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Les aventures d'un ethnologue dans le grand monde

La fin du design thinking ? 3 Mai 2024


Avec Laurent MARTY, nous avons eu une conversation sur le design thinking, sur la supposée fin du design thinking, sur ce qui fait l’esprit d’innovation, et tout plein d’autres choses passionnantes.
On vous en fait profiter, ici : https://www.linkedin.com/pulse/la-fin-du-design-thinking-laurent-marty-f1phc/

 

Inspiration estivale 1 Mai 2024


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Dans les temps anciens, le calendrier celtique était découpé différemment du nôtre, l’actuel grégorien.

Les saisons par exemple : l’été celtique allait de début mai à fin juillet.
Début août, techniquement, était donc déjà le début de l’automne. Vous y penserez lorsque vous viendrez en vacances en Bretagne « pour le 15 août »…
D’ailleurs non, ne venez pas. Il pleut tout le temps en Bretagne, c’est nul et il n’y a rien à y faire.
Surtout dans le Finistère. Ne venez pas.

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Le roi qui tomba de cheval en 1404 8 février 2024

Filed under: organisation,Recrutement,Société — Yannick @ 06:06
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En ce jour, huit février de l’année 1404, le roi de Corée Taejong (이단) tomba de cheval durant une partie de chasse.

Très embarrassé, il se releva, regarda autour de lui et ordonna qu’on ne laisse pas l’Histoire se souvenir de cette maladresse.

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King Taejong of Korea, who fell from his horse on 8th february 1404.

A sa grande déception, les historiens de la cour qui l’accompagnaient partout choisirent non seulement de décrire cette chute dans les annales de la dynastie Joseong, mais aussi de mentionner que le roi avait demandé que ça ne soit pas fait.

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Six-cent-dix-neuf ans plus tard, l’Institut National d’Histoire Coréenne maintient cet héritage pour la postérité.

Quand on prend conscience des efforts d’occultation ou de déformation que fournissent certains régimes politiques pour contrôler le passé, il n’est pas difficile de comprendre les enjeux liés à la manière dont l’histoire est collectée (d’abord), archivée (ensuite) et racontée (enfin). L’histoire est l’un des lieux intellectuels par excellence où se joue la recherche, la discussion, la transmission d’une vérité qui se doit d’être à la fois factuelle et honnête.

Et, en l’occurrence, les archivistes coréens sont des radicaux dans leur genre, depuis environ l’an 62 avant notre ère.

Il existe un récit où le roi Taejong (encore lui) se plaint (encore) d’un scribe qui s’était déguisé pour pouvoir l’espionner et constater de visu ses faits et gestes.

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Personne n’était autorisé à voir les archives du royaume, même pas le roi. L’un d’entre-eux essaya quand même et tua cinq des historiens dynastiques. Leurs collègues firent en sortent que ça ne se produise plus jamais, non pas en obéissant au roi, mais en interdisant la modification des archives officielles, qui devint un crime puni de mort.

Même lorsque des factions politiques rivales tentaient d’influencer les rédacteurs, ceux-ci notaient qui avait demandé quoi et notaient les révisions dans une autre archive. L’original restait ainsi distinct des autres.

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Ils faisaient également grand cas de ce que nous appellerions le back up de leurs données.

Il y avait quatre copies similaires et lorsque trois d’entre elles furent perdues dans les guerres d’Imjin, ils en firent cinq de plus pour être bien certains qu’un total de neuf copies ne pouvait pas disparaître totalement, surtout en étant stockées dans des lieux différents.

Un de ces exemplaires fut perdu lors d’une rébellion, un autre fut partiellement détruit lors d’une invasion, et l’envahisseur japonais en vola un qui fut transféré à l’université de Tokyo qui fut à son tour perdu lors du tremblement de terre de Kanto en 1923. Quarante-sept tomes des archives nationales coréennes furent préservés et restitués par le Japon en 2006.

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Désormais tout est disponible au format digital, traduit en coréen moderne, librement accessible par tout un chacun. C’est en ligne ici.

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Il en a fallu de la détermination, par des générations d’archivistes méticuleux, de copistes incorruptibles et d’historiens déterminés, et une administration soigneuse, pour rendre possible cette blague irrévérencieuse :

joyeux jour anniversaire au roi Taejong, qui tomba de cheval le 8 février 1404 !

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Mon train, ma crise 14 juin 2023


Le vendredi 9 juin 2023, la SNCF a connu un incident majeur sur les liaisons ferroviaires partant, ou arrivant, en gare de Paris Montparnasse.
J’étais dans la foule des anonymes qui se sont retrouvés coincés en gare.

-merci de noter que ceci n’est pas un post anti-SNCF.
Ce REX a vocation à faire en sorte que la prochaine fois, nous faisions moins pire, ou mieux. Si possible pas pire.-

Arrivé sur place vers 17h30, je me suis posé tranquillement dans un coin, tout en constatant qu’il y avait beaucoup de monde. Ce n’était pourtant pas un jour de grand départ en vacances ? Bizarre.
Après un moment, je me suis approché des voies pour vérifier d’où partirait mon train, et, là, je me suis retrouvé sous la zone sonore des haut-parleurs qui annonçaient un « problème électrique » et « des retards à prévoir ».

C’était donc cela, les crachouillis que j’entendais depuis le début, sans comprendre ce qui était dit.
La mauvaise sonorisation de la gare ne m’a pas permis d’être correctement informé alors même que j’étais déjà sur place.
(vous me direz : tu aurais pu te rapprocher des quais bien avant, crétin, et tu l’aurais eue cette information… Certes. Mais c’est le mode de fonctionnement normal d’une situation de crise, il faut considérer que tout le monde est diminué dans ses capacités, déboussolé, fatigué, pas attentif. En tant que crétin, je représente le niveau d’intelligence moyen)

En une heure, deux trains TGV sont partis de la gare, ce sont les seuls qui ont été annoncés avec la voix de « Simone« . Clairement audible, et suffisamment forte pour être entendue en surimpression des autres bruits de la gare.
Tous les autres messages étaient transmis par des vraies personnes, micro en main, gêne et stress dans la voix, et visiblement pas par le même circuit de haut-parleurs.

Au fur et à mesure que l’incident prenait de l’ampleur, les trains ne partant plus, les passagers s’accumulaient dans la gare. Et je veux dire partout dans la gare. L’escalier menant au Jardin Atlantique, sur le toit, était bondé. J’ai eu l’envie d’aller dehors prendre l’air… mais j’ai pensé que si je parvenais à sortir, il était bien possible que ne parvienne pas à revenir, compte-tenu de la foule.
Dans de nombreux endroits, il n’y avait pas la place pour s’asseoir, il fallait rester debout.
Quelqu’un a-t-il compté combien nous étions ? Dix mille ?

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Je n’ai pas eu le sentiment de dépasser le seuil des six personnes par mètre carré, zone de danger qui provoque les bousculades mortelles.
C’était un pur hasard -et une chance- car personne n’a semblé organiser la chose, afin qu’une bousculade ne se produise pas. Existe-t’il un système automatique de détection de la densité de la foule, pour éviter que le seuil potentiellement mortel de six personnes par mètre-carré soit atteint, ou dépassé ? J’ai un doute. Le risque de bousculade n’est qu’un exemple. La situation de crise doit considérer que la crise n’est qu’un risque. D’autres peuvent surgir. On appelle cela le risque de sur-accident et, croyez-moi, vous n’avez pas du tout envie que cela se produise.
C’est sans doute le point d’amélioration majeure qu’il faut signaler : la gestion de crise dans la gare et, plus généralement, pour les voyageurs en attente : j’y reviendrai ci-dessous.

Les heures passant, les écrans ont cessé d’afficher les retards en minutes, et des heures ont commencé à apparaître.

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Puisque la nature de l’incident était connue dès le début, quel était l’intérêt d’afficher des retards en minutes ? Une rupture de caténaire, c’est du lourd, au minimum trois à quatre heures d’intervention. Si le public est informé honnêtement, il peut prendre ses dispositions, à commencer par ne pas venir en gare. Ou aller s’acheter à manger pour le prochain repas. A l’inverse, ici, nous avons eu le sentiment d’une tentative de minimisation du retard.

Afficher la durée moyenne d’un incident, selon le type d’incident, est plus pertinent que d’afficher le retard probable au fur et à mesure qu’on reçoit l’information.


Certains commerces alimentaires en gare ont baissé leur rideau métallique à l’heure habituelle, 19h, d’autres ont poursuivi la vente, tant qu’ils avaient du stock à vendre.
Lorsque vous êtes immobilisé depuis des heures, l’impact psychologique de voir un rideau métallique se fermer n’est pas négligeable : ces gens-là partent, ils seront chez eux d’ici peu, et moi, personne ne se préoccupe de ma situation.

Pour ajouter à l’effet psychologique, les SMS automatiques s’accumulaient sur les téléphones. En cinq heures, j’en ai reçu vingt-et-un.

L’accès au(x) réseau(x), électricité, téléphone et internet, a permis de maintenir le lien entre les voyageurs et leurs proches, ou a permis d’accéder à une distraction bienvenue. C’est a minima un baume apposé sur votre stress.
En revanche, le réseau wifi public de la gare était inaccessible, je l’ai vu apparaître dans les « réseaux disponibles » sur mon téléphone vers vingt heures seulement. Et bien sûr, les batteries des appareils mobiles n’étant pas extensibles, les prises électriques de recharge devenaient une denrée convoitée.

D’une manière générale, la capacité d’auto-organisation, par les voyageurs eux-mêmes, a été remarquable. Voir les gens qui se parlent, le ton poli qu’ils adoptent, le fait qu’ils se dépannent, se prêtent des trucs, est un excellent indicateur (ou pas) de la solidarité collective qui règne. Une bonne illustration concerne le partage des prises de courant. Ceux qui arrivaient devant une prise déjà utilisée montraient que leur appareil était réellement à court d’énergie, batterie vide, et la personne présente avant eux leur cédait sa place.
Ailleurs, là où il n’y avait pas de prise accessible, j’ai personnellement dépanné deux personnes avec ma batterie externe (in Zendure i trust).
Cerise sur le gâteau, pour moi, mon téléphone était HS. Merci à la dame qui m’a prêté son téléphone pour que je passe un appel.


Vous n’avez aucune intimité. Grattez-vous le nez et tout le monde le verra. Mangez, vous mangerez en public. Si vous-vous déplacez, il vous faut embarquer tous vos bagages. Vous voilà confronté à l’expérience de l’exode. Vous êtes un nomade malgré vous, un réfugié. L’inconfort mental n’en prend que plus d’ampleur : vous évoluez dans une situation qui vous est totalement étrangère.
…et pendant toutes ces heures, la température ambiante était autour de 26 degrés. L’inconfort physique d’être immobile, debout ou assis, le brouhaha, le stress de vos voisins, la fatigue de la journée… tout cela est démultiplié par le fait que vous transpirez. Et ce n’est pas vrai que par temps chaud. Le froid génère le même sentiment d’être, à l’intérieur, aussi défraîchi que vos vêtements le sont à l’extérieur. Croyez-en quelqu’un qui aime l’hiver à Brest.
C’est donc aussi une expérience qui concerne toute votre personne. Corporelle, physique, mentale.

J’avais la chance de n’avoir que moi à m’occuper et de ne porter qu’un sac à dos moyennement lourd. Je l’ai déjà dit, et je le redirai : le voyageur heureux voyage léger.
Ce n’était pas le cas des gens voyageant avec des enfants, avec des animaux, ou ceux qui se retrouvaient dans l’obligation de gérer quelqu’un d’autre, loin, auprès de qui ils étaient censés déjà être. La force avec laquelle les gens s’agrippent à leur téléphone portable quand ils parlent est un bon indicateur de leur niveau de tension nerveuse. C’est comme ça que j’ai assisté au spectacle d’un papa en costume-cravate, parlant au téléphone avec son enfant, et lui expliquant où trouver la salade de riz et la vinaigrette dans le frigo familial.
Il n’était pas stressé par sa situation à lui, en gare, il était stressé par la situation de cet autre, lointain.
J’espère que sa batterie a duré encore longtemps.

Et durant toutes ces heures, la vie locale continue.
Des Parisiens traversaient la gare avec leur vélo… ou du moins ils s’engageaient pour le faire, se rendaient compte qu’ils ne pouvaient pas avancer, mettaient leur vélo au-dessus de leur tête et progressaient à travers la foule (avec précaution car il ne s’agissait pas de trébucher et de tomber sur autrui).
Davantage que les vélos (ou les trottinettes), le type de matériel que j’ai vu poser le plus de problèmes était les valises à roulettes.
La valise à roulettes est une plaie. Son usage n’est plus approprié quand il y a foule, et pourtant personne ne pense à rabattre le bras télescopique et à la porter à la main.
Dès lors, la personne qui vous suit se prend les pieds dedans quand vous ralentissez le pas. La personne qui va vous croiser doit recalculer sa trajectoire pour ne pas percuter cet objet traître qui vous suit à ras du sol. Quand vous tournez, elle tape les mollets, tibias, ou coins de murs. Elle fait tomber les valises immobiles des autres personnes. Elle se prend dans les sangles et les robes longues.
Toute file d’attente s’allonge proportionnellement de la distance de tous les gens qui traînent leur valise derrière eux.
…et leur utilisateur ne peut même pas s’en servir comme tabouret, car elles ne sont pas faites pour ça.
Au moins, pour ceux qui ne sont pas concernés, ça fait un spectacle amusant.

Vers 22h, il a semblé y avoir de l’animation. Des gens marchaient vite à travers la foule (ou essayaient de le faire). Il faut noter que le sentiment d’urgence n’était pas assez présent pour qu’il y ait une bousculade.
Puis, parvenus devant le quai (le n°7 si je me souviens bien), certains couraient comme des dératés et montaient dans un TGV.
Où vont-ils ? Est-ce qu’il s’agit de mon train ? C’est la question que dix mille personnes se posent simultanément.
Aucun affichage, ni aucun message sonore pour préciser la destination, ou les gares desservies. Une trentaine de voyageurs se sont engouffrés dans ce train. Le train est parti. Personne n’a su vers où. Je suis certain que certains voyageurs sont montés dedans sans savoir où ils allaient atterrir à l’arrivée.
Et les autres, comment ont-ils su ?!

C’est le moment où j’ai assisté à un esclandre : un voyageur s’est énervé face à un agent SNCF, pour lui intimer de dire où était parti ce train. Mais hélas, le personnel SNCF ne génère pas l’information utile par magie. Personne ne savait.
Attendre des heures, passe encore, hein. Mais si, en plus, les trains partent sans qu’on sache s’il aurait fallu qu’on soit dedans… les autres personnes alentour n’étaient pas suffisamment exaspérées pour que l’énervement d’un seul les contamine tous. N’empêche, cela aurait pu être l’étincelle qui met le feu aux poudres.
Pour autant, en six heures d’attente en gare, je n’ai vu que deux fois des gens crier, perdre leur sang-froid à juste titre, et s’énerver réellement. Et c’est un pur hasard que, finalement, tout se soit aussi bien passé. C’était une crise, pas une catastrophe. N’importe quelle perturbation supplémentaire aurait pu pousser la foule au-delà du supportable (le sur-accident, souvenez-vous). Car je suis convaincu que cela aurait pu être vraiment catastrophique. Le stress est très contagieux. La peur est hautement contagieuse. Et comme il n’y avait aucune gestion, par aucune figure d’autorité quelconque, cela aurait très bien pu se produire. La prochaine fois, peut-être ?

COJO 2024, ça vous concerne aussi.


J’attire ici votre attention sur le fait que de courageux agents SNCF étaient présents, (les « volontaires de l’information »)… et il leur en a fallu du courage, car ils en savaient aussi peu que tous les autres.
C’est en allant à tout hasard vérifier s’ils savaient quelque chose, devant le quai n°1, que je me suis rendu compte qu’il y avait un énorme stock de bouteilles d’eau offertes gratuitement. Et cinq policiers, juste à côté, qui étaient là pour… quoi ? Pour protéger l’eau ?
Personne n’était au courant qu’il y avait cette eau. Il n’y a eu aucune annonce.

C’est là que l’idée a germé en moi : les problèmes de circulation des trains sont une chose. Ça dure des heures et c’est un gros souci. La préoccupation d’informer les voyageurs est évidemment légitime -et requise- de la part de la SNCF.
Mais… mais, ce n’est pas ce qui compte quand vous attendez depuis cinq heures, le cul posé sur du béton. Vous avez besoin de constater que la situation est gérée, là où est posé votre cul.
C’est ce qui a manqué en ce vendredi 9 juin : l’organisation et la coordination de l’aide, en gare, ou dans les trains immobilisés. Distribution d’eau. De ration-repas. Accès aux toilettes. Soin psychologique de tranquillisation. Couvertures. Serviettes hygiéniques. Lingette et couches bébé. Gestion des situations individuelles d’urgence. Éventuellement actions de secourisme.
Quelque chose dont le centre de gravité consisterait à dire : Ecoutez, c’est le bordel, on est au courant. On n’en sait pas plus que vous sur les trains, mais on va faire en sorte que, ici, ça se passe le moins mal possible en attendant.
Les secouristes appellent cela les situations « à moyens dépassés » : agir pour gérer un pan de la situation, celle sur laquelle vous avez les moyens et les compétences pour agir. C’est précisément ce qui ne s’est pas produit. La SNCF, en tant qu’institution, ne sait visiblement pas faire cela. Et peut-être n’est-ce pas à elle de le faire. C’est le cœur de métier d’organismes comme la Croix-Rouge, ou de la Protection Civile, pour n’en citer que deux.

Bref, le sentiment d’abandon était palpable. Les voyageurs l’avaient, mais aussi les cheminots, balancés par leur propre employeur devant dix mille personnes, pour faire de l’information, alors qu’eux-mêmes n’avaient pas d’information. Leur seule option était d’appliquer la mère de toutes les procédures : la PBM.
Salutations à celui qui m’a avoué son impuissance d’un long regard entendu, en transpirant à grosses gouttes. Davantage que moi.

Le sentiment d’abandon allait donc croissant, renforcé par les différents magasins qui fermaient leurs portes au fur et à mesure que la soirée avançait. Et la lumière du jour qui diminue.
Nous avons commencé à penser qu’une nuit en gare n’était pas irréaliste.
Pour certains Parisiens venus prendre un train à Montparnasse, le demi-tour n’était plus possible, car leurs propres trains de banlieue avaient terminé leur activité pour la journée. Eux aussi se retrouvaient immobilisés.

Sur les écrans, le délai de retard pour les trains dépassait les trois heures.
La voix de Simone annonça un train en provenance Brest, arrivant en gare avec un retard de quatre heures. Applaudissements de la foule. Était-ce un soutien aux passagers qui arrivaient ? L’espoir que ce train serait le leur quand il repartirait ? Un sarcasme à l’égard de Simone ?
Toujours est-il qu’un trajet Brest-Paris dure six heures. Avec quatre heures de retard, ces voyageurs débarquaient donc après 10 heures dans un train. Il n’y avait personne pour les accueillir, pour une bouteille d’eau, ou pour je-ne-sais-quoi.
J’insiste sur le fait que, même si personne n’a besoin de rien, la simple présence de quelqu’un « au cas où » est déjà la preuve que l’institution qui vous a fait voyager s’est préoccupée de votre sort. Et eux, dans les trains, ils ont dû l’avoir ce sentiment d’abandon, de délaissement, de non-empathie…
Car le pire, en situation de crise, est le sentiment d’enfermement (réel ou imaginé). En gare, nous étions immobilisés. Mais la gare est vaste. C’est grand, il y a visuellement de l’espace et vous pouvez toujours sortir. Dans un train, c’est l’opposé. C’est dans les trains bloqués que la situation est la pire. Je serais bien curieux d’avoir l’avis de celles et ceux qui étaient dedans. Il y a eu environ quarante trains bloqués. Minimum 500 personnes par train, si c’est un duplex mono-rame. Le double, dans un duplex double-rame. Vingt à quarante mille personnes en rase campagne. Quarante trains, quarante équipes d’assistance auraient pu être dépechées vers eux par les organismes dont je parlais ci-dessus, guidés sur les emprises ferroviaires par des professionnels du train. Ça n’a pas été le cas.
L’étuve, peut-être l’absence d’électricité, le noir, peut-être pas de réseau téléphonique ou internet, peut-être pas de toilettes fonctionnelles, ni d’eau, ni de clim. La transpiration. Le CO2. Et des gens qui se mettent à avoir le souffle court. Qui paniquent. C’est dans ces situations que des passagers forcent l’ouverture des portes et descendent en pleine voie, parce que oui c’est dangereux, mais à leurs yeux, c’est moins pire que de demeurer enfermés.

Les heures passaient. Lentement. C’est étrange cette extensibilité du temps, quand on n’a pas envie d’être là. Certains s’extirpaient de la foule, dans le grand hall, pour se poser davantage à l’écart sur les quais le long des voies.
A cet endroit, il n’était plus possible d’avoir un contact visuel direct avec les écrans d’affichage -le doudou auquel chacun se rattachait jusque-là-. C’était le signe que ces personnes renonçaient à avoir une information rapide, ou une information tout court. Une réorganisation subtile se met en place : certains se positionnent pour dormir sur place. Et le fait est que tout a totalement été interrompu en gare Montparnasse à minuit, jusqu’à la reprise du service le samedi matin.

Et puis, miracle, un micro grésille. Votre train est annoncé. La totalité des passagers concernés siffle et applaudit et crie. Le soulagement.
Et deux fois 500 passagers se mettent en mouvement, un fleuve parmi la foule, sous les regards curieux des malchanceux dont le train n’a pas été annoncé. « Bon retour ! » « Merci ! » « Bon courage à vous ! » « Bonne nuit ! »

Vous montez dans votre train, après avoir vérifié la bonne destination et, par précaution, après avoir demandé confirmation à vos voisins. C’est le bon. On monte dedans. Expérience étrangement familière.
On ne s’attend plus à aucun standard habituel. Mettez-le en route, et on arrivera quand on arrivera. Finalement, c’est le standard minimal, celui qui compte.
Trois fois le départ imminent est annoncé. La quatrième fois est la bonne. Le paysage bouge derrière les vitres. On est partis.
Il y a des passagers assis dans les escaliers de la rame duplex, d’autres sont assis par terre. C’est la destination l’important, pas le fait d’avoir un billet en règle. Un jeune militaire avec son immense sac est allongé sur le sol. Il semble dormir déjà, la joue sur la moquette. Il a sans doute connu pire.

Courageusement, l’équipe de bord fait un passage dans les couloirs. Ce soir, ils ne feront d’action de contrôle des billets…
Leur présence rend visible le fait que les voyageurs ne sont pas laissés à eux-mêmes, contrairement à la gare. Personne ne fera de remarque désobligeante. Pour autant, il n’y aura pas la question « est-ce que quelqu’un a besoin de quelque chose ? ». Et, en voiture bar, il n’y aura rien d’offert.

L’annonce en cours de voyage fait rire tout le monde : heure d’arrivée à Nantes 2h15 du matin. Le train à destination de Pornic arrivera une heure après. L’autre train à destination des Sables-d’Olonne se détachera à Nantes et poursuivra son chemin pour arriver vers quatre heures trente.
C’est tellement grotesque que c’est drôle. Lorsque la chef de bord annonce les horaires, nous entendons, dans son micro, les autres passagers éclater de rire aussi.
Bon. On est dans le bon train, il est en route. Le reste… on n’est plus à ça près.

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L’heure qui compte : 1h21 du matin. Les autres horaires affichés sont ceux, théoriques, de votre voyage initial, qui vous rappellent à quel point vous êtes vraiment en retard.

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Et puis après un moment, le cliquetis du micro se fait à nouveau entendre. Il vous réveille.
Tout compte fait, le train sera terminus Nantes. Les passagers à destination de Pornic et Sables d’Olonne dormiront à Nantes dans une rame-dortoir.
Un message sans précaution. Dépité. La chef de bord elle-même a du mal à dire les mots. Elle n’est que la messagère, ce n’est pas elle qui est à l’origine de cette énième contrainte.
En France en effet, ce sont les régions qui sont les Autorités Organisatrices des transports. Et il se trouve qu’en région Pays de Loire, les circulations ferroviaires ne fonctionnent pas la nuit. En tant que voyageur impliqué, je reformule : cette nuit, même cette nuit, spécifiquement, personne n’a fait en sorte qu’elles fonctionnent. Bref. Le voyage ne pouvait pas se poursuivre.
Cet aménagement organisationnel et ce découpage administratif auront eu pour conséquence d’empirer la crise pour ceux qui la vivaient.
Vérification faite, le lendemain, tous ces gens auront passé la nuit, assis, dans une autre rame de TGV, et se seront fait sortir à 6h, car le train en question devait être mis en mouvement.
J’espère que quelqu’un a pensé à leur sécurité, la nuit, et à ne pas leur faire payer le petit-déjeuner.
A partir d’un poste de coordination de crise à Montparnasse, d’autres PC Crise auraient pu être activés dans toute les gares de France au fur et à mesure qu’y arrivaient (tardivement) des trains en provenance de Paris.
Dans les préfectures, ou les services administratifs régionaux, cette nuit-là, combien de personnes ont été réveillées et sollicitées pour « faire quelque chose » à ce sujet ? Il n’y a pas eu de coordination inter-services.

Donc, bon gré mal gré, vous arrivez à destination.
Au sortir du train, visages fatigués mais sourires et humour. « Bonne continuation » « Bonne nuit » « Bon courage pour la suite » « Après vous, je vous en prie, on n’est plus à ça près… »
Et vous-vous retrouvez sur le quai, seul avec tous les autres, sans personne pour s’enquérir de vos éventuelles urgences, sans personne pour vous remettre un dépliant avec l’adresse internet de la « garantie G30 », ou une bouteille d’eau, ou, un bon de prise en charge par un taxi.
Depuis le début, le sentiment d’abandon était présent, il se confirme dans ces dernières minutes en gare. L’absence d’empathie de la part de toutes les institutions concernées vous laisse un goût amer, parce que si c’est arrivé ce soir, c’est que ça se reproduira. C’est un problème d’organisation, pas de technologie.
Vous rentrez donc chez vous comme vous pouvez (et si vous pouvez), une douche, et dodo.

Le lendemain, vous fouillez sur internet pour demander le remboursement de votre billet de train. Vous n’avez pas reçu un texto pour vous simplifier la tâche.
Vous tombez sur une page du site web SNCF, qui vous renvoie vers un chatbot, qui lui-même vous demande niaisement : « Dites-moi quel est l’objet de votre visite, ou laissez-vous guider par les boutons ci-dessous ».
Dis-donc bonhomme, t’es pas au courant ? Il faut en plus que je te dise pourquoi je suis là ?! C’est la cerise sur le gâteau, en termes d’expérience utilisateur. Je l’ai dit et je le redirai : l’UX, ce n’est pas que les écrans. Loin de là, même.
…et dans la mesure où chaque billet TGV est nominatif, l’entreprise ferroviaire sait déjà qui a acheté un billet. Le remboursement pourrait être automatique, avec un mail de confirmation qui vous en informe.
Ça ne sera pas le cas. Et personne ne s’enquerra des dépenses supplémentaires, et annexes au voyage, que vous auriez pu engager lors de cette mésaventure.

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Under fire 26 Mai 2023


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L’assaut du pont de Verbanja : dimanche 27 mai 1995.

Dans la nuit du samedi au dimanche, des combattants serbes (République Serbe de Bosnie) vêtus d’uniformes français volés prennent possession du poste d’observation Sierra Victor géré par l’armée française, sous mandat de l’ONU. Pas un coup de feu n’est tiré et 11 soldats sont faits prisonniers.
Outre l’évidente humiliation militaire pour les Français, la perte de contrôle du pont de Verbanja (Vrbanja) donne aux Serbes la possibilité d’élargir leur contrôle de la ville de Sarajevo et de menacer la population civile qui s’y trouve. Au petit matin, décision est prise de recourir à la force pour reprendre le contrôle de cet avant-poste…

Jusqu’à ce jour, c’est le dernier assaut mené par l’armée française avec les baïonnettes aux canons.

Le compte rendu de l’assaut est rédigé par le lieutenant Héluin, du 3e régiment d’Infanterie de Marine (3e RIMa) à l’époque. Ce témoignage reste un modèle du genre en ce qu’il donne à voir ce qui fait le combat : vaincre sa peur, puis parvenir à se mouvoir, sous le feu.
Bruno Héluin est aujourd’hui colonel, détaché à l’OTAN après avoir été chef d’état-major de la 9e Brigade d’Infanterie de Marine (BIMa), à Poitiers. Le capitaine Lecointre de 1995 est aujourd’hui général, chef d’état-major des Armées.
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Le 27 mai 2015, ce document est publié sur ce blog par mes soins, traduit pour la première fois en anglais, à l’occasion des 20 ans de cette bataille.

La version française originale fut publiée pages 7 – 9 dans ce numéro des Cahiers de la Réflexion Doctrinale (Ministère de la Défense).

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In 2015, 20 years after the events, i translated the firsthand report of the assault led by french troops against the VRS forces (Serbs) in 1995. It was written by its main protagonist, Bruno Héluin, who is now the french envoy for NATO at the Norfolk military base.

Many of you maybe weren’t even born at that time, during the Yugoslavian civil war of 1991 – 2001… many others will have never heard of this battle. But in no case are we allowed to forget the chaos, raw violence and the training and mental skills needed to even manage to move in such situations. Because this is what combat is made of : the ability to overcome your fear, then to move, under fire.

It’s the only version published in english. And until now, it’s been the last assault by french troops led with fixed bayonets.
Read below, or click here to open in .pdf Under Fire.

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Under fire

« May, 27th 1995, 08:45 am.

I am lieutenant Héluin, leading the first squad of the 3rd RIMa forbans (1) and i’m walking across the streets bordering the jew cemetary towards the bridge of Verbanja.
About an hour ago, i have been assigned a very simple mission : retake the french outpost along the bridge, that the Tchetniks (2) overtook during the night.

My plan is to attack simultaneously the three small bunkers with a group of three pairs of soldiers (3) for each of these targets. Each pair has a precise arriving point.
I left my adjunct behind with the armoured VAB (4), the snipers with a Mac Millan shotgun and the antitank shooters. His task is to provide support fire from the heights. When i gave him that order, he looked at me, desperate : « Lieutenant, you can’t do that ! ».
Captain Lecointre is with us to manage the squads’ environment, especially the support fire of the RICM (5).

Guided by a bosnian soldier we arrive inVrbanja_bridge_span_view sight of the outpost.
I regroup the squad and realize we’ve left in the VAB the two doors we were supposed to use to pass over the barb-wires, poor kit by lack of an appropriate material.
Nevermind. I look at my marsouins(6). They’re calm and silent. Just like them, i feel strangely serene. It’s true that since i woke up, three hours ago, i’ve not had a minute to think about the danger.
I have an absolute trust in my chief and in my men.

On my call, we run downhill bayonet at gunpoint in the trench about fifty meters from the first target, supported by a bosnian cover fire. We’re wearing complete ballistic protections, those designed specificaly for idle guards. Some of my men are in full dress uniform. They didn’t knew, a few hours ago, that today’s high point wouldn’t be the expected military parade but an assault.
First, i throw in Le Couric and his group towards the farthest target, the western guard post. I see them running, then stopping in front of the barb-wires surrounding the post. They’re unable to pass over and the bullets begin to fly from the Prisunic building overhanging them. A 90mm shell strikes it followed by 7,62 and 20mm bursts coming from our RICM squads. We’re now into a bubble of explosions, fireshots, bangings, whistlings and impacts.
Powerless in front of the barb-wires, a marsouin is dazed looking at his perforated thigh. Another has two fingers cut off. A bullet is stopped by his neck protection. They’ll stay on site, without any morphine because it’s been forbidden in the emergency medical kits by fear of addiction.
Two other guys are literally emptied of their energy because of the violence surrounding them, they’re like ragdolls. The group is out of action.
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My plan has been put to the test and it has lasted two minutes thirty seconds. I have to react immediately. Instead of catching the three targets simultaneously, we’ll clean them up one after the other beginning with the eastern guard post. We’re all going to pass the barb-wires in front of us, 90 degrees from those that stopped the first group but beyond a no man’s land of fifty meters in the Serbs’ line of fire.
I rush towards the Miljaca river followed by the second group, while the other marsouins return fire against the ennemy snipers in the nearest building.
On my left side, Dannat, the paramedic, falls down with a perforated lung. He raises up and walks to the rear, crossing the looks of the others walking to the frontline, hypnotized by the blood flowing on his arm.
On my right, Djaouti falls down. I am now facing the barb-wires and despite the twelve kilos of my bulletproof vest, my weaponry and my useless PP39 radio, i manage to pass over the wires followed by my men. We find ourselves in the middle of antitank hedgehogs and turn left towards the target.
Bullet rounds begin to fall on us like in Gravelotte (7).
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My brain is like the focal of a huge camera. At the moment, i am in panoramic mode. I turn around and see my minimi shooters firing on all doors and windows of the Prisunic building. One of them, Coat, runs to a wounded guy and takes his ammo. The guy carries a FAMAS gun (8), which ammo doesn’t fit into the minimi : he has to unload each round and reload each again in his own magazine. Suddenly his head has a strange movement and he falls on his side.

I continue my way toward the earth barricade that protects the target’s entryway. I feel the need to open fire but my gun refuses to work. I think i should stop to check it, but i have no time.
At no moment do i think i may have forgotten to arm the weapon.
To my side, Dupuch stops : « i’m wounded ». He checks himself for a second « No, it’s all good ! » and resumes his run. Indeed, he’s really been shot at, but the bullet has pierced his gourd and got stuck in his flashlight. We stockpile ourselves on the barricade in front of the entryway.

A few seconds ago i was working in panoramic mode, now nothing exists except the barb-wires through which i throw the grenade that Dupuch gave me.
Explosion.
I run bayonet forward, firmly decided to skewer the first Serb that will cross the corridor. The men are glued at my side, two by two. We’re hardly ten fighters, one-third of the initial number. The squads quickly refitted in one assault element, lead by me with buddies progressively added during the action and a second element designed to protect our backs and « clean up ».
One move and Dupuch runs into the eastern guard post, while Llorente throws a grenade in the toilets’ corridor. Humblot and Jego follow up, i send them on the roof to support us from above.
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We resume toward the second target : a container we used to live in before the Serbs took possession of the area. Delcourt comes forward in the corridor when a burst forces him to back off. I get a grenade from captain Lecointre and throws it beyond the curtain that separates the container in two.
When i surge into what had been our dining room, i see a wall of fire raising and sliding above me on the ceiling. I shout : « the gas cylinder ! »
Dupuch and Delcourt back off hastily. Half a second later i hear a terrible blast and i see very clearly a small object rushing at me in a background of flames.
I feel like i’m in a slow motion movie. My left eye is violently hurt and i’m pulled backwards while a spit of blood is thrown the other way. The men look at me and hesitate.
I mumble what i think are clear orders to have them moving forward. I have some more time left to tell the captain i don’t feel very good, then i collapse on the floor.
I get conscious again a moment later, awakened by the impacts of bullets in the earth bags i’m sitting on. I’m covered by blood. I raise up, leave the building towards the Miljaca river. An explosion sends me back inside. I am like a little mouse in a labyrinth, banging on the walls.
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My brain is working intermittently. I see a marsouin aiming at the last building kept by the Serbs.
« What you doing there ? »
« This is where i was supposed to be, at the end. »
In the complete chaos of battle, this man held to the orders i gave him before the assault.

Then i understand the captain is leading the fight since i collapsed. He is determined to eliminate the Serbs in the remaining room and save the French hostages. With the bunch of guys remaining, he shoots down two Tchetniks.
One of them smiles and says « French, good fighters ! » but the others manage to escape with the last prisoner. On the radio, i call Cheick and orders to send a sniper and an antitank shooter. I want to put them in front of the building.
I walk in the devastated outpost. In the living area, there are three Serb prisoners and a corpse, also Serb, lying in the middle.
Lance-corporal Jego comes at me. I notice his gourd and one of his magazine are perforated. He took a burst in the belly and the bullets were stopped by his kit. His voice is broken : « Humblot is still on the roof. He’s wounded and don’t answer my calls. »
I put myself in support fire, facing the building that overlooks us, while Mandart and captain Labuze go and get Humblot to safety. They’re lying him near the ladder right when the doctor arrives. He checks the pulse and looks at me. « Sorry. Finished for him. »
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The fight is over. I hear that Amaru has been shot by a sniper while he was firing at the buildings from the unprotected turret of his VAB. Seventeen other marsouins are wounded, three of them critically. We killed four Serbs in the outpost and four more are our prisoners. I don’t know the ennemy casualties in the surrounding buildings.
Erring in the corridors, waiting to be relieved, i come across a lance-corporal who tells me to go see a doctor. I walk towards the medical VAB, riddled with impacts, that stopped right before the entryway and i become outraged : « It’s not a lance-copropral who’s gonna give me orders ! » and walk back where i came from. The guy sees me and insists « Lieutenant, you must see a doc ! »
I answer « Oh, okay » and leave again.

Outside, the ground is covered by pieces of kit ripped from the wounded to give them emergency care.
There are many magazines, most of them half-full.
Many guys used the moments of calm to throw away their magazines and replenish with new, full ones. We have used 4.000 rounds in less than ten minutes on the surface of one hectare (about 2,47 acres).

By 10:30am, the platoon of lieutenant Provendier comes to take over the guard from us.
A few minutes earlier, they didn’t even knew an assault had been led. Guys are mute and open great eyes when they see me. I think : « none of them salutes. What’s that mess ! »
I bring Provendier inside to brief him. I get a table, a pen and begin to draw. I don’t even notice the Serb corpse at my feet. My blood is dripping on the paper and it’s when i wipe it with my sleeve that i understand the situation might not be so normal.

My orders given i get with the survivors in a VAB heading to our base, in the Skanderja ice-rink (9). We’re haggards.
Once in Skanderja, we get medical attention then at around 01:00pm i leave with the wounded guys to the military hospital. As soon i lay in my bed, i collapse, exhausted. »
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— NOTES :
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(1) : 3rd Marine Infantry Regiment (french army). Forbans is the nickname of its soldiers, meaning Pirates. About 30 of them were involved in the direct assault.
(2) : irregular soldier, either Serb, Bosnian or else.
(3) : a pair of soldiers going together is called binôme : the association of two fighters complementary to one another. During this assault, one knew the inside settings of the target, not the other one.
(4) : the VAB is an amphibious four-wheeled armoured personnel carrier seating 10 + 2, mounted with an open turret and 7,62 machine gun in its combat version. Also exists as a medical vanguard vehicle, without mounted armament.
(5) : Marine Armoured Cavalry Regiment. About 70 of them were involved in the support fire.
(6) : Marsouin is the usual nickname for soldiers serving in the french marine infantry. Meaning Porpoise.
(7) : The small village of Gravelotte, well known for a famously violent battle between France and Germany on 18 august 1870.
(8) : the service assault rifle of all french soldiers.
(9) : at the time of the Yougoslavian war, the french army headquarters were located in the compound of Sarajevo ice rink.
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[EN :] Check the video below for an account of the events by those who lead the action.
[FR :] Vous trouverez d’autres détails de l’histoire sur ce lien Youtube :

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Sujets de dév 16 février 2022


A la suite des sujets de thèse, je propose ici deux sujets de développement informatique qui pourraient trouver vite preneur. Parce que, pour reprendre un célèbre slogan, il devrait déjà y avoir une appli pour ça…

Si toutefois vous attaquez un jour un projet digital sur la base de ces propositions, je serais très ravi d’être cité comme source.
Appelons cela une rétribution symbolique.

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Propositions de méta-fonctions d’utilisabilité :

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  • Pouvoir basculer tout l’affichage d’un système au profit d’un utilisateur gaucher. Cette particularité physique concerne 8 à 15% d’une population, mettons une moyenne de 10%, ce qui nous donne potentiellement 4,3 millions d’utilisateurs adultes, rien qu’en France.
    Les boutons d’action, les scroll bars, les menus, etc. tout devrait pouvoir basculer du bon côté, du point de vue d’un gaucher.

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  • Pouvoir basculer l’affichage des couleurs d’un système au profit d’un utilisateur daltonien. Cette particularité physique (qui n’est pas que la non-reconnaissance du vert et du rouge) concerne 8 à 10% d’une population.
    L’affichage de n’importe quoi devrait être aussi lisible et non ambigu du point de vue d’un daltonien que d’une personne non concernée par cette affection.

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Lecture d’hiver : L’incident Grajagan 2 décembre 2021

Filed under: organisation — Yannick @ 16:09
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« Ce n’est pas tous les jours que quarante-six otages prennent les armes contre une unité combattante de l’État islamique en Orient.
Dans ce maelström, quelles étaient les probabilités qu’un surfeur désœuvré devienne le compagnon de route d’une comtesse, secouriste de guerre, bien déterminée à faire traduire le responsable de leur calvaire en justice ?
Des Philippines à la pointe du Raz, ce roman fait voler en éclats les stéréotypes et questionne les multiples fanatismes qui font notre actualité.
Terrorisme religieux, capitalisme prédateur et surveillance généralisée, à commencer par celle que la France veut mettre en place, puisqu’elle vient d’élire un président d’extrême-droite…
Ce sont des années folles.
Bienvenue au XXIe siècle. »

 

 

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Un guide d’entretien ethnographique 29 octobre 2021

Filed under: organisation — Yannick @ 20:00
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La recherche qualitative cherche à décrire un contexte social et des motifs d’action ou de prise de décision.
Les données sont collectées par l’immersion passive ou l’observation participante. Comme habituellement dans le domaine de l’ethnologie, la prise de contact directe et in situ est toujours privilégiée par rapport aux méthodes indirectes.

Mais, au-delà de l’immersion dans un groupe pour le comprendre de l’intérieur, les chercheurs peuvent recourir à la technique d’entretien semi-directif, qui se mène en tête à tête, après une mise en confiance des deux interlocuteurs.

Dans le jargon des ethnologues, la personne avec qui elles / ils parlent est appelée un informateur / informatrice. Dans le monde du design et de l’UX, il s’agit d’une utilisatrice(eur).
Ce type d’interview est qualitatif et vise à identifier des axes structurels de comportements.
Il ne s’agit donc pas de dérouler un questionnaire quantitatif et de cocher une liste de questions pour lesquelles on aura recueilli des réponses (vous n’allez pas faire un « sondage »). Au contraire : l’entretien semi-directif permet d’obtenir une grande subtilité de compréhension, grâce à une discussion ouverte et approfondie avec la personne en face de vous.
Répétez après moi : je ne vais pas faire un sondage, je vais avoir une conversation.

A ce titre, pour favoriser la liberté de parole, l’anonymat des personnes doit être garanti (non nominatif, pas d’identification dans la prise de notes). Il est de votre responsabilité de ne pas dire, ensuite, qui-vous-a-dit-quoi. Si quelqu’un vous le demande, d’ailleurs, ce sera extrêmement suspect et on approche de la violation du secret professionnel.
Dans mon petit carnet de notes (in Moleskine i trust), j’ai des verbatims, des descriptions, des gribouillis de schémas, des impressions en temps réel, et je n’ai aucun nom de famille, seulement des prénoms et souvent parfois même pas les vrais prénoms. Les seules critères d’identification sont les miens, pour que l’âme charitable qui retrouve mon carnet perdu puisse me joindre et me le rendre. Une loi de type RGPD ne s’applique pas à mon carnet car je n’y stocke aucune information qui permettrait de retrouver ou d’identifier mes interlocuteurs, directement ou indirectement.

L’anonymat des interviewés est moins absolu dans certains contextes, notamment pour la recherche UX et le monde du travail en général. A ce titre, vous devez recueillir le consentement écrit par un formulaire-type… en comptant sur le fait que n’importe qui a toujours parfaitement le droit de refuser.
Ce droit au refus s’applique non seulement à la prise d’image mais à l’interview lui-même. N’importe qui a le droit de refuser une interview, un enregistrement, une question spécifique, une prise image, sans raison particulière. Ca fait partie du respect que vous leur devez d’accepter sans insister.

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Repeat after me : I am not going to do a ‘poll’, i am going to have a qualitative conversation.
Welcome to ethnographic interviews.

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I. Questions de Grand Tour
L’objectif des questions « Grand Tour » est de découvrir de la bouche même de la personne interviewée les noms des lieux et des objets tel qu’elle les nomme.
C’est aussi l’opportunité d’entendre cette personne parler ou décrire des événements ou des activités tel qu’elle les comprend.
Il s’agit pour le chercheur de comprendre les interrelations de tous ces éléments du point de vue de la personne interviewée.

Il y a quatre grands types de questions Grand Tour :
Vue d’ensemble,
Vue spécifique
Exploration guidée
Grand tour d’une activité.

Exemples
A. Vue d’ensemble (zoom out)
Demander à l’informateur de généraliser, de parler des grandes catégories d’événements :
• Pouvez-vous me décrire une journée normale dans votre travail ?
• Pouvez-vous dessiner le circuit de création d’un passeport, de la demande initiale jusqu’au document mis à disposition du demandeur ?
B. Vue spécifique (zoom in)
Demander à l’informateur de préciser les détails d’un événement spécifique ou ce qu’il a fait un jour précis.
• Pouvez-vous décrire avec vos mots ce qui s’est passé quand vous avez appelé le service d’assistance technique, du début à la fin ?
• Parlez-moi de la dernière fois où vous avez utilisé la foreuse à trépan.
C. Exploration guidée
Demander à l’informateur de vous guider sur son lieu de travail [ou autre] ou de l’accompagner lorsqu’il/elle accomplit une certaine activité. L’acte guidé est alors le support de la description par l’informateur.
• Pourriez-vous me faire visiter l’atelier de carrossage ?
• Puis-je assister à votre après-midi d’appels téléphoniques aux clients ?
D. Grand Tour d’une activité
Demander à l’informateur de réaliser une action et de la décrire à voix haute pour vous aider à en comprendre le contexte.
• Pouvez-vous me montrer comment vous faites pour faire [ceci] ou pour utiliser [cela] ? (Je vais filmer vos mains sur le clavier et ce qu’affiche l’écran)
• Est-ce que je peux vous filmer utiliser la découpeuse et vous poser des questions après ça ?

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II. Questions de Mini-Tour
L’objectif d’un Mini Tour est similaire au Grand Tour, avec une emphase beaucoup plus prononcée sur les détails, les nuances entre les différents éléments ou les sous-catégories tel que l’informateur les exprime.
Par exemple vous avez demandé à un informateur de vous parler de sa journée de travail en agence bancaire et il répète plusieurs fois « …et après je passe le dossier dans le logiciel AAA. » La répétition d’un fait dans la discussion doit attirer votre attention : à ce stade, vous pouvez vouloir lui poser une question de Mini Tour telle que : « Pouvez-vous me décrire ce qu’il fait, ce logiciel AAA ? »

La question de Mini Tour est comme poser une loupe sur un lieu ou une activité dont vous pensez qu’elle peut être importante.

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III. Questions par l’exemple
Les questions par l’exemple sont prégnantes dans tout entretien ethnographique.
Un informateur peut dire « Ces sujets de réglementation RGPD me causent du souci. Mon manager insiste beaucoup là-dessus » et vous pourriez répondre : « Pouvez-vous me donner un exemple du genre de souci dont vous parlez ? »
A première vue l’idée de ‘souci’ peut sembler simple et intuitive, mais les différences entre ce que vous en comprenez et ce que votre interlocuteur désigne peuvent être significativement importantes. C’est votre travail, en entretien, de clarifier ce à-quoi pense réellement la personne. Elle peut reformuler, faire un schéma, comparer… n’importe quoi qui permette de lever les ambiguïtés.

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IV. Questions d’expérience
Les questions ouvertes liées à l’expérience vécue sont très souvent utilisées lors d’une discussion Grand Tour ou Mini Tour.
« Pourriez-vous me parler de certaines expériences que vous avez vécues en conduisant ce modèle de camion ? »

! Pour votre interlocuteur, il peut être difficile de verbaliser les routines et « les choses normales », ce qui amène souvent à la description d’anecdotes liées à des problèmes, alors que les problèmes ne sont pas forcément une composante typique de l’expérience en général. Vous aurez connaissance de ce « en général » par le recours aux questions de Grand Tour qui concernent la vue d’ensemble.

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V. Questions liées aux jargons et langues minoritaires
Si vos informateurs parlent une langue minoritaire, un jargon professionnel très prononcé ou une langue différente de leur environnement immédiat il est pertinent de mener l’entretien dans cette langue. Le premier intérêt de poser les questions dans la langue appropriée est de s’assurer que l’on sera compris sans reformulation, sans distorsion.
Par exemple si le processus de fabrication inclue une étape que l’informateur nomme « la chambre de redresseuse » on pourra demander « combien de temps ça prend le passage dans la chambre de redresseuse ? ». Ne tentez pas de forcer vos mots sur leur activité, c’est l’inverse qui doit se produire.

Plus les informateurs pourront parler de leur activité comme ils pensent qu’ils mènent cette activité, plus vous aurez accès à leur manière de raisonner, ce qui renforcera la relation que vous avez l’un avec l’autre.
Il y a trois grands types de questions liées aux jargons ou langues minoritaires :
Questions directes,
Questions d’interaction fictive
Questions de phrase typique

Exemples
A. Questions directes
Demander comment il ou elle dirait quelque chose.
• Comment vous appelez-ça lorsqu’il y a une anomalie dans la qualité du métal qui sort de la fonderie ?
• Comment vous appelez cette façon de faire ? Ça porte un nom ?
B. Questions d’interaction fictive
Décrivez une scène imaginaire et demandez à l’informateur de parler comme ils/elles le feraient dans cette situation (parler à votre manager pour annoncer un problème qui vous bloque)
• Si vous parliez à un collègue de votre équipe, vous le diriez de la même manière ?
• Si j’étais dans l’atelier de peinture qu’est-ce que j’entendrais les gens se dire ?
• Comment vous diriez ça au directeur ?
C. Questions de phrases typiques
Demander directement que votre informateur vous dise des phrases typiques ou des noms d’activités.
• Vous m’avez parlé tout à l’heure d’ « anomalie majeure » et d’ « anomalie mineure », comment faites-vous la différence ?
• Comment vous dites quand vous dressez un procès-verbal pour une voiture mal stationnée ?
• Dans l’autre équipe ils parlent de « chambre de redresseuse », comment vous l’appelez, vous ?

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That’s all, folks ! :) Pour le reste, la pratique de ce genre d’entretien semi-directif se révélera centrale pour vous construire une expérience, des bases de comparaison, des réflexes et un style personnel -qui a aussi son importance.
Donc : faites-en, plein !

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The semi-direct ethnographic interview mostly requires : you, an informant, a pen and a notebook (in Moleskine i trust).
No complex technology is involved, and the more you’ll do it, the more you’ll gain mastery.

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Une longue histoire du courage 22 juillet 2021


Q : Vous qui travaillez dans les sciences humaines, comment pouvez-vous encore voir le côté positif de… des gens, des sociétés ? Quand je lis les horreurs de l’Histoire et que je comprends qu’il s’agissait de personnes comme nous, bourreaux et victimes, je prends peur que l’esclavage ou les exterminations puissent un jour devenir à nouveau une normalité.

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R : Je peux parfaitement comprendre ce sentiment qui prend aux tripes, oui, très clairement. Il y a eu des évènements atroces au fil de l’histoire humaine. La guerre, la torture, la cruauté. Hommes femmes, enfants… tout, il y a tout eu.
La pire chose que vous puissiez imaginer a sûrement déjà eu lieu même si personne n’est plus là pour le raconter -et se produira encore. Quelque part, à une époque quelconque.

Lorsqu’un trait culturel émerge qui favorise et valorise la violence il s’est toujours trouvé et il se trouvera toujours des personnes pour y souscrire et y adhérer, parce que c’est ce que fait l’être humain : il adopte les valeurs qui sont disponibles, il légitimise n’importe quoi qui permet de faire partie d’une société au sens large. Même le pire, même les valeurs qui justifient le rétablissement de l’esclavage ou d’exterminer les crétins de « l’autre camp ».

Et tous ces évènements horribles le sont encore davantage quand on arrête d’y penser comme des faits historiques anonymes mais qu’on les raconte comme des histoires vécues, à l’échelle individuelle, où la souffrance d’une personne résume toutes les souffrances, multipliée par le nombre de toutes les autres victimes.

Mais il s’est toujours trouvé et il se trouvera toujours des personnes qui rejetteront leur sécurité personnelle pour porter assistance, éventuellement en déplaisant à des gens puissants, ou méchants, ou les deux. Pour chaque tragédie humaine (humaine, trop humaine !), il y a des histoires qui racontent le courage et la bravoure, la tendresse et la ténacité face à une issue qu’on sait éventuellement jouée d’avance. A l’échelle de l’humanité, pour chaque acte de cruauté il y a un acte de gentillesse, pour chaque trahison il y a une alliance. Et la complexité de l’esprit humain étant ce qu’elle est, les opposés peuvent provenir de la même personne.
L’idée de sécurité recouvre diverses formes : physique, financière, familiale, professionnelle, statutaire, etc. mais pour chacune de ces facettes il s’agit potentiellement de la mettre en péril pour le bénéfice de quelqu’un d’autre.
Peut-être descendra-t’elle dans la rue parce qu’elle a entendu crier au secours, peut-être qu’il transmettra une clé USB qui permet d’identifier un crime, peut-être qu’ils hausseront la voix en réunion pour dire non lorsque tout le monde dit oui.
C’est du conditionnel parce que ce n’est jamais une certitude. C’est aussi sur cela que comptent les gens méchants, ou puissants, ou les deux : que personne ne fasse rien. Et l’Histoire montre que c’est parfois efficace… mais jamais très longtemps.

Il y a une infinité d’histoires inconnues où des personnes font le choix d’aider autrui parce qu’ils se soucient davantage des gens autour d’eux que de leur propre situation. Ce ne sont pas celles dont on entend le plus souvent parler, cela ne signifie pas qu’elles n’existent pas.

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Et il n’y a rien de plus puissant que l’idée qu’il existe des gens capables de sacrifice pour en aider ou en sauver d’autres sans rien demander en retour. C’est aussi comme ça que nous vivons. C’est même surtout comme ça.
Car à bien y réfléchir, si homo sapiens a survécu aussi longtemps c’est sans aucun doute parce que les histoires de courage sont vraiment beaucoup, beaucoup plus nombreuses que celles qui racontent le désespoir.

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Within the course of Human history, past, present and future, stories of courage and solidarity are much, much more numerous than those of despair.

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IA et deep learning (2): comment les datasets vous biaisent 14 avril 2021

Filed under: Ethnologie,IA,organisation,Société,technologie — Yannick @ 11:11

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Dans l’article précédent j’évoquais les jeux de données (datasets) qui servent à l’apprentissage profond des algorithmes (deep learning) et le fait que cette étape est le point de départ qui permet l’existence des intelligences artificielles. Cette phase d’étiquetage est trop souvent considérée comme de peu de valeur ajoutée. Elle nécessite une main-d’œuvre pléthorique et elle est mal rémunérée, puisqu’après tout il ne s’agit que d’associer des mots à des « choses », n’est-ce pas ?

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Grave erreur, aux conséquences qui peuvent être sont dévastatrices. Car c’est un préjugé dans le préjugé : croire que les technologies sont socialement neutres, alors qu’elles sont une construction culturelle.  Si vous êtes un décideur politique, relisez cette phrase plusieurs fois. 

La création du jeu de données initial est un phénomène culturel qui a un impact direct sur la confiance qu’on peut accorder aux produits de cette industrie et à toute décision prise par une IA.

Pour ceux qui m’ont déjà entendu le dire, je le redis : l’intelligence de l’artificiel vient de l’intelligence de ses concepteurs
-et pour l’IA, ça commence avec les jeux de données.
(Si vous ne m’aviez jamais entendu le dire, ce n’est pas grave, je le redirai :) )

Au moment de l’étiquetage, ce sont les représentations mentales de milliers de travailleurs anonymes du net qui sont projetées dans la base de données qui servira ensuite de référence pour qu’un algorithme s’y entraîne à interpréter une réalité.

En plus des erreurs factuelles, il y a des idées reçues, des croyances, des approximations et des préjugés de toutes sortes qui sont donc embarqués dans ce qui va servir à “éduquer” les algorithmes, qui ne sauront rien faire d’autre ensuite que reproduire les préjugés qui leur auront été inculqués. Il y a bien entendu du contrôle qualité de la part des fabricants des jeux de données mais essentiellement en ayant recours à une vérification croisée, par les participants eux-mêmes.
Si l’image d’une antilope est étiquetée comme étant une pie, soit c’est une erreur factuelle qui peut être détectée et corrigée (ce qui reste à prouver), soit ce sont les participants qui croient majoritairement et de bonne foi qu’une antilope est une pie, auquel cas ce ne sera même pas considéré comme une anomalie puisque dans leurs représentations culturelles c’est une vérité. 

…ou, confondant corrélation et causalité, ils croient majoritairement que si une main noire tient quelque chose, c’est nécessairement une arme (photo).

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La question se pose de savoir quelle est la variété des participants humains à une campagne d’étiquetage ? Comment est constitué cet échantillon là ? Est-ce qu’il y a une campagne de recrutement pensée avec soin, ou est-ce qu’on prend les premiers volontaires dont on sait que dans le milieu des technologies ce sera essentiellement des hommes à la peau blanche appartenant à la classe moyenne ?

Mais il serait aussi trop facile de rejeter toute la faute sur la foule qui est sollicitée en crowdsourcing : la question se pose également de savoir quel type de données ont été soumises à l’étiquetage. Quelle est la validité des données, dans le jeu de données lui-même ?

Le jeu de données MNIST qui regroupe 70000 chiffres manuscrits de 0 à 9 a été constitué en recueillant les papiers d’employés du Bureau du Recensement américain. Un algorithme qui s’entraîne sur cet échantillon saura plutôt bien reconnaître l’écriture d’une certaine tranche de population : adultes, nord-américains, employés de bureau. Donnez au même algorithme des chiffres écrits à la main par des enfants, ou par des personnes peu scolarisées, ou par des européens qui mettent une barre au chiffre 7 et le taux d’erreur va exploser. Dans un autre contexte, mais pour la même raison d’échantillon trop homogène, lors des premiers tests de voitures autonomes configurées en Europe, les IA n’ont pas su identifier les kangourous qui traversaient les routes australiennes puisque le jeu de données pensé et conçu en Europe avait peu de raison d’inclure les marsupiaux. Les datasets asiatiques sont connus pour mal reconnaître les visages non-asiatiques, toujours pour la même raison.

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Technologies are not « socially neutral » and even less with AI : its victims are usualy the groups already vulnerable in society at large and very especially the black women.

Les exemples sont abondants et très bien documentés dans tous les domaines : c’est d’abord le manque de variété dans les datasets de l’intelligence artificielle qui génère des conséquences nocives, dont les victimes sont régulièrement les populations déjà vulnérables dans le paysage social.

Si votre jeu de données contient essentiellement des images de visages de personnes à la peau blanche, pas étonnant que les IA qui s’entraîneront dessus ne sauront pas identifier les visages de vraies personnes qui n’ont pas cette couleur de peau. Les femmes noires sont particulièrement (mais pas exclusivement) victimes de ce travers (et, non, ce n’est pas qu’une question d’éclairage ambiant).

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Cette ostracisation récurrente n’implique pas que les datasets ou les algorithmes sont volontairement configurés pour être racistes, ou anti-pauvres, ou anti-kangourou, ou anti-ce-que-vous-voulez. Mais les conséquences entretiennent et amplifient les disparités existantes, y compris dans leurs inégalités, injustices ou même tout simplement leurs absurdités. 

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Pour ceux qui ont recours aux IA c’est un point d’attention qui doit être vraiment, vraiment pris au sérieux : il est de votre devoir de demander aux vendeurs de ces logiciels quelles preuves ils ont que leur machin n’a pas de conséquences perverses. Quel genre de tests de recevabilité éthique sont mis en œuvre ? Où sont les résultats ? Les créateurs de datasets devraient être dans l’obligation de prouver une variété suffisante de leur jeu de données ainsi que dans le recrutement des humain(e)s qui ont procédé à l’étiquetage et, légalement, je ne suis pas loin de penser qu’un jeu de données utilisé pour le deep learning devrait être dans le domaine public, ouvert et sûrement pas protégé par un quelconque et opaque secret industriel ou licence « propriétaire » ou brevet de propriété intellectuelle.

Les jeux de données du deep learning doivent faire partie de l’open data. Tous. Y compris pour le secteur de la Défense, maintien de l’ordre ou antiterrorisme, d’autant que cette technologie pour notre malheur à tous est de plus en plus comprise comme un élément de l’infrastructure de surveillance globale, sinon de répression, c’est donc l’ensemble de la population qui est susceptible d’en être victime.

Et une technologie de surveillance qui fait des erreurs, c’est le règne de l’arbitraire, où tous les décideurs se cacheront derrière la complexité technologique pour ne pas être tenus responsables.
A ce stade, je me retiens d’aborder le sujet des smart cities

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Ainsi donc, avant même la phase d’étiquetage, les « choses » qui sont mises dans les jeux de données s’avèrent être aussi la résultante de choix, de jugements de valeurs, de positionnements en termes de vie collective, avec ses propres biais et idées reçues. 

Si votre IA voit une image d’antilope et l’appelle une pie, c’est presque comique (cf. mon article précédent : ici). Sauf si le logiciel est déployé dans un parc naturel en vue d’empêcher le braconnage. Et comment le logiciel appelle-t’il une image de pie ? Et l’étiquette « antilope » est apposée sur l’image de quoi ?
Et si une IA pour véhicule autonome n’a pas assez appris à reconnaître l’image d’une poussette, comment pourra-t’elle déclencher un freinage d’urgence lorsqu’il y en aura une devant elle dans la rue ? Elle ne la verra même pas et la traversera sans ralentir.

Il est trop simple d’affirmer qu’on peut « corriger l’erreur » car vous corrigerez cette erreur-là, ponctuellement, mais pas toutes les fois suivantes puisque l’algorithme a appris à faire cela. Il ne sait pas faire autre chose et il reproduira l’erreur qui, de son point de vue de machine, n’en est pas une.
(une machine, rappelons-le, c’est con comme un balai)
Et bien sûr, en attendant, « cette erreur-là » aura été commise :
-une poussette a été percutée,
-une main noire portant un téléphone portable a déclenché une intervention de police pour un « individu armé »,
-vous êtes sous surveillance de la DGSI parce qu’une caméra-micro dans la rue vous a enregistré en train de mentionner « demain » « pose » « bombe », alors que la phrase complète était « demain je pose mon nouveau parquet, ça va être de la bombe ». 

Nous ne sommes pas censés attendre que ce genre d’erreur soit commis : nous voulons, nous avons besoin de certitudes préalables.

Quelles sont les probabilités que, dans un avenir pas trop lointain, un pays, une administration, une grande entreprise de la tech se mette à réfléchir sérieusement aux conséquences non-intentionnelles des IA, avant de les balancer dans les pattes de centaines de millions de gens qui n’ont rien demandé à personne ?

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Au début de l’année 2021, une étude est venue renforcer le doute quant à la fiabilité du deep learning : Curtis G. Northcutt, Anish Athalye, Jonas Mueller : Pervasive Label Errors in Test Sets Destabilize Machine Learning Benchmarks. 2021
En analysant les dix principaux datasets mondiaux (dont ImageNet), les chercheurs ont identifié un taux d’erreur de 6% en moyenne dans l’étiquetage.

Et ça les copains, c’est 6% d’anomalies absolument critiques, parce que tous les programmes d’IA apprennent à partir de ces jeux de données qui ont en moyenne 6% d’erreurs. Ces erreurs se propagent donc dans les logiciels partout dans le monde en reproduisant les mêmes conséquences déplaisantes. C’est encore plus vrai dans les systèmes dits « prédictifs » qui servent par exemple à évaluer sur la base de critères (biaisés) les probabilités (fantasmées) de futur comportement criminel d’une personne. La justice à ce stade devient une injustice algorithmique institutionalisée et c’est une démonstration d’ignorance de la part de tous ceux qui ont validé le fait que l’idée avait l’air bonne.
Dans ce cas le drame est triple : il y a des innocents en prison, des malfaisants en liberté et des naïfs pour croire que si c’est une machine qui l’a dit c’est que c’est forcément objectif.

Il y a là une abondance d’arguments qui relèvent de la superstition technologique : croire que la décision automatisée est exempte de biais, de défaut ou d’erreur, alors qu’elle a été créée par des gens, nécessairement faillibles. Parce que non, il n’y a pas une étape secrète dans le code informatique qui supprime toutes les « erreurs » faites par les humains et rétablit miraculeusement la justice. Il n’y a pas d’algorithme de ce qui est « juste ».

Et ces logiciels d’automatisation des décisions servent à vous évaluer pour vous accorder (ou pas) un crédit immobilier, un emploi ou un licenciement, un examen universitaire, le droit à des allocations familiales ou a un contrôle fiscal…

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The failures of any « predictive » software would be laughable, if it was not for their dramatic impact on real lives.
That is algorithmic injustice. On what kind of biased dataset was this AI trained ?
Beforehand, what kind of proof of viability could / should publish the editors of AI software ?

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Et on peut aussi parler de la « reconnaissance des émotions » qui est une gigantesque arnaque intellectuelle, en plus d’avoir des conséquences humaines dignes d’un accident industriel. Répétez après moi : la reconnaissance des émotions est une fumisterie, une tromperie, ça ne fonctionne pas, ça ne peut pas fonctionner, c’est une impossibilité anthropologique. Si vous êtes un décideur politique, relisez cette phrase plusieurs fois. 

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Consciente de cet empilement de défauts qui commence à devenir très gênant aux entournures, en avril 2021 l’entreprise Facebook a publié un jeu de données visant à établir un standard dans la variété qu’on est en droit d’attendre pour éduquer des IA de reconnaissance faciale. Ce dataset en libre accès est appelé Casual conversations et il est remarquable parce que ses concepteurs ont bien compris que c’était un élément clé dans le process de fabrication de l’intelligence artificielle. Il a donc été bien fait, preuve que c’est tout à fait possible. Comment votre IA se comporte si elle tourne sur cet échantillon ?

Spéciale dédicace à Yann Le Cun.

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Ainsi, comme toute technologie, l’IA est ambivalente et les conséquences de son déploiement seront hétérogènes. Son potentiel est certes époustouflant… mais on évalue une technologie d’abord sur la réalité de sa mise en œuvre, de la manière dont elle est fabriquée jusqu’à la manière dont elle est utilisée… et sur ces deux points force est d’admettre qu’on peut mieux faire.
(sauf pour la reconnaissance des émotions… laissez tomber. N’insistez pas, je vous assure…)


Le gentil robot inoffensif qui sert de compagnon aux personnes âgées en reconnaissant leur visage, leurs gestes et en leur faisant la conversation est mu par du code informatique qui pourra resservir dans un drone-chien d’attaque qui vous cassera les deux jambes lors d’une prochaine manifestation sur la voie publique. A moins que le gentil robot ait fait trébucher la personne âgée dans l’escalier en voulant lui faire un câlin, parce que c’est ce comportement qu’il aura appris dans un dataset animalier.
Techniquement il est donc possible de rendre ces outils plus performants.

Socialement, la question reste posée de l’utilisation qui en sera faite. Veut-on en faire des machines qui atténuent et éventuellement corrigent les discriminations et les injustices, ou choisit-on de laisser faire et donc d’amplifier les discriminations et les injustices ? Car en matière de conception informatique -de design– il n’y a pas de demi-mesure. Soit c’est excellent, soit c’est un piège profond. Les doctrines d’emploi de ce genre de logiciels seront directement issues de choix politiques, qui s’élaborent dans le débat citoyen, dans nos assemblées nationales ou instances internationales. Un acte de construction sociale, là encore.
C’est toujours de cela dont je parle quand je répète (encore) que l’intelligence de l’artificiel vient de l’intelligence de ses concepteurs.

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Du début à la fin, de la sélection de la data qui entre dans un dataset, en passant par les preuves de fiabilité de l’étiquetage jusqu’aux choix (ou non choix) politiques qui régulent son usage, l’intelligence artificielle est une construction sociale. 

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The "intelligence" of the "arificial" comes from the intelligence of its designers.
From beginning to end, from the choice of data in the datasets, to the labeling of this data, up to the political choices made (or not made) to regulate its use : Artificial Intelligence is a human, social construct.

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IA et deep learning (1): la constitution des datasets 12 avril 2021


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Tout a commencé en 2012 lors d’une compétition informatique, lorsque la méthode de l’apprentissage profond (deep learning) a prouvé qu’elle était meilleure pour identifier visuellement des objets que toutes les méthodes concurrentes. C’est ce qui a permis d’ouvrir de vastes possibilités dans le domaine de l’intelligence artificielle (IA).
Il était désormais possible de trouver non seulement des solutions au problème technique de la reconnaissance d’image (machine vision) mais surtout il était possible de dupliquer la méthode au-delà des seules images. Le deep learning s’est imposé comme une méthodologie standard qui permet aussi d’identifier les sons, le langage manuscrit, etc.

Pour faire court, le deep learning consiste d’abord à coller des étiquettes de texte sur des images, afin de construire de gigantesques jeux de données (datasets) de référence. On est dans un ordre de grandeur au moins mille fois plus grand que votre gigantesque fichier Excel de 1 giga octet, bienvenue dans le Big Data. Dans un second temps, ces jeux de données sont utilisés comme échantillon pour permettre à des algorithmes d’apprendre seuls à répéter la même tâche jusqu’à être capables de répéter cette tâche en dehors du jeu de données de référence qui a servi à les « éduquer ». 

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La première étape est donc de disposer d’un référentiel de mots bien organisé et ce n’est déjà pas une mince affaire.

La référence du secteur s’appelle WordNet , une base lexicale qui fait autorité depuis les années 1980 (on en avait besoin avant l’ère de l’ordinateur !) et qui compte à ce jour plus de 155000 mots organisés dans une arborescence logique de 175000 sous-ensembles et 200000 paires, du type : carnivore > canidé > chien >  toutou

Ne vous laissez pas avoir par la simplicité de cet exemple… WordNet est géré par l’université de Princeton et si vous voulez ne serait-ce que commencer à comprendre le sujet il est necessaire de s’attaquer à : Fellbaum, Christiane : WordNet and wordnets. In : Brown, Keith et al. : Encyclopedia of Language and Linguistics. 2005

 

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La deuxième étape consiste à disposer d’une banque d’images. L’une des plus vastes est ImageNet   : 14 millions d’images reroupées en 21000 sous-ensembles logiques. On notera que l’arborescence d’ImageNet réplique celle de WordNet afin de permettre une forte coherence entre les deux, jusqu’à pouvoir les faire fonctionner comme un unique ensemble. Car les images seules ne servent à rien. Ce qui fait la valeur d’ImageNet c’est l’association d’images à des mots du lexique WordNet.

Les plus curieux pourront lire avec intérêt : L. Fei-Fei and J. Deng. ImageNet: Where have we been? Where are we going?, CVPR Beyond ImageNet Large Scale Visual Recognition Challenge workshop, 2017

Il est ainsi possible d’avoir des milliers d’images de petite cuillère, annotées “petite cuillère” afin qu’un algorithme soit capable de reconnaître qu’il y a ou qu’il n’y a pas une petite cuillère le plus souvent possible : seule, au milieu d’autres couverts de table, en pleine lumière, dans la pénombre, tordue, partielle, en train d’être utilisée (en mouvement), photographiée, dessinée, schématisée, en ombre, peinte, peinte en noir, peinte en blanc, brillante, sale, absente, etc.

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The process of buiding the datasets requires a huge human workforce in order to link images and names, so that cats are identified properly as cats in multiple conditions. Once this phase is done, manually, over Peta-bytes of data, the dataset will be put in use to train algorithms so that Artificial Intelligence softwares perform as expected beyond the range of their initial « educational » dataset.

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Le processus d’étiquetage est découpé en différentes étapes réparties à l’échelle mondiale, de la plus technique à la moins technique. Au niveau zéro, l’industrie logicielle s’est fait une spécialité d’exploiter des millions de travailleurs pauvres et pas chers, dont vous n’entendrez jamais parler, parce que, justement, ils sont exploités. Tous ces gens ont beau travailler sur ordinateur, cela n’enlève rien au fait que leur activité est proche du travail à la pièce que connaissait déjà Emile Zola au XIXe siècle.

Enfin l’étiquetage final se fait en recourant au crowdsourcing : une force de travail humaine de centaines de milliers (millions ?) de volontaires anonymes qui, la plupart du temps, sont inscrits auprès du plus gros acteur dans ce domaine, le Mechanical Turk de l’entreprise Amazon. C’est ouvert à tous, très bien organisé, vous pouvez y participer et vous serez rémunéré pour le faire. Pas beaucoup non plus.

Une troisième manière de mettre au boulot l’humanité est de recourir à l’outil Captcha, qui vous demande d’identifier par exemple des feux de signalisation sur des images, pour s’assurer “que vous n’êtes pas un robot”. Vous l’avez sûrement déjà fait, sans que personne vous dise que vous étiez mis à contribution avec des millions d’autres personnes pour alimenter un jeu de données d’IA visuelle. Merci pour eux, vous avez travaillé gratuitement.

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Bien entendu, l’explication qui précède s’applique aux images mais aussi à tout le reste. Les sons, les compositions chimiques, le développement des cellules cancéreuses, les formules de calcul, les gestes de la main, le langage naturel parlé ou écrit, le mouvement des corps célestes ou tout autre domaine qui vous motive dans la vie (le jeu de données MNIST par exemple recense 70.000 chiffres manuscrits de 0 à 9).

A partir du moment où vous avez sous la main un (très) grand échantillon sur n’importe quoi, le deep learning peut servir à en automatiser la reconnaissance, d’abord en faisant appel à une armée de contributeurs humains pour associer manuellement à cet échantillon de “choses” des mots permettant de les identifier, puis en faisant travailler un algorithme sur ce jeu de données.

Si votre entreprise ou votre administration fabrique de l’IA il est plus que probable que vous éduquez vos algorithmes en les faisant travailler sur des datasets fabriqués par d’autres, que vous avez achetés ou réutilisés en libre accès, libre de droits comme ImageNet par exemple. Tous sujets confondus, il existe quelques centaines de jeux de données d’importance variable qui servent à l’éducation de 90% des algorithmes d’intelligence artificielle dans le monde.

Et dans tous les cas, retenez bien l’ordre dans lequel ça se passe : d’abord l’étiquetage par des humains pour créer le jeu de données, ensuite l’apprentissage algorithmique en utilisant ledit jeu de données.

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La méthode du deep learning implique donc ce prérequis tacite : il est absolument nécessaire que l’échantillon de départ soit correctement étiqueté, parce que bien sûr en tant qu’utilisateur de logiciel d’intelligence artificielle, vous ne voulez certes pas que votre produit reconnaisse une pie là où il y a une antilope (photo).

Datasets are the backbone of the whole AI industry
Their integrity is critical for the consequences of AI-led decisions.

 

Toute la complexité consiste ensuite à bien coder l’algorithme, afin qu’il puisse d’une part faire le moins d’erreur possible sur le jeu de données de référence mais aussi qu’il parvienne à extrapoler. Il doit être capable de reconnaître une petite cuillère en bois en suspension dans une station spatiale même s’il n’a jamais vu cette image auparavant.

C’est bien l’objectif d’une IA : qu’elle soit capable de se débrouiller seule dans la vraie vie.

…mais avant de passer à cette étape de mise en œuvre, je m’en vais rester un moment sur la notion de dataset pour souligner, en appuyant très fort, à quel point l’intégrité de ces jeux de données est absolument critique pour préparer tout le reste. La colonne vertébrale de l’IA ce n’est pas l’algorithme, c’est le jeu de données qui a servi à l’éduquer.

Le sujet avait déjà été abordé en 2016 par Alexander Wissner-Gross dans son article Les datasets davantage que les algorithmes. Mais il semble qu’il n’y avait pas beaucoup d’oreilles pour l’entendre.

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La plupart du temps en effet les mises en œuvre pratiques d’une IA présentent l’étape finale et abordent la viabilité de l’algorithme.

Si l’IA fait une erreur à ce stade, les ingénieurs et les vendeurs de ces logiciels (et les politiciens) vous diront qu’il s’agit d’un problème d’algorithme qui nécessite encore un réglage, ou qu’il faut mieux analyser les données captées par l’IA afin de comprendre où elle s’est trompée afin de pouvoir rapidement corriger un problème. Mais vous aurez beau mettre au travail vos meilleurs mathématiciens et data scientists, il est bien possible qu’il n’arrivent jamais à trouver des solutions au problème parce qu’il ne descendront pas la chaîne de causalité jusqu’à son étape fondamentale, celle où le jeu de données est créé : la phase d’étiquetage, qui a servi de base à la configuration de l’algorithme.

Et bien sûr les fabricants d’IA sont à la recherche de leur pierre de Rosette, ils aimeraient que cela aille plus vite et donc tentent d’accélérer le rythme en retenant un unique dataset (le plus gros fait l’affaire) pour être plus rapidement sur le marché, le plus gros marché possible. Mais à force d’entraîner les algorithmes sur des datasets toujours plus vastes, les intelligences artificielles ne sont-elles pas condamnées à faire de plus en plus d’erreurs ?
C’est une question qui chatouille toute l’industrie du secteur, surtout si on y ajoute l’impact environnemental lié à la consommation d’énergie. …à tel point que Google a licencié les chercheuses de stature internationale qui peuplaient son équipe « IA et éthique » pour avoir publiquement soulevé le problème dans un article au sujet des IA en langage naturel (les dangers des perroquets stochastiques 🦜).

Spéciale dédicace à Margaret Mitchell et Timnit Gebru.

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Quel espoir de “bon apprentissage” pouvez-vous avoir, si votre référentiel indique qu’une antilope est une pie ? Votre algorithme ne fonctionnera jamais correctement ou plutôt il affirmera toujours qu’une antilope est une pie, dès qu’il verra une nouvelle antilope.

Les datasets sont perçus comme un truc simple, qui va de soi, sous-estimés dans les catastrophes qu’ils peuvent déclencher dans la vraie vie lorsque les IA prendront des décisions basée sur ce qu’elles y ont appris. Quel résultat obtiendrez-vous si, par défaut, les visages féminins ne reçoivent que des propositions d’emploi d’“infirmière” alors que les visages masculins peuvent postuler pour devenir “médecins” ? Et quel espoir de correction du jeu de données pouvez-vous avoir s’il comporte 200000 éléments et a déjà été traité en phase d’étiquetage par 10000 personnes ? Vous prétendriez pouvoir reprendre un par un chaque élément pour le re-valider ? Surtout qu’en tant que fabricant d’IA vous allez dire que ce n’est pas votre boulot, ce n’est pas votre jeu de données, ce n’est pas votre responsabilité juridique. Il a été conçu par quelqu’un d’autre…

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Avant que l’IA puisse être généralisée comme technologie courante dans le monde qui nous entoure, il faudra qu’on parvienne à un consensus sur le fait que leurs jeux de données en sont le facteur limitant et que cette limite est liée à la culture, aux contextes sociaux.
Vous n’avez pas besoin de davantage de spécialistes techniques, vous avez besoin de faire travailler ces ingénieurs avec des spécialistes en sciences sociales :
des gens qui ne sont pas impressionnés par la sophistication technologique et qui demandent, encore et encore, quels sont les impacts collectifs, sociaux, humains ?

Là réside le cœur d’un problème que ne savent résoudre ni les directeurs, ni les ingénieurs, ni les crowdsourceurs, ni les docteurs en génie logiciel : le social.
La constitution des jeux de données est un phénomène social, les « données » elles-mêmes sont une construction sociale. Pour le domaine de l’IA qui s’affirme essentiellement « technologique » et donc « objectif », c’est le loup qui entre dans la bergerie… et vous devez cesser de considérer les jeux de données comme des trucs sans valeur ajoutée et socialement neutres, sans quoi le loup va vous manger tout cru.

Je parle des dégâts dans la suite de cet article.

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The wolf of social beliefs among the innocence of AI datasets… because DATASETS ARE A SOCIAL CONSTRUCT.
Largely overlooked, the datasets, not algorithms, are a key actor of AI (in-)efficiency.
Take them seriously, please, otherwise the wolf will eat you alive.

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Discussion de salon (2). Un ethnologue ça fait quoi ? 18 février 2021


-« Et vous faites quoi dans vos projets ? » demandais-je à mon interlocuteur.
-« Boh, un peu de tout. Neuromarketing, des sondages, beaucoup de design web et des focus groups. C’est génial ça les focus groups, vous ne trouvez pas ? »
-« J’ai plutôt un faible pour l’étude de terrain, genre dans la vraie vie. »
-« Ah ben oui, vous vous faites de l’ethno. Moi aussi je fais des sciences humaines, hein. Je bosse dans le market. On fait souvent de l’ethno, mais on adapte à nos besoins. La méthode est un peu lourdingue des fois. »

Si j’avais eu des bras détachables, ils seraient tombés tout seuls.

-« D’ailleurs je me demandais, les ethnologues s’y prennent comment pour aller voir les gens ? »
Pied sur le frein : « Oh ben ce n’est pas très compliqué, d’abord on se documente, ensuite on va voir… »
-« Hmmm. Moi je préfère faire venir les gens dans notre Lab’, on est plus à l’aise. »
Appel de phares : « Vous ratez le contexte du coup, hein. »

…à ce stade, j’aurais préféré être ailleurs.
Les sciences sociales il est vrai sont encore trop peu présentes sous la forme de métiers et restent donc méconnues dans leur profondeur, mais ce n’est pas une raison suffisante pour laisser des vandales leur marcher dessus.

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On peut sûrement se féliciter que de nouvelles alliances émergent et permettent d’améliorer la coopération entre les humains et leurs artefacts.
Mais bien sûr les sciences sociales ne servent pas qu’à cela et, du reste, elles n’ont même pas été créées pour cela. Ce qu’elles produisent à coup sûr par contre c’est un sens aigu de l’observation, un renforcement de l’esprit critique et une allergie sévère au manque de nuance ou aux généralisations abusives.
C’est leur premier intérêt éducatif et c’est pour cela que les dictatures annulent leurs budgets et mettent leurs spécialistes en prison.

Restez humble, vous maniez des outils à double tranchant.

Dans le cadre très policé d’une entreprise ou d’un service public, bien entendu, vous pouvez les utiliser… mais ne faites pas comme si vous étiez à l’abri des critères qui permettent de confirmer que votre manière de faire des sciences sociales est valide, ou pas.

Ainsi, par exemple :

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Vous ne faites pas de l’ethnologie si…

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1 > vous écoutez des discours sans observer les pratiques. Demander aux participants de faire état de leur propre comportement dans une discussion ou un journal de bord relève de l’enquête qualitative sans ethno. S’ils savent nommer ce que vous êtes venu découvrir, pourquoi êtes-vous là ?

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2 > vous ne pouvez pas mettre en lumière plusieurs éléments dont les participants eux-mêmes n’ont pas conscience et dont ils n’auraient donc pas pu parler explicitement (et les voir acquiescer en silence).

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3 > vous créez un plan d’action et le suivez scrupuleusement. Si vous ne modifiez pas votre plan d’action en fonction de vos observations, c’est que vous-vous y prenez mal. Si vous suivez votre questionnaire ligne par ligne pendant l’entretien, vous ratez le contact d’œil à œil. Et vous êtes en train de faire un sondage.

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4 > vous répartissez les propos et les actions de la population observée dans des catégories et des stéréotypes segments pré-existants comme les millenials, ou les provinciaux, ou les utilisateurs, ou les immigrés.
L’ethnologue nomme les individus par leur prénom, pas par leurs catégories de rattachement. Souvenez-vous : vous êtes sévèrement allergique aux généralisations abusives.

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5 > vous présentez votre analyse finale au client sans avoir fait une revue de littérature et avant de pouvoir répondre aux questions du type « est-ce que quelqu’un a dit / a fait… »
Vous aurez l’air très c*n si vous n’êtes pas déjà très intime avec les données collectées sur ce terrain précis et avec la thématique en général.

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6 > vous dites que vous avez récolté tout ce dont vous aviez besoin, avant de pouvoir identifier l’effet de saturation et des schémas récursifs dans les activités ou les événements observés.

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7 > vous dites que vous avez la réponse à une question, avant d’avoir utilisé trois méthodes différentes pour valider votre explication. Et sans savoir que cela s’appelle une triangulation.

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8 > vous espérez vous sentir bienvenu(e) parmi les directeurs, managers, maires et autres ‘responsables’, après avoir fanfaronné ouvertement de la distribution du pouvoir dans leur groupe et la manière dont leur domination sur le groupe est perpétuée par des processus injustes dont la raison d’être est de maintenir l’injustice afin de protéger leur position de pouvoir.

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9 > vous prenez au sérieux un insight qui saute aux yeux. S’il saute aux yeux, c’est que ce n’en est pas un. Creusez plus profond, explorez plus large. Vous n’êtes pas là pour enfoncer des portes ouvertes mais pour répondre au pourquoi les choses se passent comme elles se passent.

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10 > vous présentez des résultats qu’un élève de collège ne pourrait pas comprendre, dont il ne pourrait pas se souvenir ni les répéter sans faire de contresens.

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The sunscreen song 21 novembre 2020


Everybody’s free (to wear sunscreen).

Produced by Josh G. Abrahams, Nellee Hooper & Baz Luhrmann.

The Sunscreen Song – 10 Year Tribute (Everybody_s Free)

« Ladies and Gentlemen of the class of ’97 :

Wear sunscreen. If I could offer you only one tip for the future, sunscreen would be it. The long term benefits of sunscreen have been proved by scientists whereas the rest of my advice has no basis more reliable than my own meandering experience. I will dispense this advice now

Enjoy the power and beauty of your youth; or never mind. You will not understand the power and beauty of your youth until they have faded. But trust me, in 20 years you’ll look back at photos of yourself and recall in a way you can’t grasp now how much possibility lay before you and how fabulous you really looked. You are not as fat as you imagine

Don’t worry about the future; or worry, but know that worrying is as effective as trying to solve an algebra equation by chewing
Bubblegum. The real troubles in your life are apt to be things that
Never crossed your worried mind; the kind that blindside you at 4 PM on some idle Tuesday

Do one thing every day that scares you

Sing

Don’t be reckless with other people’s hearts; don’t put up with people who are reckless with yours

Floss

Don’t waste your time on jealousy; sometimes you’re ahead, sometimes you’re behind. The race is long, and in the end, it’s only with yourself

Remember the compliments you receive; forget the insults. If you succeed in doing this, tell me how

Keep your old love letters. Throw away your old bank statements

Stretch

Don’t feel guilty if you don’t know what you want to do with your
Life. The most interesting people I know didn’t know at 22 what they wanted to do with their lives. Some of the most interesting 40-year-olds I know still don’t

Get plenty of calcium

Be kind to your knees, you’ll miss them when they’re gone

Maybe you’ll marry, maybe you won’t
Maybe you’ll have children, maybe you won’t
Maybe you’ll divorce at 40
Maybe you’ll dance the funky chicken on your 75th wedding anniversary
Whatever you do, don’t congratulate yourself too much, or berate yourself either. Your choices are half chance; so are everybody else’s

Enjoy your body. Use it every way you can. Don’t be afraid of it, or what other people think of it. It’s the greatest instrument you’ll ever own

Dance, even if you have nowhere to do it but in your own living room

Read the directions, even if you don’t follow them

Do not read beauty magazines; they will only make you feel ugly

[Hook]
Brother and sister
Together, we’ll make it through
Someday our spirits
Will take you and guide you there
I know you’ve been hurting
But I’ve been waiting to be there for you
And I’ll be there just helping you out
Whenever I can

Get to know your parents; you never know when they’ll be gone for good

Be nice to your siblings; they are your best link to your past and the
People most likely to stick with you in the future

Understand that friends come and go, but for the precious few you
Should hold on

Work hard to bridge the gaps in geography and lifestyle, because the older you get, the more you need the people you knew when you were young

Live in New York City once, but leave before it makes you hard

Live in Northern California once, but leave before it makes you soft

Travel

Accept certain inalienable truths: prices will rise, politicians will philander, you too will get old– and when you do, you’ll fantasize that when you were young prices were reasonable, politicians were noble and children respected their elders

Respect your elders

Don’t expect anyone else to support you

Maybe you have a trust fund, maybe you have a wealthy spouse; but you never know when either one might run out

Don’t mess too much with your hair, or by the time you’re 40, it will look 85

Be careful whose advice you buy, but be patient with those who supply it
Advice is a form of nostalgia. Dispensing it is a way of fishing the past from the disposal, wiping it off, painting over the ugly parts and recycling it for more than it’s worth

But trust me on the sunscreen

[Hook]
Brother and sister
Together, we’ll make it through
Someday our spirits
Will take you and guide you there
I know you’ve been hurting
But I’ve been waiting to be there for you
And I’ll be there just helping you out
Whenever I can

Everybody’s free
Everybody’s free
Oh, yeah
Don’t you fear »

 

Le temps d’apprendre 16 octobre 2020

Filed under: Développement personnel,organisation,Société — Yannick @ 22:54
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J’y pense souvent mais j’ai rarement l’occasion de l’écrire, je mets donc cette idée noir sur blanc : les élèves et étudiant(e)s devraient se voir offrir la possibilité illimitée de repasser les examens auxquels ils n’ont pas eu une note suffisante.

Tu n’as pas eu la moyenne à l’examen de mathématiques ? Si tu es volontaire, refais-le aussi souvent que nécessaire jusqu’à tu aies bien compris la méthode de calcul. Ton examen de conduite automobile était insuffisant ? On se revoit bientôt. Ta dissertation sur la phénoménologie d’Heidegger n’avait pas un plan cohérent ? Pas de souci, tu m’en rends une autre en version améliorée.

Repasser un examen ou refaire un devoir trois ou cinq fois démontre une volonté de succès et d’amélioration largement honorable, et permettre d’apprendre devrait être l’objectif central des institutions qui se donnent pour mission d’éduquer.

Au lieu de cela, les écoles, les Ecoles et les universités ont recours à un nombre limité d’épreuves éliminatoires qui sont bien en peine de révéler l’intelligence des candidats et qui découragent la compréhension profonde des sujets enseignés. Elles préfèrent une évaluation systématique et hyper simplificatrice d’individus dont on sait qu’ils ont chacun une grande variété de courbes d’apprentissage.

De ce point de vue, l’éducation telle qu’elle se pratique couramment ne consiste pas à apprendre.
C’est très problématique parce que, donc, en quoi consiste-t’elle exactement ?

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La naissance du masque 21 avril 2020


Dans la continuité de la pandémie de covid-19 et ses effets inattendus, ouvrons le chapitre « comment naissent les styles ». C’est une nouvelle branche de l’industrie textile qui apparaît en temps réel : Le Masque.

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Si nous avions eu une réelle politique de santé préventive, les capacités de test du covid-19 auraient été suffisantes pour identifier et tester tous les malades puis les isoler un par un et nous n’aurions pas connu d’épisode de confinement général.
-répétons ici que le confinement général n’est pas et n’a jamais été une solution sanitaire, c’est une solution politique qui démontre une absence de recours sanitaire-

Si le volume de masques sanitaires avait été suffisant, par milliards à l’échelle d’un pays comme la France, nous en aurions tous été systématiquement équipés et son port aurait été rendu systématique dans l’espace public, notamment en milieu intérieur.
Mais même cela, nous n’en étions pas suffisamment équipés au printemps 2020. Le masque standard (jetable) s’avéra être une denrée rare et les stocks disponibles furent légitimement réquisitionnés en premier lieu au profit des travailleurs de la santé ou plus généralement vers les métiers en contact avec le public.

Pour le reste de la population, restait le recours à l’improvisation pour se faire son masque à base de tissu (réutilisable) déjà présent chez soi. L’activité devint presque un hobby en matière de détournement d’usage, certains retaillant des écharpes, d’autres des soutien-gorges, d’autres des foulards ou des manches de pull.
-et on se se serait bien moqué de celui qui nous aurait dit qu’il y aurait bientôt des gens qui porteraient en public des bonnets de soutien-gorge sur le visage pour se protéger d’un virus-

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La tendance s’associe à celle du Do It Yourself.
Avec plus ou moins de succès, les avant-gardistes du DIY s’investirent donc pour créer leur masque personnel artisanal dont les effets sanitaires ne sont pas parfaitement garantis c’est le moins qu’on puisse dire… mais pour lequel on peut convenir qu’il vaut sans doute mieux quelque chose plutôt que rien. De fait, le virus est assez petit pour passer les mailles du tissu mais il n’en reste pas moins que le tissu peut stopper les micro-projections qui portent le virus.
Car, redisons-le, un virus ne « circule » pas, ce sont les gens qui le transportent avec eux et contaminent autrui. Porter un masque sert donc d’abord à protéger les autres de tout ce qui peut sortir de notre bouche ou de notre nez. Avec ça et des mains propres, la contamination chute drastiquement et c’est tout ce qui importe.

Mais l’individualisation a d’autres qualités. Elle permet de domestiquer un objet qui est habituellement associé à un environnement dangereux. On ne fait pas que décorer un bout de tissu, on le rend familier. On diminue la charge symbolique d’un artefact qui signale des conditions d’existence inquiétantes pour une durée qui reste inconnue, dans un monde bien incertain.
L’individualisation esthétique des couvre-visages permet un processus mental prophylactique. Réfléchir à la couleur ou à la matière ou à la manière dont on va vivre avec permet de se projeter dans ce nouveau monde,  avec des attributs culturels qui nous appartiennent.

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En renfort à ce besoin profond de familiarisation, les professionnels de l’industrie vestimentaire  permettent d’ajouter une vraie qualité de coupe, de logotypage, d’inserts pour filtre FFP2 ou 3 et autres élastiques tressés ou indéchirables.
Si une large part de la population reste encore dubitative, lorsque la pression sociale sera assez forte pour vous faire sentir mal à l’aise sans cet artifice en public, vous y viendrez aussi (sans compter l’amende pécuniaire lorsque c’est réglementairement obligatoire). Et les marchands vous fourniront alors de quoi vous équiper avec un foisonnement de personnalisations possibles, exactement comme nos tee-shirts ou nos chaussettes.

Progressivement donc, Le Masque devient un effet personnel à part entière. Seul l’avenir pourra dire si un vaccin fera disparaître cette tendance vestimentaire en même temps que la menace.

Et c’est très, très horripilant de se dire qu’il faudra attendre un vaccin pour mettre un terme à la menace de reconfinement local puisque nous n’avons pas de solution intermédiaire satisfaisante.
Il faut qu’un « cluster » soit identifié pour lancer un campagne de tests massive sans possibilité d’agir de manière plus diffuse, avant que le mal ne soit installé quelque part.
Pourquoi la médecine du travail n’est-elle pas équipée abondamment de tests de dépistage du Covid-19, ou la médecine scolaire, ou les pharmaciens, les cabinets médicaux et d’infirmiers ?
Quand aurons-nous une politique de santé préventive ?
Mais d’ici-là…

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Would we have had sufficient numbers of individual tests the general lockdowns wouldn’t even exist. Would we have had enough facemasks to protect whole populations against covid-19, we would all carry them without thinking twice. But there aren’t. The social pressure will constraint everyone to carry « something » akin to a sanitary mask. But a mask is not just a neutral artefact, it’s a personal symbol, it needs to be familiarized because we need to lower its threatening charge, as it represents a new and somewhat hostile environnement. The Mask is becoming a new branch of the garment industry, maybe even to outlast the delivery of a vaccine.
Because it seems that we will never have sufficient numbers of individual tests either.

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Travailler sur les insights ethnologiques en temps de pandémie 18 mars 2020


[English version – version anglaise : https://www.linkedin.com/pulse/working-ethnographic-insights-times-pandemic-yannick-primel ]  

De nombreux spécialistes en sciences humaines peuvent contribuer utilement, face à la pandémie de covid-19.

Si vous n’avez pas déjà des compétences immédiatement utilisables pour être embarqué(e) dans la gestion officielle de la crise, vous pouvez fournir la sensibilité culturelle pour aider à mieux adapter les politiques publiques aux contextes sociaux.

Il est aussi possible d’informer les décideurs à tous les niveaux en contribuant au débat sur la perception et l’état d’esprit local des populations; ou montrer les limites et les conséquences indésirables de mesures de santé publique qui seraient appliquées sans se préoccuper de leur acceptabilité sociale; voire parler haut et fort contre l’abus des stéréotypes culturels comme une soi-disant explication aux comportements, tout spécialement pour éviter l’ostracisation.

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Les sciences sociales en général et l’ethnologie en particulier peuvent apporter un ensemble d’expertises uniques afin d’informer les décideurs et renforcer le débat public :

– S’assurer que les interventions de santé publique sont localement pertinentes, du point de vue des populations locales : comment développer l’observance et la confiance envers les mesures officielles ? Cela implique de ne pas demeurer au niveau national mais à descendre vers la granularité du quartier dans une ville ou de l’aile d’un bâtiment dans un hôpital.

– Améliorer ou soulager la sur-réaction médiatique; la peur du geste médical; la peur d’une implication de la police ou de l’Armée; la peur des revers économiques; les conflits entre la représentation mentale médicale ou populaire de la maladie.

– Appliquer une analyse rigoureuse et un esprit critique sur les politiques publiques dans le but de les améliorer, comme retour d’expérience.

Focus sur l’après-crise :

– Conséquences collectives sur les représentations, en lien avec les solidarités ‘horizontales’, la notion de santé familiale, les pratiques d’hygiène quotidienne, les croyances.

– Combattre l’ostracisation et les effets contre-productifs des politiques de ‘reconstruction’ et redressement économique.

-Améliorer la guérison sociale et l’adaptation des politiques publiques vis-à-vis des survivants, des patients encore traités ou des populations autrement affectées (personnes n’ayant pas été malades, familles, voisinages, personnes sans emploi suite à la pandémie).

-Fournir des descriptions épaisses décrivant la manière dont les représentations ont été modifiées (ou pas) suite à la crise. Quel genre de modifications ? Pour quelles conséquences envisageables ?

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…et maintenant remontez vos manches. Et lavez-vous les mains.

#épidémie #pandémie #coronavirus #covid-19 #crise #santé #ethnologie #gestiondecrise #politiquepublique

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L’ethnographie rapide 5 septembre 2019


Design ethnographique, ethnographic design.

Cette expression a émergé depuis quelques années et j’en avais déjà parlé ici, après une discussion avec une collègue sise en Nouvelle-Zélande.

Le « design ethnographique » n’existe pas en tant que métier ou méthode. Il ressemble à un archétype, une de ces choses non définies qui donnent à voir une réalité sinon impossible à appréhender. Tout ce qu’on sait à ce jour c’est que le design ethnographique signifie quelque chose.

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Et finalement, c’est peut être aussi bien ainsi. Nommons d’abord la chose, pour souligner le fait que la tectonique des plaques professionnelles a rapproché deux continents : le design et l’ethnologie -et plus largement les sciences sociales-.

Dans une large mesure, le rapprochement est d’ailleurs encore en train de se faire. Le nouveau territoire n’est pas prêt d’être correctement cartographié puisqu’il sera en mouvement (et donc instable) pendant longtemps. Cette instabilité se remarque lorsqu’en réunion vous-vous rendez compte que le spécialiste des sciences sociales aborde les mêmes thématiques que les designers, mais avec un vocabulaire différent. Le rapprochement se fait d’abord par un effort de traduction.

Mais une chose est sûre : le design est bénéfique à l’ethnologie au même titre que l’ethnologie est bénéfique au design. Le design apporte en particulier une dimension opérationnelle, collective, horizontale, dans un processus créatif qui oblige à prendre en compte l’avis des indigènes, j’ai nommé : les utilisateurs.
Réciproquement, l’ethnologie apporte sa rigueur méthodologique qui oblige à la « revue de littérature » et à la discussion argumentée pour aller débusquer en profondeur les idées reçues et les stéréotypes.
Car je l’ai déjà dit et je le redirai : les stéréotypes, c’est mal.
Le design et l’ethnologie sont salvateurs l’un pour l’autre, l’un(e) apportant à l’autre une consolidation au niveau structurel.

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L’une des mises en garde majeures que les sciences sociales adressent aux équipes de conception réside dans le biais pro-innovation. Tout le monde se pense autorisé à « livrer » à tort et à travers sans avoir abordé la notion de conséquence. L’empressement à respecter des délais mène trop souvent à oublier qu’on n’est pas autorisés à jouer avec les vrais gens, comme s’ils n’existaient que pour s’extasier devant nos machins et nos bidules.

Cessez de penser que les vrais gens sont « vos » utilisateurs. Ils ne sont pas à vous.
Pas du tout. Ce sont de vrais gens et vous devez respecter le principe de non interférence.

Ne . Pas . Interférer.

Car depuis l’époque où les travaux des ethnologues étaient détournés pour coloniser et soi-disant civiliser les barbares, la profession a appris à se méfier des projets d’innovation.
L’innovation n’est pas forcément bénéfique, non, non.
Qui plus est, une innovation ne se diffuse jamais de façon linéaire dans la population. Certaines catégories de personnes applaudiront tandis que d’autres vous maudiront parce que vous avez dégradé leur existence.

L’appropriation d’une innovation est toujours hétérogène et l’intérêt d’y réfléchir en phase amont permet de limiter les catastrophes, même involontaires, sur une partie de la population, même minime.
Les questionnements éthiques font désormais partie de la méthode et ne sont pas optionnels. A ce titre, ça fait aussi partie de la méthode de discuter des éventuelles conséquences sociales négatives.

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Inversement, la pratique du design impose aux ethnologues de se concentrer sur l’aspect opérationnel de leur contribution. Eux aussi doivent s’investir pour apporter des éléments qui puissent être actionnés afin de répondre à la question : « Comment faire ? »
Il y a un gros travail à mener pour améliorer la rapidité avec laquelle une observation de terrain peut faire ressortir des éléments qualitatifs pertinents. Dans le monde académique, une enquête ethnographique se mesure en mois ou en années… une temporalité illusoire dans un projet de design. Comment aller plus vite ? Comment avoir mieux recours à l’arsenal des méthodes de l’ethnologue pour être efficace dans un horizon de temps qui se mesure en jours ou en semaines ? Et comment le valider avec la même rigueur scientifique ?
Le champ de l’ethnographie rapide (rapid ethnography) a vocation à répondre à ces questionnements.
Il s’agit de s’éloigner du format de la monographie exhaustive classique pour inventer un format hybride qui vise à fournir une connaissance raisonnablement suffisante d’une population.
Cela se fait en particulier en s’abreuvant au corpus des recherches déjà publiées, en ayant davantage recours aux interviews semi-directifs et en limitant la durée d’une observation aux moments-clés qui permettent de zoomer sur un contexte précis.

 Pour le dire autrement l’ethnographie rapide n’implique pas de laisser de côté la délibération théorique. C’est même ce qui fait la valeur ajoutée de l’ethnologue : il connaît les classiques. Il sait placer à bon escient Les Nuer d’Evans-Pritchard ou It’s complicated de Danah Boyd-@zephoria

Le corpus des sciences sociales est vaste et, sauf erreur, il n’y a pas d’autre discipline qui soit aujourd’hui capable d’argumenter avec rigueur sur l’expérience utilisateur des objets connectés, ou les usages de l’IA, ou sur l’influence des structures de parenté sur les motivations d’achat individuelles. L’erreur serait colossale de penser qu’une ethnographie rapide doit abandonner la réflexion théorique pour se concentrer sur les outils.
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Vos équipes qui font de la recherche utilisateur (user research) ont donc pour objectif de revenir de leur exploration de terrain avec des sujets d’innovation, sur des thématiques qui vont servir à rendre le monde plus habitable du point de vue des utilisateurs.

C’est là où le duo de compétences designer-ethnologue s’avère d’une redoutable efficacité et où chacun se félicite d’avoir fait au moins cinq ans d’études dans sa spécialité pour se retrouver à faire des étincelles avec quelqu’un dont le métier lui était parfaitement étranger jusqu’à très récemment.

Vous êtes recruteur(euse) ? Ne cherchez pas des profils design/ethno. Ne répétez pas l’erreur que vous avez commise avec les UX/UI. Relisez cette phrase plusieurs fois.

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Il y a un consensus à atteindre entre les deux métiers, en particulier dans la phase initiale d’accès au terrain (et non d’intervention sur). C’est pendant cette phase d’immersion que les professionnels vont conjointement observer, débattre et identifier ce qui peut faire l’objet d’une intervention. C’est dans cette période relativement brève de la recherche que va se révéler l’efficacité de l’équipe multi-disciplinaire. Les designers et ethnologues parlent-ils la même langue ?
Leurs continents professionnels sont-ils suffisamment rapprochés ?

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Un plan vert brillant 21 février 2019


Ce document est la traduction de la proposition de loi Green New Deal émise au Congrès américain par la députée Alexandria Ocasio-Cortez
L’original est disponible ici   (GreenNewDeal_FAQ.pdf)

Le Green New Deal (Nouveau Contrat Écologique) n’est pas une idée particulièrement neuve. Sa première mention remonte à 2007 sous la plume de l’économiste Thomas Friedman dans le New York Times.
Depuis, nombreux ont été ses soutiens, entres autres Ban Ki-Moon ou Paul Krugman qui ne sont pas des plaisantins idéologiques.
Plus d’information en anglais  ici
On notera avec intérêt (et affliction) qu’une page Wikipédia en français sur ce sujet n’existe même pas.

Certains aménagements ont été faits pour permettre de transposer le texte original au contexte français et européen. Du point de vue de notre vieux continent, ce programme aussi vaste qu’il soit, paraît moins radical et révolutionnaire que du point de vue américain. Notre histoire et notre système social ont déjà posé les bases qui permettent d’envisager une mise en œuvre crédible.

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Le PDF de ce texte est ici : Green New Deal_FR_2019

Le lecteur assidu à ce blog reconnaîtra un thème déjà abordé en 2011 dans cet article sur le Vert Brillant. La proximité des deux articles est frappante et montre une tendance de fond.

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Lancement le jeudi 7 février 2019 à 8h30.

Panorama

Nous commencerons le travail dès maintenant pour préparer le projet de loi du Green New Deal. Il s’agit d’abord de valider l’architecture de base du projet (afin que personne d’autre ne se l’approprie).
Il s’agit d’une transformation massive de notre société avec des objectifs et une chronologie clairs.

Le projet de loi du Nouveau Contrat Écologique est un plan sur 10 ans qui mobilise tous les aspects de la société française à un niveau jamais atteint depuis la seconde guerre mondiale. Il s’agit d’atteindre un niveau zéro d’émissions de gaz à effet de serre et de créer les conditions d’une prospérité économique pour tous. Le Nouveau Contrat permettra de :

• Faire fonctionner la France avec 100% d’énergie propre et renouvelable, incluant le développement de l’autonomie énergétique des bâtiments
• Créer des centaines de milliers d’emploi stables en France et des millions à l’échelle européenne, rémunérés par des salaires dignes
• Permettre une juste transition pour les travailleurs afin d’assurer la sécurité économique des populations qui ont jusqu’à présent dépendu largement des industries fossiles
• S’inspirer de la Seconde Déclaration des Droits de Franklin Delano Roosvelt en 1944, pour garantir :

– Un emploi stable et un salaire digne, une assurance maladie individuelle et familiale, des congés et des droits à une retraite digne.
– Une éducation de grande qualité, universelle et gratuite y compris dans son aspect de formation tout au long de la vie.
– Un air propre, une eau potable et l’accès à la nature
– Une nourriture saine et non contaminée
– Des soins de santé de premier plan
– Un logement sûr, accessible financièrement et résilient face aux futurs aléas météorologiques que l’on peut déjà anticiper
– Un environnement économique libre de monopoles
– Un environnement politique libre de l’influence des intérêts privés capitalistiques.
– Une sécurité économique pour toutes celles et ceux dans l’incapacité ou l’absence de volonté de travailler contre rémunération

Il n’y a pas de temps à perdre
Les plus récentes études du GIEC affirment que les émissions de gaz à effet de serre doivent être réduites de 40 à 60% d’ici 2030.
Nous devons atteindre le 0 en 2030 et nous montrerons ainsi au monde qu’un Nouveau Contrat Écologique est possible, d’une part, et bénéfique socialement d’autre part.

Impossible n’est pas français… et in varietate concordia
Lorsque le président américain John Ford Kennedy affirma en 1962 que l’être humain irait sur la Lune en 10 ans, nombreux furent ceux qui ont pensé que c’était impossible. Aujourd’hui nous avons des robots sur Mars.
Lorsque Franklin Delano Roosvelt demanda la construction de 185.000 avions pour combattre durant la deuxième guerre mondiale, chaque directeur d’entreprise et chaque général se mit à rire. A cette époque, les Etats-Unis produisaient 3.000 avions par an. A la fin de la guerre, ils en avaient produit 300.000.
C’est ce dont nous sommes capables lorsque nous sommes bien dirigés.
L’Europe a su se reconstruire après la deuxième guerre mondiale, pour devenir aujourd’hui une puissante force de stabilité dans le monde.
L’Allemagne de l’Ouest a su intégrer l’ancienne RDA en une année après la chute du Mur de Berlin.
Le produit intérieur brut français est neuf fois plus élevé qu’en 1890.
En termes de niveau d’éducation, de niveau de revenu et de longévité nous sommes parmi les premiers au monde.

Il s’agit d’un investissement massif dans notre économie et dans notre société. Ce n’est pas une dépense
Chaque euro d’investissement public permet une création de richesse estimée à 2,5 euros.
Avec le Nouveau Contrat Écologique, l’investissement public pourra se porter sur des domaines précis. Il ne s’agit pas d’une modernisation mais d’une remise à jour, pour préparer notre avenir à tous. Les secteurs des transports, du logement résidentiel et de la production industrielle seront les premiers concernés en France. L’investissement public permettra l’émergence d’une économie que « le marché » aujourd’hui est incapable ou refuse de mettre en mouvement.
Il s’agit aussi d’un investissement massif dans le capital humain, qui prendra en compte la vie quotidienne des citoyens comme point de départ pour en déduire quels projets mettre en œuvre, à commencer par la résolution de problèmes plutôt que l’ajout de nouvelles contraintes.
La France dispose d’instituts de recherche en sciences sociales de niveau mondial, ils seront sollicités.

Le Nouveau Contrat est déjà en mouvement
Face au changement climatique, nous savons que l’inaction coûtera plus cher et sera plus dévastatrice que l’action.
L’immense majorité des Français et des Européens a conscience du risque et de la nécessité d’agir. Face à l’inertie des acteurs privés et des gouvernements, en ce début d’année 2019 même les enfants font la grève de l’école pour demander de l’action concrète.
Les acteurs publics les plus engagés en faveur du climat sont les villes et les régions.
Il est temps que les États prennent leurs responsabilités à commencer par les Assemblées Nationales en étroite coordination les citoyens et avec le Parlement Européen.
Unis dans la diversité.

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Foire Aux Questions

Pourquoi un élan vers des énergies 100% propres et renouvelables, et pas seulement du 100% renouvelable ? Vous dites qu’on continuera d’utiliser les énergies fossiles ?

Nous appelons à une transition complète pour se libérer des énergies fossiles et ne plus émettre du tout de gaz à effet de serre.
Quiconque a lu le projet de loi a pu voir que cela passera par une mobilisation de chaque secteur de l’économie, chaque entreprise, chaque acteur public et chaque groupe syndical.
Mais bannir immédiatement et abruptement les combustibles fossiles serait une très mauvaise idée puisque nous n’avons rien pour les remplacer à ce jour.
Nous le ferons en créant à partir de presque rien une économie de l’énergie renouvelable aussi vite que possible. C’est la ligne directrice du Nouveau Contrat Écologique.
Ainsi nous fixons un objectif net d’émission à 0 dans 10 ans, car personne ne peut garantir que nous saurons atteindre les zéro émissions dans l’absolu. Ça supposerait de pouvoir éliminer les émissions de gaz à effet de serre provenant du transport aérien ou des pets de l’élevage animal.
Mais nous pensons pouvoir faire grandement monter en puissance l’industrie manufacturière et l’industrie de l’énergie, ainsi que rénover chaque bâtiment en France, construire une smart grid, mettre à jour les transports et l’agro-alimentaire, l’agriculture ainsi que planter des millions d’arbres pour atteindre l’objectif net de zéro émission de gaz à effet de serre.

Le nucléaire en fait partie ?
Le Nouveau Contrat Écologique est un investissement massif dans la production d’énergies propres et renouvelables et n’implique pas de construire de nouvelles centrales nucléaires.
Le nucléaire d’ailleurs n’est ni une énergie renouvelable, ni une énergie propre. Ses déchets sont des polluants radioactifs mortels qui ont une durée de vie qui se mesure en centaines d’années.
Cependant nous n’avons aucune certitude de pouvoir décommissionner toutes les centrales existantes en seulement dix ans.
Mais notre objectif est clair : nous voulons du 100% propre et renouvelable. Le pétrole, le charbon, le gaz et le nucléaire n’en font pas partie.

Est-ce que ça implique une taxe carbone ?
On ne peut pas simplement taxer le carburant ou le gaz et s’attendre à ce que les citoyens trouvent tous seuls un autre moyen d’aller au travail ; sauf quand nous leur proposerons une autre alternative plus saine et aussi pratique au quotidien.
Donc nous n’excluons pas la taxe carbone, mais elle fournirait seulement une petite partie des financements nécessaires. Le projet gigantesque qui consiste à remettre à jour l’économie suppose qu’on ait d’abord des alternatives à proposer, techniquement et socialement, pour s’assurer que ce soit indolore pour les citoyens, les familles et les communautés.

Est-ce que ça implique du cap and trade (bourse d’échange de « droits à polluer ») ?
Le Nouveau Contrat Écologique créera une nouvelle économie de l’énergie par des investissements massifs dans la société et la technologie. Les bourses d’échanges de droits à polluer supposent que le marché tel qu’il existe résoudra les problèmes de lui-même. Ce n’est pas vrai.
Le cap and trade pourrait être à la marge un moyen d’associer les acteurs au Nouveau Contrat, mais il faut reconnaître que la législation actuelle des bourses d’échanges est une forme de subvention qui permet l’existence de zones éparses de pollution intense qui exposent sévèrement les populations locales. On doit d’abord s’assurer que les populations locales, leur santé et leur bien-être, sont la première priorité de tout le monde.

Est-ce que ça implique l’interdiction de toute nouvelle construction liée aux énergies fossiles ou de centrale nucléaire ?
L’une des conséquences du Nouveau Contrat Écologique sera de rendre inutiles les nouvelles constructions liées aux énergies de l’ancien monde, fossile ou nucléaire. Nous voulons ne plus en avoir besoin.
Nos investissements seront donc orientés massivement dans les énergies du nouveau monde, pas dans les autres. Vouloir faire les deux serait une tromperie et une hypocrisie qui maintiendrait le statu quo.

Êtes-vous favorables au stockage du CO2 ?
(CCUS : Carbon Capture, Utilization, and Storage)
La bonne manière de capturer le CO2 est de planter des arbres et restaurer les écosystèmes naturels.
A ce jour les technologies de capture des gaz à effet de serre dans l’atmosphère n’ont pas prouvé leur efficacité.

Comment allons-nous payer pour tout ça ?
De la même manière que les États-Unis ont payé leur New Deal dans les années 1930 ou comme les banques centrales ont résolu la crise bancaire en 2008 avec le quantitative easing (rachat de dettes).
De la même manière que nous avons payé la deuxième guerre mondiale et toutes nos guerres actuelles.
La Banque Centrale Européenne peut étendre ses lignes de crédit pour propulser le Nouveau Contrat Écologique vers les sommets. Il y aussi de la place pour des participations publiques, en vue de futurs dividendes ou retours sur investissement.
Au bout du compte, cet investissement dans l’économie nouvelle fera croître la richesse de la nation. La question n’est pas de savoir comment nous payerons, mais que ferons-nous de notre nouvelle prospérité.

Pourquoi doit-il y avoir un si vaste programme public ? Pourquoi ne pas se contenter de l’incitation par les taxes et des réglementations qui orienteraient les investissements du secteur privé ?
– Le niveau d’investissement doit être massif. Même si les milliardaires et les entreprises se donnaient la main pour déverser leur richesse dans la transition écologique, on ne parviendrait qu’à une modeste fraction de ce qui est nécessaire.
– La vitesse d’investissement devra être massive elle aussi. Même si les milliardaires et les entreprises se donnaient la main pour déverser leur richesse dans la transition écologique ils n’auraient pas la capacité de coordination suffisante pour un agenda si serré.
– Les investisseurs privés sont également hésitants à investir dans des domaines où personne n’a encore gagné d’argent. Les gouvernements par contre peuvent agir dans un temps long et peuvent patiemment investir dans les nouvelles technologies et la recherche, sans avoir en tête une application commerciale précise au moment où se fait la dépense d’argent.
Un exemple majeur d’investissement public à succès s’appelle l’internet.
– Pour résumer, nous ne devons pas seulement cesser de faire comme nous avons toujours fait (comme brûler du carburant pour nos besoins en énergie), nous avons aussi besoin de faire du neuf (comme remanier des secteurs d’activité entiers ou rénover tous nos bâtiments). Commencer à faire de nouvelles choses nécessite des investissements immédiats. Un pays qui essaye de changer le fonctionnement de son économie a besoin de gros investissements immédiats, pour lancer et développer ses premiers projets.
– Fournir des incitations au secteur privé ne fonctionne pas. Les subventions en faveur du solaire ou de l’éolien ont certes produit des résultats positifs, mais bien insuffisants par rapport à un objectif de neutralité carbone comme le promeut le Nouveau Contrat Écologique.
– Il y a bien une place pour le secteur privé mais l’investisseur principal ne peut être que la puissance publique. Il est normal que lui revienne aussi le rôle de coordinateur et pilote de l’ensemble du projet.

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Résumé du projet de loi

Créé en consultation avec de multiples groupes de la société civile, syndicats et défenseurs de l’environnement.

5 objectifs à 10 ans
14 projets pour mobiliser l’économie
15 exigences de justice sociale et de sécurité

5 objectifs à 10 ans :
– Émissions nettes de gaz à effet de serre à zéro, grâce à une transition écologique juste pour toutes les communautés et les travailleurs.
– Création de centaines de milliers d’emplois stables ; assurer la prospérité et la sécurité économique pour tous.
– Investissement dans les méthodes, les infrastructures et l’industrie pour les mettre durablement au niveau des défis du XXIe siècle
– Air propre et eau potable. Résilience climatique au niveau local. Nourriture non contaminée. Accès universel à la nature et à un environnement non dégradé.
– Promotion de la justice et de l’équité en prenant soin des communautés les plus vulnérables.

14 projets majeurs pour mobiliser l’économie :
– Construction d’infrastructures permettant la résilience face aux catastrophes naturelles. Valoriser les bâtiments autonomes en énergie.
– Réparation et rénovation des infrastructures existantes
– Répondre à 100% des besoins énergétiques nationaux en recourant aux énergies propres et renouvelables. Pouvoir se passer du fossile et du nucléaire.
– Construction d’un réseau de distribution de l’énergie économe (smart grid) et garantir un accès universel minimum à l’énergie.
– Rénover tous les bâtiments pour les mettre à niveau d’une société économe en énergie
– Étendre le recours standard à l’industrie propre et non polluante (agro-alimentaire, fabrication, installation et maintenance de panneaux solaires, éoliennes, batteries et stockage énergétique, techniques de dépollution, processus industriels circulaires, « chimie verte », etc.)
– Travailler avec les agriculteurs pour créer des circuits alimentaires durables, permettant l’accès universel à une alimentation de première qualité tout en permettant aux travailleurs de vivre de leur production.
– Remanier le secteur du transport en augmentant massivement la production de véhicules électriques fiables et leur réseau de recharge. Rénover et densifier les transports publics urbains, interurbains et hors zone urbaine. Interconnecter les différents modes de transport à toutes les échelles du pays.
– Atténuer les impacts sanitaires du changement climatique et de la pollution terrestre, aérienne ou marine.
– Reforester massivement pour permettre l’absorption du carbone dans l’atmosphère
– Restaurer les écosystèmes dégradés, notamment en rapport avec la biodiversité du règne animal et végétal.
– Recherche et développement pour des produits de substitution ou des méthodes de remplacement permettant de supprimer les principaux polluants utilisés dans chaque secteur d’activité
– Partage de notre expertise, de nos technologies et méthodes avec nos voisins européens et avec les pays limitrophes de nos territoires d’Outre-Mer.

15 exigences de justice sociale et de sécurité :
– Des investissements massifs et l’assistance aux organisations, associations et entreprises qui s’engagent dans le Nouveau Contrat et s’assurant que la nation y trouve son retour sur investissement.
– Garantir que les coûts sociaux et environnementaux sont intégrés aux études d’impacts, aux estimations de retour sur investissement.
– Fournir une formation professionnelle continue universelle. Protéger les travailleurs plutôt que l’emploi
– Investir dans la Recherche et Développement (R&D) de nouvelles technologies énergétiques
– Mener des investissements directs pour les communautés en première ligne du réchauffement climatique ainsi que pour les communautés directement liées aux industries carbonées qui seraient sinon frappées de plein fouet par la transition en cours. Prioriser les retours sur investissement à leur profit.
– Utiliser comme méthode par défaut la concertation et le processus participatif avec les utilisateurs directs et les communautés locales.
– S’assurer que les emplois créés par le Nouveau Contrat Écologique sont des emplois dignes, stables et inclusifs.
– Protéger le droit des travailleurs à se syndiquer et à être représentés à tous les niveaux de décision.
– Renforcer et élargir la notion de santé et sécurité au travail aux domaines de l’inclusion, et de la non-discrimination, que l’activité soit salariée, indépendante ou bénévole.
– Renforcer les règles commerciales pour mettre un terme au dumping social, à l’export de pollution et accroitre l’industrie nationale.
– Garantir que le domaine public urbain ou naturel est protégé
– Préalablement au démarrage d’un projet sur leur territoire ou pouvant impacter leur territoire, obtenir le consentement éclairé des communautés locales, en métropole ou territoires d’Outre-Mer.
– Garantir un environnement libre de monopoles et de compétition abusive.
– Fournir des soins de santé curatifs de haute qualité, tout en déployant un système de santé orienté vers la prévention, en particulier pour les pathologies considérées comme évitables.
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[Note du traducteur]
SOURCES (février 2019) :

https://www.documentcloud.org/documents/5731869-Green-New-Deal-FAQ.html (GreenNewDeal_FAQ.pdf)

Cliquer pour accéder à ENG4%20REPERES%202010%20ENG-Partie%204.pdf

http://www.globalcarbonatlas.org/en/CO2-emissions

https://www.ipcc.ch/2018/10/08/summary-for-policymakers-of-ipcc-special-report-on-global-warming-of-1-5c-approved-by-governments/

https://report.ipcc.ch/sr15/index.html

http://www.globalcarbonatlas.org/en/CO2-emissions

https://www.lemonde.fr/idees/article/2016/11/04/l-investissement-public-est-la-cle-de-la-reprise-economique_5025661_3232.html

http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2016/05/28/20002-20160528ARTFIG00115-pour-jean-tirole-il-faut-proteger-le-salarie-plutot-que-l-emploi.php

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La maladie honteuse des données personnelles 19 novembre 2018


Les vols de données personnelles sont devenus communs et on s’étonne à peine de les voir défiler dans la presse.
Chaque semaine, des voleurs entrent dans les réseaux et remplissent leurs poches d’informations sur la vie des gens, parfois par millions.
La plupart du temps les informations dérobées permettent de commettre des fraudes très efficaces.

Le piratage de l’IRS américain en 2015  a ainsi alimenté pour des années le marché de la contrebande des fausses identités et des justificatifs d’impôts tout en pourrissant la vie des personnes volées pour au moins autant de temps.
D’autres motivations peuvent amener les pirates à attaquer une cible particulière, pour des motifs de vengeance ou de chantage.
Enfin, sans intention de nuire, une cause majeure des fuites de données provient des erreurs humaines. Absence de mise à jour d’un système, oubli dans une configuration technique, réutilisation d’un mot de passe corrompu… toutes ces choses qui confirment qu’en matière de sécurité informatique la première faille de sécurité se trouve « entre la chaise et la clavier » : l’utilisateur ou l’opérateur lui-même.

 

A chaque fois, il s’agit d’informations sur nous, de l’information que nous donnons pour pouvoir utiliser un service, comme nos vrais noms, prénoms, numéro de carte bancaire, sécurité sociale, téléphone, date de naissance, empreinte digitale des enfants pour qu’ils puissent déjeuner à la cantine, ou autre.
Et à chaque fois ceux qui réclament ces informations assurent qu’ils les garderont secrètes et inaccessibles au reste du monde.
Et à chaque fois, ils ne le font pas.
De ce point de vue, l’expression « vol de données » est commode car elle est neutre, en termes de responsabilité. Une entreprise ou une administration « victime de vol de données » se fait passer pour la victime… alors qu’elle avait la responsabilité de garder ces choses secrètes et ne l’a pas fait.

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Les intrusions délictuelles ont connu un pic dans les années 2014-2015, avec par exemple l’entreprise Orange qui fut attaquée deux fois de suite pour un vol qui concernait plus de deux millions de personnes… dont peut-être vous si vous étiez abonné Orange à l’époque.
Depuis, les grandes organisations ont donc largement eu le temps de comprendre que les données personnelles sont fort recherchées et donc que plus elles en hébergent, plus elles sont susceptibles d’être seront attaquées.
Mais depuis, l’épidémie n’a jamais vraiment cessé. Le pic de 2014-2015 est devenu une norme, voire un minimum dans les années fastes.
Car oui, on en a vu d’autres !
Facebook est devenu un gros pourvoyeur de failles de sécurité mais aussi la plupart des opérateurs de réseau, les banques, sans compter toutes les effractions d’entreprises ou d’administrations dont on n’entendra jamais parler pour des raisons plus ou moins avouables.

Le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD)  va probablement provoquer plus de divulgations d’intrusions, puisqu’il oblige légalement à informer le public qu’un vol a eu lieu, au plus tard dans les 72h après qu’il a été constaté. On peut donc s’attendre à en voir encore davantage dans la presse… pas parce qu’il y a davantage d’attaques, mais parce que les organisations sont contraintes de ne plus le passer sous silence.
Inversement, je serais curieux de voir combien retarderont le plus possible la « découverte » d’intrusions pour retarder le moment où il faudra étaler son linge sale sur la place publique…

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Les fournisseurs d’accès, les réseaux sociaux, les administrations  et beaucoup d’autres (trop !) enregistrent scrupuleusement à qui nous parlons, à qui nous écrivons, ce que nous likons et avec qui nous échangeons des documents. Les vendeurs enregistrent nos habitudes d’achat, les opérateurs enregistrent les lieux et les heures où nous allons et ce que nous regardons sur internet. Ils savent très bien en déduire nos espoirs, nos peurs, nos fantasmes et nos secrets.
La géolocalisation révèle où nous habitons, où nous travaillons, quels sont nos itinéraires habituels.
En associant les données localisées à l’échelle d’une ville, il est possible de prouver avec qui nous étions dans le bus, au supermarché et avec qui nous avons passé la nuit.

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Parce que différentes organisations se positionnent comme acheteurs et revendeurs de nos informations (les data brokers), tous ceux qui peuvent collecter des données sont susceptibles de gagner de l’argent en les revendant.
Et le secteur est dynamique, c’est le moins qu’on puisse dire.
D’un côté sur le marché légal, une adresse e-mail valide vaut environ 0,5 centimes d’euros. Une « fiche client » provenant des bases de données de Facebook est estimée à 100 euros (ce qui participe à sa valeur en bourse, vu le nombre revendiqué de 2,27 milliards d’utilisateurs actifs).
De l’autre côté, sur le marché noir, le raccourci habituel est de demander 100 dollars pour 100.000 contacts. Donc d’un côté comme de l’autre, plus ils peuvent en avoir, plus ils en demandent.

Mais sur le marché officiel ou clandestin, une chose est sûre : une fois que nous avons donné nos informations elles ne sont plus à nous même si elles parlent de nous.  Les données enregistrées, stockées sont ensuite diffusées on-ne-sait-où, elles sont analysées par on-ne-sait-qui et pour on-ne-sait quel-but, vendues et achetées pour des motifs de marketing ou autre raison de persuasion et d’influence. Et beaucoup de monde gagne beaucoup d’argent avec.

« Tout enregistrer et le stocker indéfiniment » est donc un business model qui fonctionne.
Pour renforcer cette idée, on pourrait même dire que le travail qui consisterait à identifier ce qui ne mérite pas d’être enregistré est si difficile qu’il n’existe pas. D’ailleurs, ce qui semble inutile aujourd’hui pourrait être très utile demain. Du coup si on l’a enregistré aussi, on pourra le monnayer à ce moment-là.
Il suffit d’enregistrer, stocker et attendre.

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La collecte de données personnelles est cependant dangereuse parce que ce sont des données… personnelles.

Enregistrer tout cela est dangereux parce que ça déclenche les convoitises et ça rend difficile une protection efficace.
Entre 2013 et 2014, Yahoo! a reconnu deux ans plus tard s’être fait voler 1,5 milliard de fiches clients.
Enregistrer les données personnelles est dangereux parce que vous savez que vous allez subir des effractions. Des entreprises vont vous attaquer, des pirates, des États ou des employés très en colère et vous ne pourrez pas tous les arrêter, c’est une certitude.
Or si dans le vrai monde le défenseur a toujours un avantage tactique (même relatif), dans le domaine de la cyber sécurité c’est l’attaquant qui a l’avantage.

Enregistrer tout cela est dangereux aussi car les dégâts d’une intrusion réussie sont dévastateurs.
La protection a été percée, la presse va parler du vol, la réputation va souffrir, la valeur boursière va baisser et cela peut dégénérer jusqu’au procès et à une condamnation ferme… et, surtout, de vrais gens vont se retrouver en difficulté à cause de la fuite.

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Mais si les données personnelles sont si dangereuses, pourquoi donc les enregistrer ?

La première raison est que c’est une maladie de compulsion… il n’y a pas de raison particulière, sauf qu’on ne peut pas s’en empêcher.
Par appât du gain, tout le monde enregistre tout, tout le temps. Les organisations ne peuvent plus s’empêcher de tout enregistrer, comme une espèce de trouble compulsif embarrassant mais très répandu.

Des masses de données vont donc demeurer là pendant des années, personne ne se préoccupera de savoir si elles sont encore à jour ou pertinentes. Si quelque part quelqu’un sait que vous avez eu un cancer en 2005, qui se soucie de mettre à jour l’information de votre parfaite guérison ? Quel malus allez-vous subir si votre mutuelle santé établit ses tarifs sur ce genre d’information erronée ? Et qui possède ce commentaire graveleux que vous aviez posté avec vos noms et prénoms dans un obscur forum de discussion il y a 10 ans ?

 

La compulsion à enregistrer des données personnelles est une maladie honteuse, mais puisque tout le monde est contaminé il n’y a pas de raison de changer de comportement.
Cette incapacité collective vient du fait que l’architecture technique est conçue dans cet objectif et elle fonctionne sans aide, en faisant exactement ce qu’on lui demande. S’il vous fallait un exemple que le design ce n’est pas que de la cosmétique, il est là.
Obligation de « Créer un compte », obligation de saisir une adresse postale, obligation de donner son vrai nom et prénom, numéro de carte bancaire sauvegardé automatiquement après un paiement, etc.
La règle par défaut est l’enregistrement à l’échelle industrielle, jusqu’à l’overdose si nécessaire.

La Révolution arrivera le jour où nous serons payés pour enregistrer nos données personnelles  -ou rémunérés d’une manière ou d’une autre. Je suis bien certain que si la data devenait coûteuse à acquérir, on nous en demanderait soudainement beaucoup moins. Car il existe des cas ou, quoi qu’on en pense, la collecte de ces informations est nécessaire. Par exemple laisser sa mutuelle santé lire nos statistiques d’activité physique pour obtenir une ristourne parce qu’on est raisonnablement « sportif ».
Alors, quand c’est nécessaire, votre organisation devrait envoyer du lourd pour protéger ces données qui ne lui appartiennent pas : cryptographie forte, tokens anonymisés, double ou triple pare-feu, blockchain et j’en passe.

It’s the data, stupid ! All hard and software should (and will) allow portability of data, as it is produced in your organization.

 

 

Une seconde raison est la mode du Big Data.
Les entreprises et les gouvernements sont en pleine période d’envoûtement, subjugués par les promesses d’un monde meilleur (et de profits plus gros) grâce à la data.
Bien des travaux sont pourtant publiés sur le fait que plus de data n’est pas nécessaire, à commencer par les ethnologues qui démontrent jour après jour que le quantitatif sans qualitatif est une fumisterie sans nom. Coûteuse et socialement régressive.

 

Une troisième raison est que la plupart beaucoup de soi-disant responsables minimisent encore les risques.
Ils n’ont toujours pas compris à quel point une brèche de sécurité peut les mettre à genoux (sans parler du jour où une intrusion réussie permettra un vol et aussi le vandalisme des bases de données).
L’excès de confiance ici est un péché mortel et il convient d’éviter de croire qu’on est bien protégé. C’est d’ailleurs le premier signe d’une mauvaise sécurité : lorsque vous êtes sûr d’être bien abrité… demandez à Murphy.

La plupart n’ont pas encore compris que la meilleure protection consiste à supprimer les données personnelles.

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Car les effets de mode se périment et les comportements stupides apportent rarement la longévité.
La tendance actuelle du privacy by design prend le contrepied des arguments habituels sur le sujet.

Dans tous les domaines, il est possible de fournir un service de qualité sans nuire à la vie privée des utilisateurs et sans finir par mourir d’obésité informationnelle.

 

De fait, vous n’avez pas besoin d’enregistrer l’adresse postale d’un client ! Qu’il vous la donne en vue de recevoir son colis est une chose, que vous la gardiez au chaud dans vos bases de données pour une durée indéfinie en est une autre.
Des choix techniques, des choix de design peuvent être faits pour éradiquer la maladie honteuse.


L’assistant Snips est un petit nouveau sur le marché en plein essor de l’intelligence artificielle vocale, qui a la particularité de fonctionner sans transmission à distance. Le logiciel est dans l’objet et vos discussions avec l’objet ne finissent pas sur des serveurs en Inde ou en Arizona.  On se demandera d’ailleurs utilement pourquoi les Alexa ou Siri nous imposent de transmettre nos conversations sur internet pour les enregistrer, alors qu’il est possible de ne pas le faire pour une qualité service équivalente.

Des moteurs de recherche comme Qwant ou DuckDuckGo fournissent des résultats comparables à Google mais ils n’analysent pas, eux, quel est l’historique de vos dernières consultations soi-disant « pour vous offrir une meilleure expérience de navigation ».

 

Les pratiques industrielles courantes dans le fonctionnement d’internet ont transformé internet en plateforme de surveillance, ce n’est pas la NSA qui me contredira.

Raisonnablement, on doit reconnaître que certaines données n’ont même pas besoin d’être demandées, d’autres n’ont pas besoin d’être enregistrées et celles qui doivent l’être devraient être stockées dans des bases différentes, verrouillés par plusieurs niveaux d’accréditations, qui rendent la cible « dure » et qui imposent énormément d’efforts à l’attaquant pour réunir des données cohérentes et monnayables sur le marché noir.

 

Mais il semble d’ores et déjà que si les internautes peuvent utiliser à qualité équivalente des outils conçus pour la discrétion (privacy by design), l’argument commercial fera son petit effet.
Parce que les scandales à répétition nous ont appris à nous, les internautes, que les entreprises ne savent pas protéger nos données et même celles qui savent ont une capacité de défense limitée, quoi qu’elles en disent.
Les entreprises qui peuvent nous protéger sont celles qui en demandent le moins possible, voire pas du tout.
Et s’il est vrai que la data est une matière première qui prend de la valeur quand elle a été raffinée, on pourrait aussi bien la considérer comme une matière inflammable qu’il convient de ne pas avoir en trop grandes quantités pour éviter les retours de flamme…

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Citation (24) : en tuer 11 novembre 2018


 » (…) Dans vos poitrines, battent des cœurs braves et forts d’hommes libres.

Personne ne regardera en arrière, personne ne reculera d’un pas.

Chacun n’aura qu’une pensée : en tuer, en tuer beaucoup, jusqu’à ce qu’ils en aient assez.

Et c’est pourquoi votre général vous dit : cet assaut, vous le briserez et ce sera un beau jour. (…) »

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Général Henri Gouraud commandant la IVe Armée française et la Ie Armée américaine avant la seconde bataille de la Marne, qui bloqua l’avancée de l’ennemi puis aboutit à l’armistice cinq mois plus tard, le 11/11/1918.
Après son décès en 1946, il fut enterré conformément à ses dernières volontés dans l’Ossuaire national de Navarin, parmi ses hommes tombés au combat.

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