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Les aventures d'un ethnologue dans le grand monde

Comment rater un entretien de recrutement 24 juin 2010


C’est un privilège rare de voir quelqu’un faire quelque chose à la perfection. Inge de Bruin en natation, Kelly Slater en surf, ma mamie en cuisine.
Et puis il y a ce candidat qui se présenta à un entretien de recrutement il y a quelques semaines et qui foira la chose également à la perfection. La seule chose qui manquait peut-être était une grosse tache sur son costume.

D’abord, il était en retard. Tant pis, ça nous arrive à tous. Mais en retard d’une demi-heure ? C’était le premier accroc et il n’était pas encore assis.

Deuxième accroc, il ne s’excusa pas. D’une façon générale je ne suis pas favorable aux excuses. Dans un contexte professionnel c’est avant tout l’organisation qui vous place en mauvaise posture, ce n’est donc pas à vous de vous excuser. Mais néanmoins pour le cas qui nous concerne, c’était lui tout seul qui était en retard. Je ne demandais pas qu’il tombe à genoux sur la moquette du 7e étage, mais un « Pardon pour mon retard » aurait été approprié.

Tout cela aurait pu être toléré s’il n’avait pas ensuite tendu la main en annonçant « monsieur Durand, HEC promotion 2002. » Ce genre d’annonce prétentieuse me met hors de moi parce que précisément l’école des Hautes Études Commerciales semble valoriser ce genre de personnalité au lieu de leur apprendre l’humilité. Nous autres quand nous sortons du Massachusetts Institute of Technology, nous savons bien qu’il y a toujours quelqu’un de meilleur, quelque part.
Bref, il entrait dans les limites de la Règle de trois du management et ça partait mal.

Alors que j’observais ce monsieur Durand, il me vint à l’esprit qu’il nous avait présenté son mauvais côté avant de nous présenter le bon et que ça allait être un sacré gros travail pour renverser la première impression. Une bonne réputation prend du temps, une mauvaise est instantanée. En tant qu’interlocuteur fonctionnel dans des entretiens de recrutement assez spécialisés, j’ai parfois envie de poser mon front sur le bureau et de pleurer. Mais une chose que je ne peux pas faire c’est de sauter par-dessus ledit bureau pour attraper le(la) candidat(e) par le col et lui crier : « Hé ! Tu te rends compte à quel point tu t’enterres tout seul ?! »

Je ne peux pas le faire d’habitude, alors je pense que je vais le faire juste là, maintenant.

  • Prenez rendez-vous à 10h30

Il y a de mauvaises et de bonnes heures pour prendre un rendez-vous. Visez la fin de matinée. Les soucis du jour ont été abordés depuis 8h et les premières solutions sont en cours. Et vos interlocuteurs n’ont pas encore assez faim pour penser au menu J qu’ils vont commander au resto japonais du coin.

Les entretiens pendant le déjeuner c’est encore mieux. Vous sautez l’étape de l’environnement rigide du bureau et vous pourrez profiter de toutes les occasions de parler de la pluie et du beau temps. Le déjeuner est un moment plaisant, pas trop long et goûteux. Savourez. Et faites comme le chef. Pas de filet mignon si le chef commande une omelette-salade. Pas d’alcool sauf si lui en prend et suivez son rythme verre pour verre. Et ne parlez pas du décolleté de la serveuse avant lui. [Inversez mon propos si vous êtes entre dames ou si l’entretien est mixte]

Au-delà des sujets métier, montrez que vous savez maîtriser un repas d’affaires comme un adulte. Constructif, souriant mais jamais relâché.

  • Soyez culturellement pertinent

Vous allez montrer quelque chose de réel à votre recruteur : vous.
Pas un personnage de fiction ni une image que vous colportez parce que tous vos collègues font comme ça. Si vous voulez sérieusement cet emploi, passez quelques temps devant les locaux de l’entreprise et voyez les mouvements de personnel. Vous verrez toute la diversité qui lui donne sa couleur particulière et vous-vous ferez une idée des codes vestimentaires en vigueur. Bref, étudiez la culture locale.
Épluchez le site web officiel pour structurer votre argumentaire et pensez aussi aux écrits sur le web sur l’entreprise. Quoique vous trouviez, inutile d’en parler mais cela vous aidera à affiner votre pensée.
Après tout, nous faisons pareil pour vous… que donne votre « prénom nom » dans Google, au fait ?

  • Connais toi toi-même

γνwθι σεαυτόν ! C’était écrit en grec ancien sur le fronton du temple d’Apollon à Delphes et c’est valable en tout lieu, au travail comme dans le bus ou avec vos amis.
Réfléchissez au poste que vous visez et adaptez votre discours. Personne ne s’attend à ce que vous soyez le Sauveur, mais serez-vous capable d’intégrer le collectif ? Vous êtes celle qui détecte les problèmes ou celle qui propose des solutions ? Qu’est-ce qui peut vous mettre en colère ? Pouvez-vous animer un groupe ou préférez-vous être dans le groupe ?
Bref : au-delà des critères techniques indispensables, qui êtes vous ?
A votre entrée dans le bureau nous n’en savons rien, mais nous voudrions bien le savoir avant de vous embaucher à plus de 50.000 euros par an (et des heures et des heures et des heures passées à moins de 10 mètres de vous, toute l’année).

Pour nous permettre de nous faire une idée, parlez-nous de ce que vous avez fait et des choses que vous faites bien. Le truc, ce sera d’ajuster la conversation pour trouver des points communs entre vous et les activités qui se font en interne.

  • Faites oublier le temps qui passe

Les gens des Ressources Humaines encouragent les candidats à poser des questions, ce qui peut vous revenir en pleine figure si vos questions montrent que vous n’avez rien préparé à l’avance… et que vous n’avez rien compris aux trois quarts d’heure qui viennent juste de passer. Soyez à l’écoute, soyez subtil et prenez des notes pour ne pas oublier les points d’intérêt; vous y reviendrez plus tard.

Posez une question intelligente, écoutez la réponse, rebondissez sur un argument… tout cela s’appelle avoir une discussion et c’est ce qu’on attend de vous. Plus ça dure et plus on aime ça, en particulier lorsqu’on se rend compte que l’horaire est dépassé. Bien joué, vous nous avez intéressés !

  • Rentrez dedans, mais en finesse

Il ne s’agit pas de dénigrer qui que ce soit. En règle générale si vous êtes prêt à être recruté c’est aussi que vous êtes prêt à quitter votre employeur actuel. Vous ne nous parlerez pas de vos problèmes jusqu’à fondre en larmes, mais par contre vous nous direz comment vous gérez les problèmes. En général. Sans insulter personne. Au travail ou dans le métro ou dans votre club de sport.
Avec un peu de chance nous comprendrons comment vous réagirez face à l’adversité, dans quelques semaines, lorsque nous vous aurons comme collègue.

Soyez également prudent dans votre façon de décrire votre métier actuel. Les recruteurs pourront vous demander si vous avez perçu des choses à améliorer ou « des choses qui ne fonctionnent pas bien »… et effectivement, ça les intéresse de voir à quel point vous avez un regard critique sur votre environnement direct.
Mais allez-y doucement quand même… Vous êtes supposé être constructif. Si vous êtes capable de parler intelligemment de l’entreprise et de son positionnement c’est un très bon point.
Cela montre que vous êtes assez malin et courageux. Et diplomate. Et plein de tact.

Vous savez arrondir les angles mais vous avez néanmoins du répondant. Et on aime ça, les gens avec des tripes.
Pensez à l’explosion de la navette Challenger en 1986.
Compte tenu des sordides problèmes de fuite de joint en caoutchouc auriez-vous eu le cran d’annuler l’envol de Challenger ? A chaque recrutement, nous espérons bien être devant celui ou celle qui l’aurait fait et qui serait à nouveau capable de ce genre de décision remarquable.

Sally Bott, la DRH de British Petroleum doit penser la même chose depuis le 20 avril 2010, concernant une certaine valve sous-marine de sécurité sur la plateforme Deepwater Horizon… ou le Directeur des Ressources Humaines de Costa Crociere, depuis le naufrage du Costa Concordia.

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2 Responses to “Comment rater un entretien de recrutement”

  1. Bravo pour ces conseils judicieux ! Bonne chance aux candidats .

  2. […] Comment rater un entretien de recrutement   (avec l’article ci-dessous, celui-ci est le plus partagé; notamment sur LinkedIn) […]


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