour de 50 yuans aller-retour, alors que c’est 16 avec Uber en plein tarif soit trois fois moins cher.  Inutile de dire que je n’utilise plus jamais le taxi.  
[note de l’éditeur : Uber en Chine fournit environ 1 million de trajets quotidiens]

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14:30   Mon ami vient d’arriver et je suis déjà attablée, en discussion avec le patron. Tous les deux s’accordent sur le fait que le paiement mobile va s’étendre au  marché de la restauration. Pour les utilisateurs ce sera un confort supplémentaire car ils n’auront plus besoin de porter du cash. Leur porte-monnaie sera leur smartphone.

Ce déjeuner d’affaires se passe bien. Mon ami a eu ce qu’il était venu chercher et le manager du restaurant a accepté d’installer le système Alipay pour un test de six mois. Mission accomplie ! Je rentre chez moi -avec Uber bien sûr.

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18:00   L’heure du dîner approche. je prendrais bien un KFC… mais il pleut à torrent dehors. Je reprends mon téléphone. Incroyable : Kentucky Fried Chicken ne livre pas à domicile. Bon peu importe, Taobao m’informe que je peux commander un menu (80 yuans) et le faire livrer chez moi pour 25 de plus. En gros il s’agit d’une entreprise de livraison qui prend votre commande et va la chercher dans le restaurant de votre choix (j’aurais pu commander Mc Do ou un traiteur italien) et ramène le tout chez vous, avec la facture du fournisseur. C’est parfait pour les flemmards qui acceptent de payer le supplément. Trente minutes plus tard j’ai signé le reçu.

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19:30   Dans la rue pour rejoindre mon club de sport, je m’arrête à l’épicerie. J’attrape une glace Magnum et… mince ! Oublié mes sous ! Je m’approche du caissier et je lui demande si je peux faire un transfert d’argent avec Alipay. Mes yeux de chien battu font leur effet, il accepte. Payé, confirmé, emporté !11820560_1647641528826401_1650673808_n

Devant le club, j’attends que mes amis arrivent. Je sais déjà qui sera là puisque le planning est en ligne et chacun peut indiquer sa présence.
Avec mes gants de boxe, c’est le seul moment de la journée où je ne peux pas utiliser mon téléphone… en tout cas parce que sa commande vocale n’est vraiment pas terrible.
Tout cela me fait penser que la gestion quotidienne de mes activités est vraiment dépendante de ce petit objet. Si un jour je le casse il faudra que j’en reprenne un dans les heures qui suivent. J’irai voir sur Jingdong quels modèles ils proposent en version durcie et résistante à l’eau. Et rose.

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Un lieu pour apprendre 23 septembre 2015


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Fermé depuis 2009 parce qu’il tombait presque en ruines, le musée de l’Homme ouvre de nouveau ses portes le 17 octobre 2015.

C’est davantage qu’un musée car dès sa fondation en 1937 il est associé à un centre de recherches vigoureux et de classe internationale.
Les collections sont donc réellement utilisées pour la recherche et l’étude. Ce n’est pas fréquent, même ailleurs qu’en France et c’est bien autre chose qu’une collection pompeuse de gens morts et d’objets dévitalisés, comme au musée du quai Branly qui a confisqué une très grande part des collections ethnologiques françaises.

Ce signe d’ouverture sur le monde et cette volonté d’utilité se remarquent d’abord parce que la lumière naturelle inonde l’intérieur… pour un musée, ce n’est pas rien ! Ce travail de mise en valeur est le résultat d’une coopération remarquable entre agences d’architectes (brochet-lajus-pueyo) et de scénographie-muséographie (Zen+Dco).

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De fait le musée de l’Homme présente d’abord des collections d’anthropologie physique : squelette d’homme de Cro-Magnon (28.000 ans) ou crâne de René Descartes (le vrai !).
Avec cet inventaire physique il s’agit de montrer (et étudier) ce qui fait notre histoire depuis la bifurcation entre le singe et le proto-humain.
Nous somme d’abord des êtres biologiques et c’est l’évolution de notre corps qui a permis ce que nous sommes aujourd’hui. Par la bipédie, l’allongement du pouce, le raccourcissement des canines, la structuration fine des cordes vocales, le développement du cerveau. Tout cela a permis notre survie (d’abord) et l’invention de la sonde interplanétaire (ensuite).
D’où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ? La réponse à ces trois questions et des possibilités qu’elles impliquent se trouve d’abord dans notre description anatomique.

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L’intérêt du lieu réside aussi dans le fait qu’il affirme l’unité de l’Homme, par sa simple existence. Les variations physiques humaines ne sont en aucun cas un indicateur de nos capacités culturelles ou intellectuelles. Depuis le Paléolithique supérieur (-45.000 ans) n’importe quel enfant humain de 6 ans a les capacités mentales et physiques pour suivre une scolarité en école primaire et au-delà. Et inversement, un enfant scolarisé en primaire aujourd’hui peut très bien apprendre à tailler un silex biface ou à projeter des étincelles sur de l’écorce sèche.
Parce qu’au-delà de notre anatomie, nous avons développé un rapport au monde dont le premier intermédiaire est la technologie. Partout, tout le temps, l’être humain conçoit, fabrique et utilise des outils.
Les races humaines n’existent pas; il y a une espèce humaine.
La précision du vocabulaire est importante parce que race et espèce ne désignent pas les mêmes réalités… et « Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde » comme disait Albert Camus.
Alors venez au musée, apprenez à nommer la réalité. Parce que l’histoire humaine n’est pas un truc de vieux cons.

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Musée de l’Homme, 17 place du Trocadéro, Paris.

 

mh

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