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Les aventures d'un ethnologue dans le grand monde

Un guide d’entretien ethnographique 29 octobre 2021

Filed under: organisation — Yannick @ 20:00
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La recherche qualitative cherche à décrire un contexte social et des motifs d’action ou de prise de décision.
Les données sont collectées par l’immersion passive ou l’observation participante. Comme habituellement dans le domaine de l’ethnologie, la prise de contact directe et in situ est toujours privilégiée par rapport aux méthodes indirectes.

Mais, au-delà de l’immersion dans un groupe pour le comprendre de l’intérieur, les chercheurs peuvent recourir à la technique d’entretien semi-directif, qui se mène en tête à tête, après une mise en confiance des deux interlocuteurs.

Dans le jargon des ethnologues, la personne avec qui elles / ils parlent est appelée un informateur / informatrice. Dans le monde du design et de l’UX, il s’agit d’une utilisatrice(eur).
Ce type d’interview est qualitatif et vise à identifier des axes structurels de comportements.
Il ne s’agit donc pas de dérouler un questionnaire quantitatif et de cocher une liste de questions pour lesquelles on aura recueilli des réponses (vous n’allez pas faire un « sondage »). Au contraire : l’entretien semi-directif permet d’obtenir une grande subtilité de compréhension, grâce à une discussion ouverte et approfondie avec la personne en face de vous.
Répétez après moi : je ne vais pas faire un sondage, je vais avoir une conversation.

A ce titre, pour favoriser la liberté de parole, l’anonymat des personnes doit être garanti (non nominatif, pas d’identification dans la prise de notes). Il est de votre responsabilité de ne pas dire, ensuite, qui-vous-a-dit-quoi. Si quelqu’un vous le demande, d’ailleurs, ce sera extrêmement suspect et on approche de la violation du secret professionnel.
Dans mon petit carnet de notes (in Moleskine i trust), j’ai des verbatims, des descriptions, des gribouillis de schémas, des impressions en temps réel, et je n’ai aucun nom de famille, seulement des prénoms et souvent parfois même pas les vrais prénoms. Les seules critères d’identification sont les miens, pour que l’âme charitable qui retrouve mon carnet perdu puisse me joindre et me le rendre. Une loi de type RGPD ne s’applique pas à mon carnet car je n’y stocke aucune information qui permettrait de retrouver ou d’identifier mes interlocuteurs, directement ou indirectement.

L’anonymat des interviewés est moins absolu dans certains contextes, notamment pour la recherche UX et le monde du travail en général. A ce titre, vous devez recueillir le consentement écrit par un formulaire-type… en comptant sur le fait que n’importe qui a toujours parfaitement le droit de refuser.
Ce droit au refus s’applique non seulement à la prise d’image mais à l’interview lui-même. N’importe qui a le droit de refuser une interview, un enregistrement, une question spécifique, une prise image, sans raison particulière. Ca fait partie du respect que vous leur devez d’accepter sans insister.

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Repeat after me : I am not going to do a ‘poll’, i am going to have a qualitative conversation.
Welcome to ethnographic interviews.

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I. Questions de Grand Tour
L’objectif des questions « Grand Tour » est de découvrir de la bouche même de la personne interviewée les noms des lieux et des objets tel qu’elle les nomme.
C’est aussi l’opportunité d’entendre cette personne parler ou décrire des événements ou des activités tel qu’elle les comprend.
Il s’agit pour le chercheur de comprendre les interrelations de tous ces éléments du point de vue de la personne interviewée.

Il y a quatre grands types de questions Grand Tour :
Vue d’ensemble,
Vue spécifique
Exploration guidée
Grand tour d’une activité.

Exemples
A. Vue d’ensemble (zoom out)
Demander à l’informateur de généraliser, de parler des grandes catégories d’événements :
• Pouvez-vous me décrire une journée normale dans votre travail ?
• Pouvez-vous dessiner le circuit de création d’un passeport, de la demande initiale jusqu’au document mis à disposition du demandeur ?
B. Vue spécifique (zoom in)
Demander à l’informateur de préciser les détails d’un événement spécifique ou ce qu’il a fait un jour précis.
• Pouvez-vous décrire avec vos mots ce qui s’est passé quand vous avez appelé le service d’assistance technique, du début à la fin ?
• Parlez-moi de la dernière fois où vous avez utilisé la foreuse à trépan.
C. Exploration guidée
Demander à l’informateur de vous guider sur son lieu de travail [ou autre] ou de l’accompagner lorsqu’il/elle accomplit une certaine activité. L’acte guidé est alors le support de la description par l’informateur.
• Pourriez-vous me faire visiter l’atelier de carrossage ?
• Puis-je assister à votre après-midi d’appels téléphoniques aux clients ?
D. Grand Tour d’une activité
Demander à l’informateur de réaliser une action et de la décrire à voix haute pour vous aider à en comprendre le contexte.
• Pouvez-vous me montrer comment vous faites pour faire [ceci] ou pour utiliser [cela] ? (Je vais filmer vos mains sur le clavier et ce qu’affiche l’écran)
• Est-ce que je peux vous filmer utiliser la découpeuse et vous poser des questions après ça ?

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II. Questions de Mini-Tour
L’objectif d’un Mini Tour est similaire au Grand Tour, avec une emphase beaucoup plus prononcée sur les détails, les nuances entre les différents éléments ou les sous-catégories tel que l’informateur les exprime.
Par exemple vous avez demandé à un informateur de vous parler de sa journée de travail en agence bancaire et il répète plusieurs fois « …et après je passe le dossier dans le logiciel AAA. » La répétition d’un fait dans la discussion doit attirer votre attention : à ce stade, vous pouvez vouloir lui poser une question de Mini Tour telle que : « Pouvez-vous me décrire ce qu’il fait, ce logiciel AAA ? »

La question de Mini Tour est comme poser une loupe sur un lieu ou une activité dont vous pensez qu’elle peut être importante.

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III. Questions par l’exemple
Les questions par l’exemple sont prégnantes dans tout entretien ethnographique.
Un informateur peut dire « Ces sujets de réglementation RGPD me causent du souci. Mon manager insiste beaucoup là-dessus » et vous pourriez répondre : « Pouvez-vous me donner un exemple du genre de souci dont vous parlez ? »
A première vue l’idée de ‘souci’ peut sembler simple et intuitive, mais les différences entre ce que vous en comprenez et ce que votre interlocuteur désigne peuvent être significativement importantes. C’est votre travail, en entretien, de clarifier ce à-quoi pense réellement la personne. Elle peut reformuler, faire un schéma, comparer… n’importe quoi qui permette de lever les ambiguïtés.

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IV. Questions d’expérience
Les questions ouvertes liées à l’expérience vécue sont très souvent utilisées lors d’une discussion Grand Tour ou Mini Tour.
« Pourriez-vous me parler de certaines expériences que vous avez vécues en conduisant ce modèle de camion ? »

! Pour votre interlocuteur, il peut être difficile de verbaliser les routines et « les choses normales », ce qui amène souvent à la description d’anecdotes liées à des problèmes, alors que les problèmes ne sont pas forcément une composante typique de l’expérience en général. Vous aurez connaissance de ce « en général » par le recours aux questions de Grand Tour qui concernent la vue d’ensemble.

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V. Questions liées aux jargons et langues minoritaires
Si vos informateurs parlent une langue minoritaire, un jargon professionnel très prononcé ou une langue différente de leur environnement immédiat il est pertinent de mener l’entretien dans cette langue. Le premier intérêt de poser les questions dans la langue appropriée est de s’assurer que l’on sera compris sans reformulation, sans distorsion.
Par exemple si le processus de fabrication inclue une étape que l’informateur nomme « la chambre de redresseuse » on pourra demander « combien de temps ça prend le passage dans la chambre de redresseuse ? ». Ne tentez pas de forcer vos mots sur leur activité, c’est l’inverse qui doit se produire.

Plus les informateurs pourront parler de leur activité comme ils pensent qu’ils mènent cette activité, plus vous aurez accès à leur manière de raisonner, ce qui renforcera la relation que vous avez l’un avec l’autre.
Il y a trois grands types de questions liées aux jargons ou langues minoritaires :
Questions directes,
Questions d’interaction fictive
Questions de phrase typique

Exemples
A. Questions directes
Demander comment il ou elle dirait quelque chose.
• Comment vous appelez-ça lorsqu’il y a une anomalie dans la qualité du métal qui sort de la fonderie ?
• Comment vous appelez cette façon de faire ? Ça porte un nom ?
B. Questions d’interaction fictive
Décrivez une scène imaginaire et demandez à l’informateur de parler comme ils/elles le feraient dans cette situation (parler à votre manager pour annoncer un problème qui vous bloque)
• Si vous parliez à un collègue de votre équipe, vous le diriez de la même manière ?
• Si j’étais dans l’atelier de peinture qu’est-ce que j’entendrais les gens se dire ?
• Comment vous diriez ça au directeur ?
C. Questions de phrases typiques
Demander directement que votre informateur vous dise des phrases typiques ou des noms d’activités.
• Vous m’avez parlé tout à l’heure d’ « anomalie majeure » et d’ « anomalie mineure », comment faites-vous la différence ?
• Comment vous dites quand vous dressez un procès-verbal pour une voiture mal stationnée ?
• Dans l’autre équipe ils parlent de « chambre de redresseuse », comment vous l’appelez, vous ?

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That’s all, folks ! :) Pour le reste, la pratique de ce genre d’entretien semi-directif se révélera centrale pour vous construire une expérience, des bases de comparaison, des réflexes et un style personnel -qui a aussi son importance.
Donc : faites-en, plein !

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The semi-direct ethnographic interview mostly requires : you, an informant, a pen and a notebook (in Moleskine i trust).
No complex technology is involved, and the more you’ll do it, the more you’ll gain mastery.

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